Ainsi, d’après le gouvernent du Québec, nulle part ailleurs au Canada ou dans les pays développés, la situation démographique est aussi alarmante qu’au Québec – sauf au Japon.

En 2031, la population du Québec atteindra 8,8 millions d’habitants, une progression de 11 %, lit-on dans le Livre blanc sur la création d’une assurance autonomie.

Durant cette période, le groupe des 65 ans et plus bondira de 80 %, passant d’environ 1,25 million à 2,26 millions d’individus. Le groupe des moins de 20 ans, pour sa part, ne croîtra que de 4 %, tandis que celui des 20 à 64 ans devrait décliner de 4 %, selon le Livre blanc.

Incapacité

Évidemment, le nombre d’individus qui souffrent d’incapacité croît en fonction de l’âge. Dans l’ensemble de la population, selon un sondage de l’Institut québécois de la statistique, 12,8 % des femmes et 8,7 % des hommes âgés de plus de 15 ans sont atteints d’une incapacité modérée ou grave.

Ce pourcentage monte à 26,1 % chez les 65 ans et plus, bondissant à 59,1 % chez les 85 ans et plus.

«Compte tenu du vieillissement de la population, peut-on lire dans le Livre blanc, il faut […] accorder une attention toute particulière aux services de longue durée à leur intention».

Par conséquent, le ministre de la Santé et des Services sociaux (MSSS) propose de mettre en place une «assurance autonomie» au cours des prochaines années, selon le projet de loi déposé en décembre.

Un tel projet de loi imposera plusieurs changements majeurs. Par exemple, il faudra passer d’un régime de soins conçus en fonction d’une population jeune à un régime où les besoins d’une population vieillissante priment.

Il faudra privilégier les soins dispensés à domicile autant que les soins dispensés à l’hôpital et préparer les ressources humaines requises. Enfin, il faudra mettre en place l’enveloppe financière nécessaire.

Le MSSS propose un plan en deux étapes. Pendant la première, qui s’étendra de 2014 à 2018, les ressources actuellement consacrées au soutien à l’autonomie des personnes âgées (environ 3 G$) seraient réorientées selon les besoins cernés, notamment l’aide à domicile et le développement de ressources humaines.

Le gouvernement injecterait la somme supplémentaire de 500 M$ étalés sur la période allant jusqu’en 2017-2018.

Durant la deuxième étape, à partir de 2018, on mettrait en place une caisse dans laquelle s’accumuleraient une contribution annuelle du gouvernement et les sommes tirées d’une nouvelle déduction salariale. Le Livre blanc ne fournit aucun détail quant aux montants impliqués.

Toutefois, l’injection annuelle gouvernemental prévue est de 3,4 G$, et la déduction salariale, de 3 %, si l’on en croit des informations soumises par Yves Millette, vice-président principal, Affaires québécoises, de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP).

La question des ressources humaines n’est pas moins capitale que celle du financement. Actuellement, les personnes âgées sont appuyées par les aidants naturels issus de l’immense cohorte des baby-boomers, fait ressortir Nathalie Tremblay, chef de produits santé chez Desjardins Sécurité financière.

«Et ces aidants naturels font épargner au régime de soins de santé entre 6 et 8 G$ par an», souligne-t-elle.

Cependant, la génération des baby-boomers, où les femmes ont eu de 1,35 à 1,75 enfant et qui aura bientôt besoin de soins à son tour, devra se contenter d’un nombre d’aidants naturels sensiblement plus restreint.

Il faudra donc faire appel à des travailleurs de l’extérieur du réseau des aidants naturels, et il est à peu près certain que nombre de ces travailleurs ne seront pas des employés de l’État et viendront du privé.

Projet incertain

Yves Millette, qui suit tout ce projet attentivement, n’est pas très optimiste à son endroit.

«Il y a un fort degré de réticence de la part de la population, dit-il. L’idée d’une taxe additionnelle ne passe pas du tout. Pas plus que le fait que le gouvernement prévoit avoir accès à des soins du secteur privé. Les gens ont une aversion à l’endroit de tout ce qui est privé.»

Le sort du projet demeure donc incertain.

L’industrie de l’assurance s’en trouve-t-elle soulagée ? Pas du tout. «Nous y sommes favorables, parce qu’il ouvre la voie à des produits complémentaires», affirme Yves Millette.

Conséquence tout aussi importante, l’initiative gouvernementale entraînerait la mise en place d’une foule de services et de ressources humaines, «des choses que les assureurs ne font pas», dit Yves Millette, et sur lesquelles les compagnies pourraient compter.

Surtout, le projet du gouvernement «nous aide à conscientiser la population et à établir le dialogue avec les clients», fait valoir Nathalie Tremblay.

En effet, l’assurance de soins de longue durée (ASLD) est la parente pauvre de l’industrie de l’assurance. En 2012, note Nathalie Tremblay, il s’est vendu pour 1,4 G$ de primes d’assurance vie… et seulement 10 M$ en ASLD.

La population du Québec n’est tout simplement pas sensibilisée à cette question cruciale.

«Les gens n’y pensent pas, tranche Yves Millette. Ils semblent se dire que le gouvernement s’en occupera. La réflexion ne va pas plus loin.»

Ce manque d’intérêt se reflète jusque chez les représentants. «Nos conseillers ne sont pas à l’aise quand ils doivent en parler avec leurs clients, affirme Nathalie Tremblay. Pourtant, ils font des planifications jusqu’à l’âge de 90 ans, mais semblent oublier qu’il est à peu près inévitable qu’on aura besoin de soins.»

Selon Nathalie Tremblay, les conseillers devraient aborder la question de l’ASLD d’un angle positif : un produit qui aide à préserver l’indépendance et l’autonomie plutôt qu’à pallier les problèmes de santé.

De plus, ajoute-t-il, il faut faire valoir «qu’il s’agit d’un revenu supplémentaire de la retraite pour faire face aux problèmes de santé qui surviennent inévitablement».

L’occasion est propice, car le projet de loi du gouvernement contribue à mettre toute la question à l’avant-scène. Et plutôt qu’une menace, souligne Nathalie Tremblay, «les conseillers doivent le voir comme une occasion.»