« Les lois provinciales en matière de langue établiront les exigences quant aux documents que devront fournir les investisseurs, comme c’est le cas actuellement », a écrit Doumbé Détoté Akwa, chef des services linguistiques et des opérations au ministère des Finances du Canada dans une lettre répondant aux préoccupations de l’ACJT.
La lettre, dont Finance et Investissement a obtenu copie, stipule aussi que « l’organisme coopératif de règlementation des marchés de capitaux » (tel que nommé par le gouvernement), offrirait des services dans les deux langues officielles, selon les modalités de la Loi sur les langues officielles, mais réfère à Québec pour les documents financiers.
L’ACJT veut profiter du débat sur la commission unique désirée par le gouvernement fédéral pour remettre celui sur la langue des prospectus sur la table.
L’Association canadienne du commerce des valeurs mobilières (ACCVM) souhaite depuis quelque temps que l’article 40.1 de la Loi sur les valeurs mobilières soit abrogé. La loi oblige les vendeurs de titres à soumettre leurs documents financiers en français. L’ACCVM privilégie l’option d’un résumé traduit.
« C’est le moment où jamais pour le gouvernement du Québec d’établir une position claire sur la question et de solidifier la loi pour protéger le français et l’industrie langagière au Québec », exprime Louis Fortier, président de l’ACJT.
Le gouvernement du Québec s’oppose à l’implantation d’une commission unique.
La ministre de la Charte de la langue française prend position
L’ACJT a également applaudi la récente prise de position de la ministre responsable de la Charte de la langue française du Québec, Diane De Courcy. En réponse à une demande de l’ACJT, la ministre a acheminé une lettre destinée aux traducteurs-juristes dans laquelle elle déclare le statu quo.
« Le projet de loi 14 (Loi modifiant la Charte de la langue française, la Charte des droits et libertés de la personne et d’autres dispositions législatives) ne prévoit aucune modification à l’article 40.1 de la Loi sur les valeurs mobilières. Dans la mesure où cet article permet d’atteindre adéquatement les objectifs qui ont conduit à son adoption, il n’est pas envisagé de modifier cette situation », soutient Diane De Courcy dans sa lettre.
La ministre De Courcy dit aussi qu’elle ne croit pas « qu’il faille attribuer aux exigences linguistiques de l’article 40.1 tous les effets néfastes que certains leur prêtent ».
De 2009 à 2012, plus de 1200 prospectus n’ont pas été déposés au Québec avait entre autres fait valoir Richard Morin, directeur pour le Québec de l’ACCVM, tout en soulignant que chaque année, plus de la moitié des titres boursiers vendus sur le marché primaire canadien échappe donc aux investisseurs québécois.
L’ACJT avait, quant à elle, soulevé que la valeur des titres perdus représentait 8 % des émissions canadiennes, un nombre beaucoup moins significatif que ce que laisse croire M. Morin, selon son président.
Silence radio ou à propos ?
Louis Fortier déplore que le ministre des Finances du Québec, Nicolas Marceau, n’ait pas, lui aussi, pris la peine d’écrire une lettre ou de parler avec l’ACJT comme son prédécesseur, Raymond Bachand, l’avait fait pour émettre une position officielle.
Le cabinet du ministre Marceau, par l’entremise du conseiller politique Pierre Bouchard, avait, cet été, signifié au journal Le Devoir que le gouvernement « n’a pas l’intention de modifier cet article de la loi » (article 40.1). Après l’élection du gouvernement péquiste de Pauline Marois, Louis Fortier, espérait plutôt une réponse directe de la part de Nicolas Marceau.
« Je ne comprends pas que ça ait pris autant de temps avant d’obtenir une réponse de la part du gouvernement. Je me suis inscrit comme lobbyiste. J’ai rencontré des membres du cabinet de M. Marceau. Un conseiller politique m’a expliqué que le ministère des Finances recevait beaucoup de pression au sujet des prospectus et qu’il ne voulait pas s’impliquer dans le dossier », dit Louis Fortier.
Contactée par Finance et Investissement, l’attachée politique du cabinet du ministre des Finances, Mélanie Malenfant, a répondu que « le gouvernement parlait d’une seule et même voix » à travers ses différents ministères. Avec la lettre émise par la ministre De Courcy, il n’y a donc pas lieu, selon le cabinet du ministre des Finances, que Nicolas Marceau écrive à l’ACJT. De plus, ce dossier relève, dit Mélanie Malenfant, du ministère chapeauté par Diane De Courcy.
Louis Fortier souhaiterait, quant à lui, que le ministre des Finances du Québec s’assoie avec les opposants et les partisans de l’abrogation de l’article 40.1 ainsi que des acteurs du milieu financier afin d’établir une solidification ou à tout le moins une entente ou un compromis, par rapport à la loi qui rend obligatoire les prospectus en français.
« Je ne connais pas toutes les facettes du domaine financier, mais ne pourrions-nous pas trouver des solutions ; peut-être créer une catégorie différente d’émetteurs, établir une autre sorte de régime, sans réduire les exigences linguistiques de la loi ? », suggère-t-il.
(Photo : Bloomberg)