Martin Gagnon, premier vice-président à la direction, gestion de patrimoine, à la Banque Nationale, et coprésident et cochef de la direction de la Financière Banque Nationale, juge que les dispositions proposées sont redondantes avec celles du Code civil, qui «stipulent explicitement que les représentants et leurs entreprises (s’ils sont inscrits au Québec) doivent prioriser le meilleur intérêt des clients», de même qu’avec les normes de l’OCRCVM et de l’ACCFM correspondantes, dans le cas des entreprises non inscrites au Québec.
Trouver l’équilibre
Dans son document de consultation, les ACVM citent des études démontrant que les conflits d’intérêts influencent le comportement des représentants, et que ceux-ci ainsi que leur firme peuvent agir avec opportunisme en raison des paiements qu’ils reçoivent des fournisseurs de produits. Ceci peut nuire au rendement des clients.
Les ACVM déterminent des politiques de rémunération engendrant des conflits d’intérêts, par exemple le versement de commissions, l’appréciation du rendement et les cibles de vente, les promotions et l’évaluation du volume daffaires à des fins de primes ou de retraite, qui sont susceptibles d’entraîner des conflits d’intérêts. (Lire aussi le texte «Incitatifs sur le gril»)
La Banque Nationale est d’avis qu’il existe une grande variété de situations qui peuvent se produire, et doute qu’il soit possible de les cerner et de les définir à l’avance. Par conséquent, «une meilleure approche est de sassurer que le principe de divulgation des conflits d’intérêts soit pleinement compris et largement adopté par l’industrie».
Un nouvel alourdissement des procédures touchant la gestion des conflits d’intérêts risque de demeurer sans effet auprès des clients, estime le Groupe Cloutier. Considérant que, par le passé, les réformes mises en avant par les ACVM ont accru de façon extrêmement importante la quantité d’informations divulguées au client, le Groupe Cloutier croit qu’il est prématuré d’envisager «de nouvelles modifications aux règles concernant les conflits d’intérêts, tant que les effets concrets des réformes déjà en vigueur n’auront pas été évalués».
Une augmentation du volume de la divulgation requise n’entraînera pas nécessairement une meilleure divulgation, écrit pour sa part iA Groupe financier.
Le Canadian Advocacy Council for Canadian CFA Institute Societies croit aussi que des règles efficaces établissent un équilibre entre «fournir trop d’informations qui pourraient confondre un client et fournir suffisamment d’informations pour être précis et clair en ce qui concerne la nature et la source du conflit».
La divulgation ne permet pas de protéger adéquatement les investisseurs contre les conflits dintérêts, estime FAIR Canada. Selon ce groupe de défense des intérêts des investisseurs, ces derniers n’ont pas les connaissances nécessaires pour tenir compte de l’impact d’un conflit d’intérêts dans leur évaluation des «conseils» qu’ils reçoivent.
«La divulgation des conflits d’intérêts peut avoir des effets pervers qui aggravent les choses, par exemple le fait qu’un conseiller pourrait inconsciemment donner des conseils davantage biaisés une fois que la divulgation d’un conflit d’intérêts a été faite», soutient FAIR Canada.
Le seul défi que reconnaît la Banque Nationale tient d’ailleurs dans la capacité du représentant de conclure qu’un client «comprend» pleinement les implications et les conséquences des conflits divulgués, «ce qui peut être une norme très difficile à atteindre dans la pratique», convient Martin Gagnon.
Si la société fournit l’information uniquement par écrit lors de l’ouverture du compte, il y a lieu de se demander si le client lira cette documentation et, si oui, s’il saisira bien les incidences des services offerts par rapport à ses besoins, selon Raymonde Crête, professeure associée et avocate, directrice du Groupe de recherche en droit des services financiers de l’Université Laval, et sa collègue Cinthia Duclos, professeure assistante et avocate. Elles estiment qu’en raison du degré élevé de confiance que manifeste le client envers son conseiller, il est fort probable que celui-ci omette de lire la documentation fournie.
Selon Raymonde Crête et Cinthia Duclos, il serait «opportun d’exiger du représentant, lors d’une première rencontre, qu’il explique verbalement au client les qualifications, la compétence, le ou les types de certification qu’il détient, les conflits d’intérêts et les modes directs et indirects de rémunération du représentant et de la société, de même que la nature véritable et la portée restreinte ou non des produits et des services offerts».
La proposition des ACVM visant à préciser les termes de la partie 13 du Règlement 31-103 en matière de gestion des conflits d’intérêts «pourrait avoir pour effet de clarifier et d’harmoniser la portée de l’obligation réglementaire pour les courtiers et conseillers, pourvu que celle-ci ne crée pas d’obligations additionnelles à celles déjà reflétées dans la lettre autant que l’esprit des Règles applicables au Québec», indique la Chambre de la sécurité financière (CSF).
L’Association des banquiers canadiens (ABC) s’inquiète pour sa part de voir que l’exigence proposée de répondre aux conflits d’intérêts d’une manière qui «donne la priorité à l’intérêt du client avant les intérêts de l’entreprise et/ou du représentant» n’est pas suffisamment claire pour fournir un code de conduite significatif.
L’ABC estime que dans sa forme actuelle, cette exigence proposée sera coûteuse à traiter et à administrer et conduira vraisemblablement des entreprises à offrir moins de produits ou à éliminer des catégories entières de produits en raison d’une incapacité, réelle ou perçue. «L’adoption de cette norme aurait probablement pour effet que les inscrits s’abstiendraient de fournir des services à des clients moins sophistiqués.»
Pour cette raison, l’ABC croit que des lignes directrices devraient définir les types de contrôle que les sociétés propriétaires seraient tenues d’établir, et préciser comment devraient agir les entreprises ayant un modèle commercial exclusif, «y compris les sociétés intégrées de courtiers en fonds communs de placement et de fabricants telles que les sociétés affiliées et les entreprises appartenant à des catégories restreintes d’enregistrement».
Pour le Groupe Cloutier, un constat s’impose : «certains modèles d’affaires comportent implicitement un conflit d’intérêts qu’il est impossible d’éviter». Ce serait notamment le cas lors de la distribution de produits exclusifs.
Bien que la volonté des ACVM d’obliger les distributeurs de produits exclusifs a prendre des mesures pour «atténuer efficacement le conflit d’intérêts inhérent a la distribution de produits exclusifs» paraisse claire au Groupe Cloutier, il ne voit pas «comment cette volonté pourrait se traduire en mesures concrètes ayant un impact réel sur la compréhension de la situation et de ses implications par l’investisseur».
L’option de la concurrence
Si l’ensemble des répondants est d’avis que l’intérêt du client doit primer en toutes circonstances, il n’y a pas de consensus quant à la manière d’y parvenir. Plusieurs jugent que des règles efficaces doivent favoriser une saine concurrence.
«L’expérience du client auprès des différentes catégories d’inscription ou modèles d’entreprise demeure le meilleur moyen pour lui de trouver satisfaction et de comparer l’offre de service qu’il reçoit. La transparence dans le prix payé demeure l’élément central de l’évaluation du client, qui peut choisir de payer davantage (ou moins), parce qu’il attache de l’importance (ou non), pour la valeur des services qu’il reçoit», estime l’Association professionnelle des conseillers en services financiers.
La réglementation devrait accentuer la concurrence, mais éviter d’imposer un fardeau plus imposant. Elle doit favoriser plus d’information, mais plus de simplification, afin de faciliter les choix des clients, écrit le Groupe Investors : «En pratique, en favorisant les règles de la concurrence et de la transparence, le client se dirigera vers le service qui lui conviendra le mieux en matière de prix et de contenu.»