Ce dernier groupe de régulateurs provinciaux a publié les résultats d’un sondage fait en 2014, réalisé à l’époque auprès de six courtiers de l’ACCFM, huit de l’OCRCVM ainsi que dix gestionnaires de portefeuille.
L’avis des ACVM 33-318, «Analyse des pratiques de rémunération des représentants», définit 27 pratiques de rémunération, dont 17 sont critiquées, certaines engendrant un conflit d’intérêts potentiel ou réel. Les ACVM y présentent aussi leur point de vue sur les conflits d’intérêts qu’elles jugent importants.
Selon les ACVM, la publication de ces résultats pourrait permettre aux sociétés de gérer les conflits plus adéquatement.
«Les sociétés pourraient également avoir en place des contrôles adéquats pour atténuer les risques que des conflits d’intérêts importants découlent des mécanismes de rémunération et des mesures incitatives qu’elles utilisent», écrivent-elles dans leur avis.
Parmi les pratiques qui ressortent, la rémunération fortement axée sur le volume de ventes et le chiffre d’affaires généré inciterait les représentants à se concentrer sur ce qui est le plus facile à vendre pour atteindre les cibles, au détriment de ce qui convient au client, d’après les ACVM.
«Ce type de mécanisme de rémunération est souvent associé à des comportements inadéquats des représentants», lit-on dans l’avis.
Selon les régulateurs, cette rémunération peut mener, par exemple, «à la multiplication des opérations, à la vente de produits ne convenant pas aux clients, ou à la vente à ces derniers d’un volume inapproprié de produits qui leur conviennent».
Ils dénoncent les sociétés qui mettent l’accent «sur la génération d’un chiffre d’affaires pour la société et le représentant, plutôt que sur la création de valeurs pour le client».
Michel Mailloux, planificateur financier et président de Deontologie.ca, ne considère pas que ce genre de rémunération mette à mal les intérêts des investisseurs.
«Nous pouvons marcher et mâcher de la gomme en même temps, comme nous pouvons fixer des objectifs globaux sans mettre à mal les intérêts du client», dit-il.
Il croit que les systèmes d’incitation ne constituent pas une problématique. Cependant, les gestionnaires de ces conseillers ont la responsabilité de faire le suivi et de donner l’encadrement nécessaire.
De son côté, Dan Hallett, vice-président et associé chez HighView Financial Group, reconnaît le potentiel de conflit d’intérêts qu’un tel système peut provoquer, mais soutient que la réussite d’un courtier et son habileté à rémunérer ses employés sont étroitement liés à sa capacité à générer des revenus.
Mauvaises primes discrétionnaires
Les ACVM trouvent que l’absence de critères fixes justifiant une partie ou la totalité des primes versées aux représentants engendre son lot de conflits.
Selon elles, «le grand manque de transparence de certains critères utilisés pour attribuer des primes discrétionnaires risque d’encourager des pratiques qui mettent le représentant en grave situation de conflit d’intérêts».
D’après les résultats du sondage, certains représentants obtiennent des primes sur des critères complètement aléatoires, changeants d’une année à l’autre et qui sont à la discrétion des gestionnaires.
«Si j’étais un employé d’une firme [ayant des critères aléatoires], je trouverais que cette pratique n’a pas d’allure, soutient Michel Mailloux. Comment le conseiller peut-il connaître la valeur de son boni ?»
«Même si le manque de transparence, de documentation ou de processus concernant les primes est une mauvaise pratique commerciale, estime Dan Hallett, je ne vois pas comment cela crée des conflits par rapport aux clients».
À son avis, ce que les ACVM tentent de démontrer en identifiant cette pratique comme potentiellement problématique n’est pas clair.
«Généralement, les primes et les bonus devraient être basés sur des critères largement quantitatifs», dit-il.
Produits maison sur la sellette
Les ACVM sont catégoriques concernant les incitatifs pécuniaires ou non pour prioriser les produits exclusifs, ou produits maison.
«Ces pratiques créent de graves conflits d’intérêts. En effet, elles incitent tant les représentants que la société à prioriser les produits exclusifs pour optimiser les profits de celle-ci, si bien que les clients pourraient obtenir des conseils inadéquats et des résultats inférieurs», insistent-elles.
Pour Dan Hallett, cette pratique ne date pas d’hier. «Quand Assante a rempli les documents de son premier appel public à l’épargne dans les années 1990, ceux-ci indiquaient que sa marge de profit d’exploitation pourrait être de 9 à 16 fois supérieure en augmentant les actifs pour ses produits maison par rapport aux produits offerts par des tiers, dit-il. Ça en dit long sur les conflits d’intérêts potentiels».
Michel Mailloux croit que si deux produits sont similaires en tout point, les conseillers pourraient logiquement favoriser les produits de leur firme : «Du moment qu’ils sont neutres».
Gare aux barèmes non neutres
La rémunération fixée selon un barème variable pouvant différer en fonction des produits et services rendus au client a été reconnue comme source réelle de conflits d’intérêts dans le rapport des ACVM. C’est le cas notamment lorsque la firme paie davantage pour les premiers appels publics à l’épargne, les comptes tarifés ou les nouveaux clients.
«C’est un problème. Chaque fois qu’il y a plus de commissions pour un produit par rapport à un autre – ou quand un courtier paie à ses représentants une plus grande part de la commission sur certains produits – il va toujours avoir une certaine influence sur le comportement des conseillers», soutient Dan Hallett.
Bien qu’il croie que bon nombre résisteront à ces incitations, un nombre significatif de conseillers seront tentés par les revenus plus élevés, selon lui.
La solution à cette source de conflit d’intérêts n’est pas simple, puisqu’il existe un grand nombre de produits complètement différents, ce qui rend difficile la définition de barèmes plus neutres.
«La structure de base des produits ne peut pas nous permettre de les mettre tous dans le même panier», dit Michel Mailloux.
Une autre difficulté vient directement des manufacturiers, qui doivent à l’occasion écouler certains produits. «Des fois, les manufacturiers peuvent surpondérer la commission [de certains produits] pour écouler la vente de ce produit», ajoute-t-il.
Petits comptes compromis
En augmentant les minima ou les échelons des barèmes et la rémunération qui y est associée, les représentants seraient tentés d’abandonner certains comptes, qui ne leur rapporteraient plus rien.
À terme, des clients seraient délaissés par les changements dans la rémunération des représentants.
Michel Mailloux cite l’exemple d’un client qui ajoute 500 $ d’actif par an, pour lequel le conseiller reçoit une commission de 1 %, soit 5 $ de revenu brut. S’il doit passer une heure de conformité sur le dossier à un taux horaire de 100 $, le conseiller ne peut couvrir ses frais.
Dans un tel cas, Michel Mailloux croit que le conseiller abandonnerait le client pour se concentrer sur des clients qui lui rapportent davantage.
Les ACVM croient également que cette pratique peut favoriser des comportements inappropriés «comme la multiplication des opérations ou la vente de produits inadéquats», écrivent-elles.
Dan Hallett est d’avis que les grands perdants de cette pratique ne sont pas nécessairement les clients, mais les représentants.
Ces derniers subissent plus de pression lors des changements de grille, et à terme, ont des revenus bruts moins élevés pour une accumulation d’actif équivalente.