Toutefois, à l’étranger, la Banque centrale européenne (BCE), la Banque du Japon ainsi que quelques autres banques centrales ont commencé à imposer des taux d’intérêt négatifs sur les réserves que les banques commerciales conservent à la banque centrale de leur pays.
L’État allemand a récemment émis des obligations de 10 ans avec un rendement négatif. À ces mesures s’ajoutent aussi, évidemment, les rondes d’assouplissement quantitatif (l’achat d’actifs) encore menées par certaines banques centrales.
Ces mesures, introduites depuis la crise financière mondiale de 2007-2009, étaient pourtant censées être temporaires, comme le soulignaient deux économistes de la Banque du Canada dans une étude publiée au printemps.
«L’exception s’impose peu à peu comme la règle, et les mesures non traditionnelles font désormais partie de la trousse d’outils modernes de toute banque centrale.» (http://tinyurl.com/zp3lfaf)
Pas besoin d’autres solutions
En décembre 2015, la Banque du Canada a mis à jour son cadre d’application des mesures de politique monétaire non traditionnelles.
Livio Di Matteo, professeur d’économie à l’Université Lakehead, en Ontario, doute néanmoins que la Banque en vienne à utiliser de telles mesures. «Pour le Canada, la politique monétaire traditionnelle fonctionne assez bien pour qu’il ne soit pas trop pressant d’explorer d’autres solutions», analyse-t-il.
Même si l’économie canadienne ralentit, il considère que le pays s’en est mieux sorti que plusieurs États membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
«Certes, le recours à une politique monétaire non traditionnelle pourrait être envisagé en cas de choc sévère, croit Livio Di Matteo. Mais avec un taux de chômage d’environ 7 %, je ne crois pas que nous soyons dans ce genre de situation.»
Pour sa part, Benoit Durocher, économiste principal au Mouvement Desjardins, souligne que les mesures non traditionnelles comme l’achat massif d’actifs par les banques centrales visent essentiellement à abaisser les taux d’intérêt à long terme.
Or, «le marché canadien est très influencé par ce qui se passe aux États-Unis. Dans ce contexte-là, l’impact que peut avoir la Banque du Canada sur les marchés financiers est plus limité», note-t-il.
Maurice Marchon, professeur retraité de HEC Montréal, est du même avis. «On n’utilise pas des mesures de dernier recours si on n’en a pas besoin», résume-t-il en entrevue. Le Canada connaît pratiquement une situation de plein emploi, fait-il remarquer.
Il voit même un avantage à la situation actuelle.
«La bonne nouvelle, c’est que lorsqu’une économie ne croît pas trop rapidement, sans inflation, le cycle peut se prolonger. Si on avait en 2017-2018 des taux de croissance de 3 %, on risquerait de voir exploser les taux d’intérêt et finalement, d’arriver à une récession.»
Comment gérer la suite ?
Néanmoins, la prolongation des mesures non traditionnelles par plusieurs banques centrales a de quoi laisser dubitatifs ceux qui espèrent peut-être une reprise plus robuste.
Et une question demeure : comment revenir à une politique normale sans trop de heurts ? On peut légitimement se demander ce qui arrivera quand les banques centrales décideront de purger leur bilan faramineux.
Selon l’étude publiée au printemps par la Banque du Canada, les actifs de la banque centrale japonaise représentent aujourd’hui quelque 80 % du PIB. Aux États-Unis, dans les 19 pays de la zone euro et au Royaume-Uni, ces actifs représentent un peu plus de 20 % du PIB. Les banques centrales sauront-elles bien gérer leur désengagement ?
«On est assez confiant, assure Benoit Durocher. Dès le moment où les banques centrales ont pris ces positions-là, elles ont commencé à penser au moyen de s’en défaire. Ça fait donc déjà un bon moment qu’on pense à ça, et ça se fera très progressivement.»
Selon l’économiste de Desjardins, les effets d’un retrait progressif sur les marchés boursiers devraient être relatifs.
«Ça pourrait avoir un effet, mais qui se mélange à d’autres, explique-t-il. Par exemple, on anticipe une amélioration des bénéfices au cours des prochaines années en raison de l’amélioration des conditions économiques mondiales.»
«Tout le monde souhaite que l’économie américaine soit plus robuste et qu’une demande plus forte permette une hausse des taux d’intérêt jusqu’à un niveau normal», indique Maurice Marchon.
Il croit néanmoins qu’on est encore loin de ce retour à la normale. «Il faut s’assurer que l’économie sera capable d’absorber de possibles hausses de taux», souligne-t-il.
Le Canada cité en exemple
Par ailleurs, plusieurs spécialistes notent depuis longtemps que les banques centrales ne peuvent pas à elles seules stimuler la croissance.
À la fin septembre, le magazine The Economist affirmait, dans un éditorial, qu’il était impératif que des mesures fiscales – modulées en fonction de la croissance économique – viennent compléter des politiques monétaires quelque peu à bout de souffle.
Maurice Marchon est d’accord. «Prenons l’exemple de l’Allemagne, qui a un surplus de la balance courante d’environ 9 %. Cela veut dire qu’elle pourrait stimuler davantage son économie grâce à la politique fiscale.»
Le recours à la politique fiscale est toutefois un peu tabou aujourd’hui. «On a tellement abusé de ça dans les années 1970, 1980 et 1990 ; une fois qu’on a essayé de contrôler [les dépenses], on n’est plus capables de s’adapter aux circonstances», croit-il.
Autrement dit, lorsqu’un gouvernement s’est affairé à contrôler les dépenses pendant des années, il ne peut pas se faire à l’idée d’avoir un budget déficitaire.
«On voit que la politique monétaire se bute à certaines limites lorsqu’il s’agit de stimuler la croissance économique, souligne lui aussi Benoit Durocher. Dans ce contexte, il est recommandé de procéder à d’autres mesures de stimulation fiscales, un peu comme le Canada l’a fait dans son dernier budget. Le Canada est d’ailleurs pris en exemple partout dans le monde.»
L’exception canadienne, encore et toujours…