«Du fait que Janet Yellen est déjà vice-présidente de la Fed et que la politique en cours est en grande partie déjà la sienne, rien de fondamental n’est appelé à changer», prévoit Michael Materasso, vice-président principal chez Franklin Templeton Investments, à New York.
En effet, la Fed suit un cours dont l’orientation a été donnée pour l’essentiel par Janet Yellen.
Par exemple, c’est sous sa gouverne que la banque centrale américaine a établi sa ci-ble officielle d’inflation à 2 %, une première, soutient Michael Materasso.
De plus, la politique actuelle qui consiste à maintenir pour longtemps encore les taux d’intérêt à court terme à un niveau très bas tient également au travail et à l’influence de Janet Yellen.
Une femme qui prévoit les coups
Le parcours de cette économiste, formée à l’Université Yale, dans l’État du Connecticut, et qui a lentement gravi les échelons hiérarchiques à la Fed, montre le profil d’une personne méticu-leuse, systématique et toujours solidement documentée.
«Il est remarquable de voir à quel point elle est capable de disséquer l’information et de la communiquer», souligne Jimmy Jean, économiste principal au Mouvement Desjardins, à Montréal.
«Pendant la crise, on aimait toujours la lire pour comprendre les motifs et les actions de la Fed.»
Son niveau de préparation permet à Janet Yellen de voir ve-nir les coups. Par exemple, dès juin 2007, elle faisait part à ses collègues de la Fed de ses inquiétudes à l’égard de la bulle immobilière aux États-Unis, rapporte un article du Wall Street Journal.
«De tous les dirigeants de la Fed, c’est elle qui a eu le plus souvent raison depuis une quinzaine d’années, résume André Marsan, président fondateur de Sigma Alpha Capital, à Montréal. Elle a de bons antécédents. C’est pourquoi elle inspire confiance aux marchés.»
Une colombe
Dans le double mandat de la Fed – lutter contre l’inflation et favoriser la création d’emplois -, Janet Yellen préfère la création d’emplois.
C’est pourquoi, à Washington et dans les milieux financiers, on la considère comme une «colombe», note Jimmy Jean. «Tout porte à croire que son souci principal sera de maximiser la création d’emplois», dit-il.
«Les marchés ont tendance à croire qu’être une colombe équivaut à une philosophie inflexible, poursuit l’économiste de Desjardins. Ce n’est pas le cas. Janet Yellen voit simplement que c’est à ce problème que la Fed doit s’intéresser en premier lieu. Quand les conditions seront jugées satisfaisantes de ce côté, elle sera prête à corriger le tir du côté des taux pour les normaliser. C’est ce qu’elle a dit dans ses discours.»
Le problème de l’emploi est nettement plus aigu que celui de l’inflation, juge Neil Matheson. En ce moment, dit-il, l’inflation transite dans la zone creuse, autour de 1,1 %, alors que la Fed pourrait très bien tolérer qu’elle monte jusqu’à 2,5 %. Il souligne également que le taux réel de chômage est de 14,3 % (si on tient compte de ceux qui ont cessé de chercher un emploi), et non pas de 7 %, selon le Bureau of Labor Statistics.
Grands défis
La continuité et la stabilité que représente Janet Yellen ne doi-vent toutefois pas masquer les défis gigantesques qu’elle doit affronter.
Premier défi : réussir le fameux ralentissement de la dernière ronde d’assouplissement quantitatif sans handicaper la reprise économique et sans traumatiser les marchés financiers.
Une première tentative dans ce sens au début de l’été dernier n’a guère été convaincante, comme l’a montré la flambée de 100 points de base du rendement des obligations de 10 ans du gouvernement américain.
Tous les économistes à qui Finance et Investissement a parlé considèrent que le problème relève davantage de la percep-tion que de la réalité. L’accroc résulte essentiellement de cafouillages et d’imprécisions de la part de la Fed dans la communication de ses intentions.
Or, on s’attend à ce que Janet Yellen communique de fa-çon plus claire et plus précise que son prédécesseur, Ben Bernanke.
«Sa nomination arrive à point parce qu’elle était responsable du sous-comité des communications», indique Jimmy Jean.
Évidemment, le véritable défi n’est pas de ralentir la stimulation monétaire, mais d’y parvenir d’une façon qui ne fera pas dérailler l’économie. La plupart des économistes croient que la Fed réussira ce pari, et mieux encore sous la gouverne de Janet Yellen.
L’autre défi est celui de l’inflation qui, selon André Marsan, ne manquera pas de redémarrer entre 2015 et 2017.
«Janet Yellen sera-t-elle suffisamment proactive pour freiner l’inflation à temps ? Ce ne sera pas facile, parce que l’inflation est un processus qui, une fois enclenché, est difficile à arrêter.»
Sceptiques
La lutte à l’inflation est ce qui suscite le plus grand scepticisme à l’égard de Janet Yellen, un scepticisme qui se manifeste le plus chez ses collègues des diverses banques régionales de la Réserve fédérale.
Une des critiques les plus marquantes vient d’Alfred Broaddus, ex-président de la Réserve fédérale de Richmond, telle qu’elle est rapportée dans le Wall Street Journal (13 mai 2013) : «Je crains, disait-il, que l’approche qu’elle et bon nombre favorisent ait pour résultat de miner la crédibilité anti-inflation de la Fed.»
Autrement dit, quand viendra le moment pour la Fed de changer son fusil d’épaule et de lutter contre l’inflation, plutôt que contre le chômage, les acteurs économiques et les marchés ne croiront plus en sa détermination et en sa capacité de le faire.
Le temps le dira. Une chose est certaine : Janet Yellen est appelée à mener la Fed à bon port dans des eaux troubles dans lesquelles elle ne s’est jamais aventurée. C’est un défi immense et, pour l’instant, elle bénéficie d’un avantage majeur : les marchés financiers lui font confiance.
C’est pourquoi tous les spécialistes à qui nous avons parlé voient d’un bon oeil le parcours des marchés boursiers pour au moins un an encore. Ensuite, on verra.