Sonita Hovitch s’est entretenue avec Michèle Robitaille, directrice générale et spécialiste des actions de revenu chez Guardian, Jason Gibbs, vice-président et gestionnaire de portefeuille chez GCIC, et Peter Frost, vice-président et gestionnaire de portefeuille auprès de Placements AGF.
Voici la première partie d’une série de trois de cette table ronde.
La conjoncture des taux d’intérêt est en train de changer. Parlons de son impact sur l’univers des actions de revenu.
Michèle Robitaille (MR) : La psychologie des investisseurs a changé dès que la Fed a commencé à parler de désengagement au mois de mai. Cela a poussé les investisseurs à regarder à plus long terme, et reconnaître qu’ils sont à une époque où les taux d’intérêt vont augmenter. Cette discussion sur le désengagement en mai a eu un impact significatif sur les marchés des actions et des obligations. On a vu le rendement des obligations sur 10 ans au Canada et aux États-Unis se déplacer spectaculairement vers le haut dans les deux mois qui ont suivi. On a également vu des ventes massives dans la plupart des secteurs axés sur le rendement de la Bourse canadienne, notamment dans les fiducies de placements immobiliers (FPI), les oléoducs et les services publics. Les actions des télécommunications ont leur propre dynamique.
Jason Gibbs (JG) : Au début de 2013, il y avait beaucoup de gens de passage dans le segment des actions de revenu. Quand les taux d’intérêt ont atteint leur creux en février-mars, de nombreux investisseurs se sont précipités entre autres sur les FPI, les services publics et les gazoducs, sans nécessairement comprendre leurs données fondamentales. Cela s’est produit autant aux États-Unis qu’au Canada. Ces tableaux de prix sont devenus paraboliques aux mois de février, mars et avril. La discussion sur un désengagement graduel en mai a fait que certains de ces investisseurs de passage ont quitté l’espace des actions de revenu. Cela s’inscrit dans la correction marquée qui s’est produite pour certains noms. Les FPI, par exemple, ont décliné de façon assez abrupte.
Peter Frost (PF): La correction dans les FPI a été énorme.
MR : La majorité des secteurs d’actions de revenu ont subi une correction d’un bon 10 %. Sans compter que cette correction a été rapide. La correction des FPI a été probablement plus proche de 15 %. Les services publics ont aussi subi une correction sévère.
JG : Les FPI se sont repris.
PF : Les services publics aussi, après le recul des taux d’intérêt par rapport à leur apogée.
Qu’est-il arrivé aux actions bancaires pendant cette vente estivale massive?
JG : Elles se sont bien comportées.
PF : Les évaluations étaient attrayantes. Il y a également eu beaucoup de couvertures par positions à découvert chez les investisseurs américains.
PG : En somme, cette année a démarré en mettant l’accent sur les oléoducs, les services publics et les FPI, qui ont tous pris leur envol. Cela s’est inversé en mai-juin, quand les investisseurs se sont rués sur des titres à croissance supérieure, notamment ceux des marques technologiques. Cela commence à se calmer. Après tout, nous sommes en plein désendettement mondial, ce qui signifie une croissance économique mondiale inférieure à la normale et des taux d’inflation faibles. Les taux d’intérêt continueront à rester relativement bas sur le long terme.
PF : Le tableau macroéconomique ne correspond pas à l’exubérance du marché des actions. Les bénéfices vont bien mais ne sont pas fantastiques.
C’est le moment de discuter du rendement relatif de l’univers des actions canadiennes de revenu et des FPI comparativement à l’indice composé.
MR : Sur les 10 premiers mois de 2013, le rendement total de l’Indice des actions de revenu S&P/TSX a été de 13,85 % et le rendement total négatif de l’Indice plafonné des fiducies de placement immobilier S&P/TSX de 5,62 %. Le rendement total de l’Indice composé S&P/TSX a été de 10,28 %. L’indice des actions de revenu a aussi surclassé l’indice composé sur les 12 mois qui se sont terminés à la fin octobre, avec un rendement total de 14,81 % contre 10,99 % pour l’indice composé. L’indice des FPI a affiché des résultats négatifs de 3,40 % sur cette même période.
Qu’en est-il des évaluations et des perspectives?
PF : L’évaluation des actions de revenu semble être plus raisonnable comparativement au marché en général. Il faut aussi examiner les actions de revenu par rapport à des sources alternatives de revenu, comme les obligations. Les investisseurs sont à la recherche d’actions qui payent des dividendes pour remplacer le revenu.
JG : Les actions de revenu présentent toujours une évaluation raisonnable. Nous examinons les rendements des flux monétaires disponibles et la croissance des dividendes. Cette année a montré un besoin de croissance des dividendes de la part de ces entreprises.
MR : Ce changement pourrait avoir un impact négatif sur les FPI.
JG : Il pourrait aussi avoir un effet négatif sur les services publics.
MR : Les perspectives de croissance d’autres actions de revenu, telles que les compagnies oeuvrant dans l’infrastructure énergétique, sont assez spectaculaires par rapport à ce qu’elles ont été historiquement. Dans les deux cas, il s’agit de sociétés qui versent des dividendes élevés et ont de bonnes perspectives de croissance. Cette croissance est importante, dans l’éventualité d’une conjoncture où les taux d’intérêt seraient plus élevés.
JG : Les actions des oléoducs, en particulier, ont connu plusieurs années de surclassement majeur. Elles se stabilisent quelque peu cette année. C’est toujours un secteur excellent auquel participer.
PF : Je préfèrerais bien plus posséder une compagnie comme Enbridge ENB qu’une obligation.
Cela fait maintenant sept ans que le ministre des finances Jim Flaherty a annoncé qu’Ottawa comptait changer le traitement fiscal des fiducies de revenu canadiennes, univers qui était alors solide. Comment l’espace des actions de revenu a-t-il changé ?
PF : De nombreuses fiducies se sont bien adaptées à une structure de société par actions. Il est peu probable que la demande de revenu s’arrête. Les investisseurs ont du mal à trouver un revenu émanant de leurs portefeuilles obligataires et se tournent pour cela vers leurs portefeuilles d’actions. Beaucoup de sociétés s’en sont rendu compte et se concentrent davantage sur la création d’un revenu.
MR : Il y a eu beaucoup d’entreprises qui ont institué un dividende pour la première fois, ou qui ont augmenté leur dividende. C’est également le cas dans des domaines moins habituels comme les services pétroliers et les engrais. En dehors des FPI, qui bénéficient d’une clause de droits acquis, il reste peu de structures qui ne sont pas des structures de société par actions. La plupart des grandes fiducies de placement bien établies ont facilement fait cette transition.
Nous avons augmenté le nombre de secteurs dans lesquels nous investissons, par rapport à l’époque où nos fonds se concentraient sur les fiducies de revenu qui présentaient des rendements plus élevés. Le fossé s’est rétréci entre les rendements des anciennes fiducies de revenu, et disons, ceux des banques. C’est la combinaison d’une légère diminution des rendements des anciennes fiducies de revenu et de l’augmentation des rendements d’autres noms. Ces tendances se sont croisées à mi-chemin.
JG : L’explosion des fiducies de revenu au Canada était un signe des temps, très avant-coureur. La demande des investisseurs pour les flux monétaires et le revenu commençait à augmenter, tandis que l’envolée des fiducies de revenu débutait. Cette demande s’est poursuivie pendant la phase de croissance des fiducies de revenu. Depuis lors, cette demande de revenu s’est accélérée dans le monde entier. Une compagnie relativement stable qui a beaucoup de flux monétaires disponibles est sous pression de la part de ses actionnaires pour restituer une bonne partie de ces flux de trésorerie sous forme de dividendes, d’augmentations des dividende et de rachats de parts. Ces compagnies continuent à se développer, mais cette croissance est plus avisée.
PF : La gestion devient plus disciplinée dans l’affectation du capital, lorsqu’il faut en redonner une partie aux actionnaires.
MR : En fait, au fil des ans, de nombreuses compagnies ont gaspillé une grande partie des capitaux des actionnaires en essayant de trouver de la croissance.
JG : Sept ans plus tard, la thématique du revenu se poursuit, plus forte que jamais. On ne les appelle simplement plus des fiducies de revenu. Les compagnies répondent à cette demande de revenu. Par exemple, bien que Tim Hortons THI soit confrontée à beaucoup de concurrence, elle génère d’importants flux monétaires disponibles. Certains activistes ont suggéré qu’elle devrait emprunter davantage et restituer plus de flux monétaires disponibles aux actionnaires. Tim Horton a réagi, ce qui a renforcé la valeur de l’action.
PF : Cette même tendance est visible dans l’espace énergétique. Les producteurs de pétrole et de gaz naturel ont toujours été focalisés sur la croissance, mais ils se concentrent désormais davantage sur une croissance rentable et sur une restitution accrue du capital aux actionnaires.
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Photo Bloomberg