En vertu de cette approche systémique, on ne doit plus simplement s’attarder à la surveillance d’une seule institution à la fois (une approche «microprudentielle»), mais au système tout entier. L’idée est désormais si communément admise que le directeur de la recherche de la Banque des règlements internationaux, Claudio Borio, affirmait en 2009 : «Nous sommes tous macroprudentialistes maintenant.»
En effet, depuis la crise, les appels à une réorientation systémique se sont faits nombreux. Tant les universitaires que le G20, tous souhaitent que les régulateurs tentent de collecter de l’information sur les liens entre les banques et les risques de contagion afin de pouvoir instaurer un système d’alerte précoce en cas de fragilisation excessive du système financier.
En Europe, le Comité européen du risque systémique (CERS) a été créé, et en Grande-Bretagne, un comité de la Banque d’Angleterre a pour objectif premier «de reconnaître, de surveiller et de prendre des mesures pour supprimer ou diminuer les risques systémiques».
Aux États-Unis, la Réserve fédérale (Fed) a reçu le mandat de superviser les institutions financières systématiquement importantes sous le conseil du nouveau Conseil de surveillance de la stabilité financière (FSOC).
De nouveaux risques
Georges G. Kaufman, professeur de finance à l’Université Loyola de Chicago, croit que la nouvelle philosophie macroprudentielle est un changement majeur dans la manière de réglementer. «Dorénavant, nous aurons une réglementation pour les grandes banques et une pour les petites banques», affirme-t-il en entrevue.
Georges G. Kaufman écrit sur le risque systémique depuis plus de dix ans. Même s’il concluait avant la crise financière que le risque systémique était une rareté, il constate aujourd’hui que ce risque s’est accru en raison du changement dans la structure des banques. «Durant les années 1930, on assistait à des ruées de déposants vers certaines institutions, alors qu’en 2008, nous avons assisté à la ruée de banques vers d’autres banques», dit-il.
Cela dit, le problème est qu’on recherche encore une définition consensuelle du risque systémique, et que son sens demeure ambigu. Ce problème de définition pose un défi évident pour qui voudrait le mesurer. Même si tout le monde voulait surveiller le système financier et s’assurer qu’aucun risque systémique n’est en train de surgir, rares sont ceux qui savent comment le faire.
Pierre Chaigneau, professeur adjoint au Service de l’enseignement de la finance, à HEC Montréal, soutient que l’approche macroprudentielle est en manque d’un manuel d’instructions : «Personne ne sait encore précisément comment faire pour détecter le risque systémique», soutient-il en entrevue.
L’année dernière, l’Office of Finance Research (OFR), créé pour appuyer le FSOC dans son travail de supervision, faisait la revue de plus d’une trentaine de modèles économétriques pour prévoir le risque systémique. Les auteurs de l’étude concluaient que le risque systémique n’était pas encore tout à fait compris, et que les indicateurs proposés pour le mesurer étaient parfois contradictoires.
Pierre Chaigneau est également sceptique devant la «multiplication des organismes» : «Plutôt que de créer une énième agence, il serait préférable de confier la réglementation macroprudentielle à un organisme qui a les outils pour prévenir ou guérir les crises.»
À cet égard, le Canada semble avoir adopté une solution plus pragmatique. Au pays, l’approche systémique est une responsabilité partagée par le ministère des Finances et les organismes de réglementation, dont la Banque du Canada et le Bureau du surintendant des institutions financières. Ceux-ci ne se réunissent cependant pas périodiquement en conseil comme aux États-Unis.
Georges G. Kaufman croit pour sa part que le FSOC «ne peut pas nuire et aura probablement des bienfaits.»