«C’est certain que l’abolition aura un impact sur la valeur de revente des portefeuilles de fonds des conseillers», écrit dans un courriel Mario Grégoire, président du conseil d’administration du Conseil des professionnels en services financiers.
Tout particulièrement, juge-t-il, un acheteur devra être plus attentif que jamais à la structure des frais (frais d’entrée et de sortie, frais réduits, etc.), déjà cruciale dans l’évaluation d’une clientèle.
Ce propos est repris par Daniel Guillemette, président de Diversico, Experts-conseils et d’iGény, qui a une grande expérience en acquisitions de clientèles. Il en a réalisées plus de trois douzaines au cours des dernières années, dont 10 en 2016 seulement.
Il va déjà de soi que dans un portefeuille, la présence importante de fonds comportant des frais d’entrée ou de sortie ainsi que de fonds distincts avait déjà un effet sur la valeur de vente d’une clientèle, relève Daniel Guillemette.
La situation sera encore plus difficile pour l’acheteur en raison de l’abolition possible des commissions de suivi et de la divulgation obligatoire des frais, qui est maintenant en vigueur. En effet, l’acheteur devra préciser aux clients les honoraires qu’ils paient pour la gestion de leur portefeuille. «C’est moi [l’acheteur] qui reste avec la patate chaude, dit Daniel Guillemette. Le client peut être frustré et je risque de le perdre.»
Les situations que relèvent Mario Grégoire et Daniel Guillemette, déjà épineuses, le deviendront davantage avec l’abolition des commissions. Mais quel sera l’impact sur le portefeuille moyen ?
«La valeur [d’une clientèle] va manger une volée ! Elle pourrait chuter de moitié», lance Flavio Vani, président de l’Association professionnelle des conseillers en services financiers (APCSF).
«Qui achètera un book de clients dont il n’est pas certain qu’ils le suivront, parce qu’il devra aller négocier des honoraires avec chacun ?» ajoute-t-il.
Pour Flavio Vani, la situation est urgente au point que l’APCSF convoque toute l’industrie à des états généraux pour discuter de l’abolition des commissions de suivi, le 30 novembre, à Laval.
«Ce sont les petits épargnants qui vont en souffrir, soutient Flavio Vani. Ils représentent 50 % de notre clientèle. Le gouvernement est en train de dire aux citoyens : « Tous ceux qui ont moins de 100 000 $ d’épargne, vous ne méritez pas les services de professionnels »».
Pour sa part, Maxime Gauthier dit «inviter les ACVM à la plus grande prudence. Si elles perturbent la rémunération, ça peut se traduire par un accès difficile au conseil pour les petits épargnants», explique le chef de la conformité et représentant en épargne collective chez Mérici Services Financiers.
Maxime Gauthier partage certaines préoccupations de Flavio Vani, sans être aussi pessimiste que ce dernier. Il fait confiance au bon sens des autorités de réglementation.
«Les ACVM n’ont aucun intérêt à détruire l’industrie et la valeur des clientèles ; elles sont très conscientes que la rémunération en constitue une dimension cruciale», dit-il.
Toutefois, Maxime Gauthier dit avoir bien réfléchi à la situation et préparé diverses «pistes d’orientation», advenant l’abolition des commissions de suivi.
Tant pour lui que pour Daniel Guillemette, l’élément clé de l’impact sur la valeur d’un book tient au fardeau administratif qu’imposera une formule de rémunération autre que des commissions de suivi.
Advenant l’abolition des commissions, la première solution la plus probable, selon Maxime Gauthier, serait de recourir à des fonds de série F (sans commission de suivi intégrée) auprès de manufacturiers de fonds communs de placement.
Dans un tel cas, le conseiller rencontrerait son client pour convenir d’un taux d’honoraires, par exemple 1 %, qui serait prélevé chaque trimestre par le manufacturier à même l’actif du client. Un seul hic : «Le courtier doit payer les taxes de cette transaction, ce qui représente un petit fardeau administratif», signale Maxime Gauthier.
Une autre solution serait que les honoraires des conseillers soient administrés par les courtiers sur la base d’un contrat d’adhésion signé par les clients, avance Maxime Gauthier. Là aussi, le courtier retiendrait la rémunération à même la vente trimestrielle d’unités dans les portefeuilles des clients.
Troisième piste : le recours aux services d’une institution comme B2B Banque. «Plutôt que d’ouvrir un compte au nom des clients auprès de chaque manufacturier de fonds, on passerait par B2B, qui ferait le lien avec chaque manufacturier et administrerait les honoraires,» explique Maxime Gauthier.
«L’une ou l’autre de ces pistes ne toucherait que marginalement la valeur d’un book», juge-t-il.
Daniel Guillemette est plus restrictif : «On ne doit pas facturer le client nous-mêmes. Il faut que les honoraires soient prélevés par le manufacturier. Nous ne devons pas avoir à courir après les clients et nous demander s’ils vont nous payer ou pas. Par contre, tout doit être transparent avec le client.»