C’est ainsi que l’avocat Yves Ouellette, associé chez Gowlings, justifie la plainte qu’il a introduite contre l’Autorité des marchés financiers (AMF) à la Commission d’accès à l’information.
La plainte est toujours en cours, selon Me Ouellette, qui l’a déposée en 2008.
Il allègue qu’en dépit des assurances de confidentialité données à son client Éric Lacouture, cité comme témoin lors de son enquête sur Michel Marcoux, président d’Avantages Services financiers, en 2008, la confidentialité balisée par une ordonnance rendue par l’AMF n’a pas été respectée.
Au cours de l’interrogatoire d’Éric Lacouture mené par l’inspecteur de l’AMF Gaétan Paul, ce dernier explique que «tout ce que vous direz ne pourra être retenu contre vous lors d’éventuelles procédures criminelles ou pénales, sauf en cas de parjure».
L’inspecteur assure en outre que le témoignage ne sera pas utilisé dans d’autres procédures, notamment des procédures civiles.
Cependant, voilà que, non seulement le dossier d’Éric Lacouture s’est retrouvé au fisc, mais aussi, tous les éléments du dossier d’enquête sur Michel Marcoux ont été envoyés à la syndique de la Chambre de la sécurité financière (CSF). Même les interrogatoires menés par Gaétan Paul, même les preuves saisies en vertu d’un mandat de perquisition dans le cadre d’une procédure pénale.
Un dossier transféré
Lorsqu’une enquête est conclue par l’AMF, cette dernière doit en référer à la syndique de la CSF, qui évalue si des recours disciplinaires sont nécessaires.
C’est le chemin que choisit la syndique de l’époque, Léna Thibault, à laquelle les pouvoirs permettent d’exiger des membres de la CSF qu’ils lui fournissent des documents. Elle peut aussi demander qu’on lui fournisse toutes les preuves.
«J’ai vu des dizaines de dossiers circuler entre l’AMF et la CSF», explique Patrick Ouellet, de Woods, spécialiste du litige en valeurs mobilières.
Sans présumer de tous les éléments du dossier, il estime quand même que le problème n’est pas si simple. «Si l’AMF ne transmettait que des dossiers partiels, de quoi aurait-elle l’air ?»
Il n’est pas étonnant que les deux organismes, qui poursuivent les mêmes fins, s’échangent des informations, estime pour sa part l’avocat André Bois, de Tremblay Bois Mignault Lemay, à Québec.
De plus, le syndic a au moins l’obligation d’investiguer sur l’affaire. Déposer des accusations après l’AMF est cependant un pouvoir discrétionnaire, juge-t-il.
«Ce que je trouve tout à fait excessif, c’est que dans le domaine de la profession financière, les occasions de répression sont multiples. C’est la démesure complète. Oui, ils ont les pouvoirs, mais ils ne sont pas obligés de les exercer.»
Divulgation
Dans l’affaire Marcoux, l’AMF a documenté son dossier à l’aide notamment d’un mandat de perquisition obtenu en vertu du Code de procédure pénale, qui restreint l’utilisation de cette preuve.
En outre, les enquêtes de l’AMF se déroulent à huis clos, personne ne peut donc y assister. Pourtant, l’essentiel de la preuve – et les témoignages des individus à qui on a assuré la confidentialité – s’est retrouvé dans les mains de la syndique de la CSF.
Une fois qu’on a statué sur la cause pénale, même si la preuve n’est pas rendue publique, «le syndic y a normalement accès», explique Pierre-Gabriel Guimont, syndic adjoint du Barreau du Québec.
Selon les informations recueillies auprès d’autres juristes, les règles de divulgation de la preuve sont claires. Si un syndic veut les utiliser dans un autre contexte, il le pourra en s’adressant à la Cour. Les juges s’y opposent rarement.
Dans la divulgation de la preuve à la syndique de la CSF, consultée par Finance et Investissement, c’est l’enquêteur de la CSF, Donald Poulin, qui demande toutes les pièces au dossier par courriel et par téléphone à l’AMF. Tout simplement.
Sans commenter la cause directement, Marie-Claude Sarrazin, associée chez Sarrazin Plourde, met en garde contre une interprétation trop restreinte des moyens qu’ont les syndics d’accumuler des preuves.
«Un membre a l’obligation de fournir les documents exigés par le syndic», explique la spécialiste du droit professionnel, selon qui «un syndic peut demander tous les documents dans le cadre de son enquête. C’est une superposition de régimes ; ce serait trop facile sinon pour un membre [de la CSF, par exemple] de refuser» de transmettre les documents nécessaires à l’enquête du syndic sous prétexte qu’ils ont fait l’objet d’une saisie.
Yves Ouellette, se dit préoccupé par la situation. «C’est comme si un juge de la Cour supérieure rendait une décision ordonnant le huis clos, et qu’il prenait lui-même les documents et les transmettait à d’autres. Je ne suis pas sûr que dans notre système, on accepterait ça. C’est un peu surprenant que l’Autorité permette de telles choses, c’est le moins qu’on puisse dire.»
À l’AMF, on dit se fonder «en règle générale» sur l’article 191 de la Loi sur les valeurs mobilières, qui édicte qu’elle «peut échanger des renseignements personnels avec un syndic».
Quant à la CSF, elle se réfère à l’article 188 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers, qui décrète la même chose.
NDLR : Veuillez noter qu’un litige oppose Me Ouellette à Michel Marcoux dans un autre dossier.