Risque accru pour les assureurs vie
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Se référant à une étude de l’Institut canadien des actuaires (ICA) et sans préciser de chiffres, le rapport de l’AMF souligne que «la mise à jour de l’hypothèse de déchéance dans les provisions mathématiques […] a par conséquent eu un impact défavorable pour plusieurs assureurs en 2015».

Entre les prévisions et la réalité

«Les déchéances nuisent maintenant à la rentabilité des compagnies d’assurance», confirme Luc Farmer, vice-président et actuaire chez Eckler, à Montréal. «C’est un risque plus élevé que la mortalité, en grande partie parce que la mortalité est un risque mieux chiffré et où il est plus facile de partager le risque avec un réassureur.»

Une police tombe en déchéance lorsqu’elle cesse d’être en vigueur avant la fin prévue au contrat, explique l’AMF dans un courriel transmis à Finance et Investissement.

Le pourcentage d’assurés qui mettent fin à leur contrat chaque année avant l’échéance prévue au contrat est une hypothèse que l’assureur pose lors de la tarification du produit ou lors de l’évaluation de ses provisions mathématiques, au même titre que l’hypothèse de mortalité, par exemple.

Lorsque le pourcentage de clients qui mettent fin à leur police est différent de l’hypothèse prévue dans la tarification ou lors de la dernière évaluation actuarielle, cela génère des gains ou des pertes pour l’assureur, d’où le risque de déchéance.

Les produits actuellement problématiques, selon l’AMF, sont les polices d’assurance temporaire 100 ans et les polices d’assurance vie universelle à coût d’assurance nivelé.

Pour les polices temporaires 100 ans émises dans les années 1990, par exemple, produits qui n’offrent pas de valeur de rachat, les compagnies ont calculé un taux de déchéance trop élevé. Cela s’est reflété par des primes plus basses et des provisions de capital moins élevées.

«Des taux de déchéance plus faibles que ceux anticipés pour ces produits génèrent donc des pertes pour les assureurs», explique le rapport annuel de l’AMF.

Pour d’autres produits, par exemple des polices temporaires renouvelables, le risque est inversé. «Quand les détenteurs abandonnent leurs polices plus tôt que prévu, les assureurs perdent de l’argent», précise Luc Farmer.

Selon l’étude de l’ICA sur laquelle l’AMF se base, le taux de déchéance des polices temporaires 100 ans a fléchi de près de la moitié au cours des dernières années. De 2,3 % pour la période 1999-2004, il est tombé à 1,2 % pour la période 2005-2012. Pour les polices à coût d’assurance nivelé, les taux de déchéance pour les mêmes périodes ont décliné de 4,8 % à 3,5 %.

Clients mieux éduqués

«On constate que les gens sont de plus en plus éduqués [et n’abandonnent pas leurs polices lorsque c’est à leur désavantage], explique Luc Farmer. Si [les gens] étaient parfaitement formés, les assureurs ne se retrouveraient avec aucune déchéance pour les produits temporaires 100 ans aux âges avancés.»

L’abandon de polices par les personnes âgées qui cessent de payer leurs primes tient à plusieurs raisons : maladie d’Alzheimer, mauvais conseils, revenus insuffisants, etc.

Or, abandonner une police temporaire 100 ans à un âge avancé est particulièrement mal avisé. «La personne n’a à payer, par exemple, que 1 000 $ par an pendant quelques années, et sa succession reçoit 100 000 $, illustre Luc Farmer. Pas un placement au monde ne peut donner un tel rendement !»

Effet marginal

De ce qui précède, il ressort que «les compagnies qui ont émis plusieurs contrats de type T100 dans les années 1980 à 2000 sont plus impactées négativement par le risque de déchéance», souligne l’AMF dans son courriel.

Toutefois, même si le risque de déchéance est plus élevé aujourd’hui, l’impact sur les assureurs reste en général relativement marginal, juge Luc Farmer. «Même si les déchéances ont été défavorables, le coût a été compensé par d’autres éléments favorables. Dans l’ensemble, l’industrie est bien capitalisée.»

En effet, outre celui de déchéance, d’autres risques touchent l’industrie de l’assurance, notamment les risques de mortalité, de placement, d’hypothèse de dépense, rappelle Luc Farmer.

Or, au cours des 20 dernières années, si le risque de déchéance a été défavorable en général, les risques liés à la mortalité et au placement ont été plutôt favorables. Les gens vivent plus longtemps, ce qui accroît les revenus des compagnies. Les taux d’intérêt ont été défavorables, mais les assureurs ont mieux géré leurs placements, ce qui a entraîné un effet financier positif.

Le risque de déchéance est appelé à s’amenuiser au cours des prochaines années, comme l’explique le courriel de l’AMF.

«Pour les futures polices d’assurance, l’élimination (ou du moins la diminution) de ce risque surviendra à la suite d’un ajustement à la hausse du prix de ce type de produits d’assurance en utilisant, lors de prochaines tarifications, des hypothèses qui refléteront beaucoup mieux la réalité courante quant aux taux d’abandon réels de ces produits d’assurance. Le phénomène est déjà amorcé, d’ailleurs, depuis quelques années.»