La crise financière mondiale de 2008-2009 a créé ce qu’on peut appeler une « nouvelle normalité » pour les conseillers financiers et leurs clients, qui ont affaire à une volatilité plus élevée, des rendements plus bas et un risque plus grand pour des obligations souveraines autrefois considérées sans risque.
« Avant la crise, cette ancienne normalité aurait été caractérisée par des corrélations typiques entre catégories d’actifs, qui n’étaient pas disloquées par les grands problèmes macroéconomiques », dit Margaret Franklin, PDG de Marret Private Wealth, division de la société torontoise Marret Asset Management. « Toutefois, comme l’ont écrit Rinehart et Rogoff dans leur ouvrage This Time is different, les crises financières sont presque toujours suivies par des crises d’endettement des nations, qui ont des implications sérieuses pour les marchés mondiaux. »
Margaret Franklin, qui était présidente de l’institut des CFA entre 2010 et 2012, interviendra à la Conférence Morningstar sur le placement, le 5 juin. Sa présentation a pour titre « From theory to practice : the professional opportunity in the New Normal » (De la théorie à la pratique : l’occasion professionnelle présentée par la Nouvelle Normalité).
Dans un entretien avec Morningstar, Margaret Franklin a noté que 2008 avait mis un terme à une période de 26 ans caractérisée par des rendements à deux chiffres, et une baisse des taux d’intérêt et de l’inflation. « Cette période a donné lieu à des gains de productivité extraordinaires causés par la technologie et la libération des marchés de la main d’oeuvre. Elle a créé un environnement fabuleux pour les actions et les obligations. Mais en 2008, tout a changé. »
Avec les rendements affaiblis en raison d’une croissance économique bloquée par un endettement excessif des gouvernements et des consommateurs, la plupart des investisseurs sont confrontés à une situation que peu de gens ont connue auparavant. « La nouvelle normalité est caractérisée par des corrélations plus élevées entre catégories d’actifs, une volatilité plus grande et des rendements plus bas, qui correspondent à un environnement de désendettement », dit Margaret Franklin.
« Le problème, c’est que les outils traditionnels utilisés par les conseillers pour fournir stabilité et sécurité à leurs portefeuilles (les obligations gouvernementales) comptent parmi les instruments les plus risqués. Selon le pays, la qualité du crédit peut être un problème. Mais le problème principal est celui des taux d’intérêt ultra-faibles. Toute hausse brutale des taux d’intérêt créerait une grande volatilité sur le marché des obligations gouvernementales. »
Ces faibles rendements ont poussé certains investisseurs à graviter vers des actifs plus risqués, comme les obligations à rendement élevé. « Le problème est que les gens se retrouvent avec des actifs qu’ils n’auraient peut-être pas achetés autrement, et ils n’en comprennent sans doute pas tous les risques, dit Margaret Franklin.
Voilà pourquoi il est important de comprendre que les moteurs du risque et du rendement et la corrélation des actifs commencent à revêtir une importance considérable. Et c’est l’un des domaines principaux où les conseillers peuvent apporter de la valeur. » Madame Franklin a passé les 10 premières années de sa carrière d’investisseuse du côté institutionnel. Elle a commencé à servir des clients privés il y a 11 ans, quand elle est entrée à K. J. Harrison & Partners, et a lancé en 2010 la société qui s’appelle maintenant Marret Private Wealth.
Pour illustrer comment les choses ont changé au cours de la dernière décennie, Margaret Franklin explique que les conseillers avaient coutume de s’en remettre à des questionnaires demandant aux investisseurs d’exprimer leur profil de risque. Quelqu’un peut avoir un profil de risque « moyen », par exemple, qui inspirera sa répartition d’actifs.
Depuis 2008, le dialogue client/conseiller a considérablement changé. « La conversation avec le client sur la structuration des portefeuilles est beaucoup plus solide en ce qui concerne l’élément du comportement. Une discussion a lieu sur ce qu’il faut que nous fassions pour les clients, et pour déterminer d’où pourraient venir les menaces ou les occasions, dit Margaret Franklin. Mais cette conversation ne porte pas sur les risques et les rendements des investissements comme on l’entend d’habitude, mais plutôt sur les objectifs réels du client. À cause de la pénurie de rendements des corrélations plus élevées et d’une plus grande volatilité, cette conversation est devenue beaucoup plus importante. »
Le plus gros défi est sans doute le fait que le monde ne se caractérise plus par une croissance illimitée de la productivité et des rendements à deux chiffres. De fait, selon Margaret Franklin, « nous en sommes arrivés en 2008 à ce que j’appelle l’âge des limites, que ce soit pour les rendements, les salaires ou les avantages sociaux, et ce parce qu’il faudra peut-être encore dix ans pour résoudre toutes les questions fiscales. »
Compte tenu des problèmes macroéconomiques, les conseillers doivent moins se concentrer sur les calculs et le jargon, et s’employer davantage à utiliser un langage compris de tous. « Ensuite, nous pourrons combler les vides comme le fait un professionnel, dit Margaret franklin. Nous autres conseillers devons écouter le client avec beaucoup d’attention et l’aider à exprimer ce dont il a besoin. C’était plus facile dans un environnement à hauts rendements. Mais en cet âge des limites, ces contraintes créent des compromis. Comprendre ces compromis va être d’une importance capitale, autant pour le client que pour le conseiller. »
Supposons par exemple qu’un client ait peu de tolérance pour la volatilité boursière. Il en résultera que le conseiller construira peut-être un portefeuille au potentiel de rendements réduit et consacrera beaucoup de temps à déterminer le soi-disant taux de dépense du portefeuille. « Pour atténuer la volatilité, le conseiller réduit le risque, mais il travaille aussi avec le client du côté des dépenses », dit Margaret Franklin, notant que les conseillers devraient tenir compte de la totalité des actifs d’un client, y compris le capital humain, les placements non enregistrés et l’immobilier.
À l’âge des limites, ajoute-t-elle, les conseillers utilisant des logiciels de planification doivent vraiment accorder toute leur attention aux rendements des placements. « On peut mettre sur pied un plan pour un client avec des rendements optimistes, mais cela pourrait être dommageable pour le client. Les rendements réalisés seront moins élevés. Voilà un domaine où les conseillers peuvent ajouter une valeur extraordinaire : le type de rendement auquel on peut s’attendre. »
Margaret Franklin, qui a travaillé pour State Street Global Advisors, pour la division de Mercer consacrée aux services conseils sur les rendements, et pour Barclays Global Advisors, est entrée plus tard à Altamira, où elle a rencontré Barry Allan, le fondateur de Marret Asset Management. Entre-temps, elle a passé huit ans du côté de la clientèle privée après s’être jointe à K. J. Harrison & Partners.
Il y a trois ans, Margaret Franklin a lancé Kinsale Private Wealth et s’est liguée pour cela avec Barry Allan, puisqu’ils partageaient le même avis sur la manière dont les placements devraient être gérés. « Du moment que l’on pouvait gérer la volatilité, créer on bon flux de rendements et prêter attention à l’expérience du risque qu’a le client, on gardait ce dernier dans un programme bien conçu. C’était ça, la clé du succès », dit-elle, ajoutant qu’en novembre dernier la firme est devenue une division de Marret Asset Management.
Bien que les conseillers doivent évaluer la difficulté de procurer des attentes réalistes, Margaret Franklin dit que les investisseurs sont prêts à écouter. « La conversation ne porte pas sur le surclassement par rapport au point de repère, mais sur la nécessité de structurer le portefeuille à l’âge des limites et des contraintes. Il incombe à l’investisseur de comprendre cette structure, qui correspond à son horizon temporel.