Pour démontrer ce qu’il estime être l’inutilité de cet outil, il brandit quatre arguments, présentés ci-dessous avec les réactions de deux défenseurs du plan de retraite, Hélène Gagné, planificatrice financière et gestionnaire de portefeuille chez PWL Capital et auteur de Votre retraite crie au secours, et Dany Provost, directeur, planification financière et fiscale, chez SFL Cité de Montcalm, et chroniqueur à Finance et Investissement.

1. L’impossibilité de prévoir

Rusty Holcombe s’étonne que des conseillers essaient de prédire l’avenir. «Personne n’a de boule de cristal», dit ce CFP (Certified Financial Planner) américain, titulaire d’une maîtrise en fiscalité.

Il croit que l’exercice est encore plus insensé lorsqu’une personne est en début de carrière. «Il est absurde de demander à un jeune dans la vingtaine, qui ne sait pas encore qui il est, ce qu’il veut à la retraite», dit-il.

Les partisans du plan de retraite conviennent que beaucoup de choses changent avec le temps (par exemple les règles fiscales, l’inflation et le rendement). Malgré tout, ils trouvent cet exercice valable à condition qu’il ne soit pas statique. «C’est sûr que la réalité ne sera pas exactement comme dans le plan, dit Dany Provost. Mais ponctuellement, le conseiller refait l’exercice, raffine le plan et converge vers des valeurs de plus en plus certaines.»

Hélène Gagné partage cet avis et recommande même d’actualiser les données et les hypothèses du plan tous les trois à cinq ans.

Les deux experts admettent que la marge d’erreur est plus grande quand il s’agit de jeunes. «Cependant, le plan de retraite permet aux jeunes qui veulent épargner tôt d’avoir un objectif en tête, un point de départ», note Hélène Gagné.

2. Seul but : réduire les craintes

«Ce que fait surtout le plan de retraite, pense Rusty Holcombe, c’est de réconforter les travailleurs et les entrepreneurs. Il leur dit : « si vous faites telle ou telle chose, vous aurez tel ou tel résultat ». Mais cette pensée est pernicieuse, car trop d’événements aléatoires peuvent se produire.»

Aux yeux de ce détracteur, l’industrie financière exploite ces inquiétudes en faisant miroiter aux gens l’idée qu’elle peut tracer le chemin à parcourir pour avoir une retraite impeccable. «On les aide à moins craindre l’avenir, et non à planifier leur retraite», dit-il.

Hélène Gagné et Dany Provost conviennent que beaucoup de gens ont peur de l’inconnu, dont la retraite. «Or, il est agréable de dormir sur ses deux oreilles», rappelle Hélène Gagné.

L’industrie financière le comprend et propose souvent des solutions. Par exemple, le secteur de l’assurance aide les particuliers à gérer des risques.

«On peut dire la même chose du plan de retraite, dit-elle. On pourrait même l’appeler la « gestion des risques inhérents à la retraite ». Mais en réalité, l’exercice serait le même.»

Les deux experts pensent aussi qu’en donnant aux particuliers un plan à suivre, on augmente leurs chances de réussite. «Le plan donne une méthode pour arriver à ses fins, un encadrement serré…», dit Dany Provost.

3. Le risque d’induire en erreur

Selon Rusty Holcombe, dans certains cas, le plan de retraite peut carrément être une illusion et induire les gens en erreur.

«Je deviens nerveux, dit-il non sans ironie, lorsque je vois des plans financiers complexes et que je constate qu’ils se composent à 80 % de prévisions. Aucun de ces plans ne prend pour hypothèse que la personne aura des revenus inférieurs avec les années.»

«Des hypothèses trop optimistes, continue-t-il, peuvent être nocives. Le client peut penser qu’il n’a plus d’effort à faire. Même si le conseiller le prévient des limites de ces extrapolations, l’individu peut croire aux chiffres qu’il voit et en être influencé.»

Les défenseurs du plan de retraite conviennent qu’il est possible de planifier de tels scénarios jugés trop optimistes. Mais ils estiment que les conseillers ont les outils nécessaires pour éviter ces situations.

Dany Provost souligne en outre que l’Institut québécois de planification financière (IQPF) aiguillonne les conseillers en fournissant année après année des barèmes pour les hypothèses utilisées dans les prévisions.

«En 2012, poursuit-il, j’ai testé des prévisions faites en 2006 à l’aide de données de même nature. La marge d’erreur allait de 0,6 à 2 % sur 6 ans. Nous n’avions donc pas estimé le chiffre exact, mais nous étions très près.»

L’actuaire rappelle aussi que les conseillers peuvent utiliser le modèle de Monte Carlo, avec lequel il est possible d’appliquer un écart-type sur les hypothèses et de produire trois scénarios : pessimiste, optimiste et moyen. «Cette approche permet d’avoir une vue d’ensemble», indique-t-il.

Pour sa part, Hélène Gagné croit que les conseillers devraient toujours utiliser les hypothèses les plus conservatrices possibles dans le but de les dépasser.

«Le client sera déçu de voir le faible rendement qui est affiché dans la prévision, précise-t-elle. Il faudra alors lui expliquer qu’il ne s’agit pas de la performance ciblée, mais bien de la plus petite valeur espérée.»

4. Le présent garant de l’avenir

Rusty Holcombe croit qu’au lieu de mettre l’accent sur la retraite, les conseillers devraient s’appliquer à donner les outils nécessaires aux clients pour qu’ils soient en bonne santé financière dès aujourd’hui. S’ils prennent les bonnes décisions maintenant, leur avenir sera assuré.

«Au lieu de porter leur attention sur le futur, raconte-t-il, ils doivent se concentrer sur le moment présent et se demander s’ils paient trop de frais, s’ils détiennent de bons placements, etc. Moi, par exemple, je planifie deux à trois objectifs financiers pour l’année suivante. Il peut s’agir de rembourser un prêt, d’acheter une maison, etc.»

Aux yeux du conseiller financier, l’important, c’est de créer de la richesse dès aujourd’hui. «Certains le font en démarrant une entreprise, dit-il. D’autres gagnent un revenu et ajustent leurs dépenses afin d’épargner de 10 à 15 %.» De fil en aiguille, ils accumulent des actifs pour la retraite.

Dany Provost, pour sa part, balaie cette idée de la main. «Comme la situation d’un individu va varier tout au long de sa vie, il est important de planifier à long terme pour niveler le niveau de vie dans le temps, pense-t-il. Parfois, il ne pourra pas épargner ; parfois, il mettra les bouchées doubles.»

L’actuaire pense même qu’il est risqué d’axer sur l’enrichissement à court terme. «À la limite, dit-il, nous pourrions tous vivre dans une maison de chambres, prendre le transport en commun et manger dans les banques alimentaires… Notre compte de banque serait bien garni. Mais l’objectif n’est pas de mourir en laissant derrière nous un compte plein à craquer…»

Hélène Gagné, quant à elle, convient qu’il faut poser les bons gestes aujourd’hui pour atteindre ses objectifs demain. «D’ailleurs, fait-elle remarquer, le plan de retraite est une sous-composante de la planification financière globale.»

La conseillère s’oppose cependant à l’idée de planifier annuellement. «On manque de perspective, souligne-t-elle. C’est comme regarder l’arbre au lieu de la forêt.»

«C’est pourquoi, poursuit-elle, la plupart des plans vont déterminer les gestes à poser au cours des cinq prochaines années.» Cela est vrai pour le plan d’affaires, pour le plan politique quinquennal, etc.