Ce sera un environnement où le plus adapté survivra.

Le constat est brutal, mais très plausible, juge Rudy Luukko, rédacteur, investissement et finances personnelles, chez Morningstar, à Toronto.

«L’environnement est difficile pour l’industrie, dit-il, surtout après les deux marchés baissiers qui ont suivi l’éclatement de la bulle technologique et la crise de 2008.»

Les fonds communs d’actions s’en ressentent tout particulièrement. Selon l’Institut des fonds d’investissement du Canada (IFIC), rapporte Rudy Luukko, les rachats nets de parts ont été de 14,1 G$ en 2012, en hausse par rapport à 2011, où ils avaient été de 10,8 G$.

«Les ventes de fonds d’actions ne se sont jamais vraiment rétablies après 2008», observe-t-il.

Il ne faut toutefois pas conclure que c’est la débandade totale. D’autres catégories ont compensé la chute dans le secteur des fonds d’actions.

Par exemple, les ventes nettes de fonds d’obligations ont atteint 19 G$ en 2012, malgré un rendement anémique de 2,2 % en 2011. Dans les fonds équilibrés, les ventes se sont établies à 27,4 G$, ceux-ci ayant toutefois donné un meilleur rendement : de 6 à 8 % en 2012.

Facteurs de pression

Comme il fallait s’y attendre, la pression vient en partie des fonds négociés en Bourse (FNB).

Certes, les actifs sous gestion dans ce secteur n’atteignent pas ceux des fonds communs, mais leur croissance est explosive. Par exemple, les actifs sous gestion du HXT, un FNB qui suit le TSX60, sont passés de 387 M$ à un peu plus d’un G$ en moins de deux trimestres, soit de la fin du 3e trimestre de 2012 à la fin de février 2013.

«C’est un des changements fondamentaux du paysage financier de la dernière décennie, fait ressortir Rudy Luukko : les investisseurs disposent de plus en plus de moyens pour rivaliser avec les gestionnaires institutionnels.»

Les pressions qui s’exercent sur l’industrie des fonds communs ne s’arrêtent pas là. L’étude de Casey Quirk en dénombre quatre autres qui gagneront en importance.

Premièrement, l’émergence et la démocratisation croissante des investissements alternatifs (stratégies de couverture, dérivés financiers et structures innovatrices) concurrencent de plus en plus les gestionnaires qui n’investissent qu’à long terme.

Deuxièmement, les investisseurs, tant institutionnels qu’individuels, des pays émergents sont les nouveaux clients à plus forte croissance de l’industrie, appuyés par une population en croissance. Dans les marchés développés, la démographie déficitaire et la concurrence féroce qui en résultera nivelleront la croissance du domaine de la gestion d’actifs.

Troisièmement, les investisseurs institutionnels et les acheteurs professionnels se déplacent de plus en plus vers des structures de répartition d’actifs mondiales largement réparties géographiquement. Cela se fera aux dépens des portefeuilles concentrés sur les actifs de pays uniques.

Quatrièmement, la croissance des revenus futurs proviendra des individus fortunés disposant d’actifs entre 5 et 30 M$, et non plus d’institutions. Cet argent viendra par exemple de boomers qui retireront leurs épargnes de régimes de pension et d’entrepreneurs de pays émergents qui liquideront leurs entreprises familiales et en réinvestiront les fonds.

Prédiction étonnante : «entre 2012 et 2017, les quatre cinquièmes des revenus de l’industrie proviendront d’individus», affirme l’étude de Casey Quirk.

Comment les firmes de gestion de portefeuille peuvent-elles survivre dans un tel environnement ?

Celles qui prospéreront sont celles qui trouveront aux problèmes exposés précédemment les solutions adéquates.

Par exemple, elles devront développer des capacités de gestion pouvant offrir un rendement élevé, justement dans la catégorie des actifs alternatifs. Elles devront proposer des frais de gestion plus concurrentiels, tout particulièrement à l’endroit du secteur des FNB.

Elles devront également mettre au point des compétences en répartition multi-actifs orientés vers des rendements plus performants. Ce savoir en répartition d’actifs est la valeur que les clients désirent le plus, «mais la moins développée dans l’industrie», indique l’étude.

Tout particulièrement, les firmes devront revoir les compétences de leur personnel et leurs relations clients.

Elles devront établir des philosophies d’investissement très claires, qui s’articulent de façon pratique dans l’interface avec le client et qui s’assurent de répondre aux besoins spécifiques de ce dernier.

Elles devront aussi mettre en place des modes de rémunération et des incitatifs qui retiennent le meilleur talent.

Yariv Itah, associé de Casey Quirk, donne des exemples très concrets des changements qui s’imposent.

«Actuellement, dit-il, le représentant qui interagit avec le client est spécialiste d’un produit, mais ce qu’il faut, c’est un conseiller qui comprend l’ensemble du portefeuille du client. Et la répartition d’actifs qu’il fait ne doit plus être centrée seulement sur la gestion du risque, mais sur la capacité à générer du rendement.»

Rudy Luukko constate que l’industrie du placement semble en effet avoir perdu de vue ses clients.

«Une tendance se manifeste dans toute l’industrie : on néglige de rejoindre les clients pour s’occuper plutôt de lobbying auprès des régulateurs et des gouvernements, dit-il. On semble plus intéressé à préserver l’acquis qu’à le développer.»

«Dans l’ensemble, je suis d’accord avec les propositions de l’étude de Casey Quirk», affirme Pierre Saint-Laurent, maître d’enseignement et responsable du programme DESS en profession financière, à HEC Montréal.

«L’évolution démographique fait en sorte que les clients se déplacent vers les fonds d’obligations, poursuit-il. Comment combattre cette tendance ? Avec les placements alternatifs, les marchés émergents, toutes les solutions à base d’alpha. Il faut savoir manier le levier financier et la vente à découvert, et savoir naviguer dans les marchés émergents. Mais les gestionnaires seront-ils là pour le faire ? Ceux qui savent bien le faire sont plutôt rares. Dans le placement alternatif, beaucoup sont appelés, peu sont élus.»