«À l’issue d’un examen approfondi de ces données et de nombreuses autres études indépendantes corroborant l’effet défavorable sur les investisseurs et l’efficience du marché des conflits attribuables aux commissions intégrées, les ACVM ont déterminé qu’elles détenaient suffisamment de preuves pour envisager des mesures réglementaires à l’égard de ces commissions», peut-on lire dans l’Avis.
Les ACVM jugent que les commissions intégrées présentent trop de risques pour les investisseurs en raison des conflits d’intérêts qui peuvent en découler. Elles proposent de remplacer les commissions par des modes de rémunération directe.
Pour certains acteurs de l’industrie, en s’attardant à cette question avant d’avoir achevé les autres réformes en cours, les ACVM font fausse route. L’Institut des fonds d’investissement du Canada (IFIC) a dit souhaiter qu’elles réévaluent leur proposition.
«Les organismes de réglementation doivent absolument tenir compte des forces du marché qui ont refaçonné et rationalisé le secteur au profit des investisseurs», a fait savoir Joanne De Laurentiis, présidente et chef de la direction de l’IFIC, par voie de communiqué.
Elle ajoute que «l’arrivée des technologies qui permettent l’automatisation de certains éléments contribuera à réduire les frais de distribution, tandis que la croissance explosive des fonds de série F permet aux investisseurs d’avoir accès à des options de tarification plus nombreuses en matière de conseil sur honoraires».
Du côté de FAIR Canada, on accueille l’avis avec satisfaction. Considérant que de nombreuses études confirment que les commissions vont à l’encontre des intérêts des investisseurs, l’organisme croit que les régulateurs doivent intervenir rapidement.
«Les régulateurs doivent éliminer cette pratique, et il ne faudrait pas que la consultation permette aux courtiers de nier le problème ou d’arguer une fois de plus qu’intervenir déstabilisera l’industrie. Les pratiques de rémunération actuelles sont problématiques et doivent être changées», dit Neil Gross, directeur exécutif de FAIR Canada.
L’avis des ACVM suggère en effet qu’aucune décision ne sera prise avant l’an prochain puisque les parties ont 120 jours pour s’exprimer sur la question.
Effets pervers
L’abandon des commissions de suivi devrait permettre de réduire les conflits d’intérêts des courtiers et de leurs représentants, mais il aura des effets pervers, croit de son côté Robert Pouliot, professeur à l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal (ESG UQAM).
L’un d’eux est l’impact sur la concurrence au Canada. «Les sociétés indépendantes de fonds communs de placement subiront une concurrence plus forte encore de la part des banques, qui disposent d’un vaste réseau de succursales», dit-il.
«Les commissions de suivi permettent de traiter sur le même pied tous les manufacturiers de fonds, qu’ils soient ou non affiliés aux banques. Le fractionnement des normes de rémunération comme la facturation horaire ou la négociabilité des tarifs selon l’importance des portefeuilles confiés aux conseillers désavantagera les indépendants», ajoute le professeur.
Il constate qu’aux États-Unis, en Angleterre et en Australie, l’abandon des commissions de suivi a eu peu d’effets sur le niveau de concurrence. Mais au Canada, comme les six grands groupes bancaires (RBC, TD, BMO, Scotia, CIBC et BN) et Desjardins dominent déjà plus de 80 % du marché financier du pays, il sera difficile pour les plus petits de rivaliser avec eux.
Cap sur les honoraires
L’impact le plus marquant d’une abolition éventuelle des commissions intégrées sur l’industrie est bien sûr un transfert vers une rémunération sur honoraires, un mode de facturation qui a déjà ses adeptes. La tendance s’accélère depuis quelques années notamment en raison des obligations de divulgation dictées par la phase 2 du Modèle de relation client-conseiller (MRCC 2).
«On est passé carrément d’une « business » qui dépendait des ventes à une « business » qui dépend des actifs. Maintenant si vous voulez survivre et réussir, vous avez besoin d’actif, pour avoir le revenu récurrent qu’il génère», dit François Bruneau, vice-président, administration et investissement, chez Groupe Cloutier.
L’avènement des plateformes de gestion privée a aussi favorisé la transition vers la facturation sur honoraires. «Ces outils nous donnent maintenant accès à des comptes plus importants qu’auparavant, et évidemment ça ne se fait pas par les frais de sortie, car ce sont des plateformes à honoraires» ajoute François Bruneau.
C’est aussi le cas de Raymond Pratte, gestionnaire de portefeuille et directeur de la conformité chez Pratte Gestion de portefeuilles. Sa firme a adopté la facturation sur honoraires il y a déjà 17 ans.
«Je trouvais que j’étais en conflit d’intérêts et je voulais sortir de ce carcan qui m’obligeait à être toujours à la chasse aux nouveaux clients», dit-il.
Aujourd’hui, il apprécie le fait de pouvoir compter sur un revenu stable et récurrent pour mieux planifier ses dépenses d’entreprise. Mais les débuts n’ont pas été faciles. Raymond Pratte estime avoir perdu de 30 à 40 % de ses revenus pendant les 18 premiers mois. Il dit avoir mis près de trois ou quatre ans à rééquilibrer sa rémunération. «Au début, on mange ses bas ! Mais à long terme, ça devient payant parce que chaque actif que vous ajoutez apporte de l’eau au moulin», dit-il.
Une fuite des investisseurs ?
Selon un sondage de l’IFIC mené en 2015 auprès d’investisseurs partout au Canada, les investisseurs sont divisés sur la question des commissions. Un peu plus de la moitié (51 %) disent qu’ils préfèrent que leur conseiller soit payé au moyen de frais qui réduisent le rendement de leurs fonds communs, alors que 37 % préféreraient payer un montant directement au conseiller pour des services continus de sa part. Le reste (12 %) ne le sait pas.
Les données montrent que si la rémunération directe est plus élevée que la commission intégrée au fonds, 48 % des investisseurs canadiens qui ont un conseiller songeraient à le quitter. Les nouvelles règles de divulgation et la possible abolition des commissions intégrées obligeront plus que jamais les conseillers à défendre la valeur du conseil.