Ce déplacement vers l’alternatif s’est surtout fait aux dépens de la portion obligataire des portefeuilles. En 1995, les obligations occupaient 40 % des portefeuilles, les actions 49 %, et les liquidités, 6 %. En 2012, ces proportions avaient baissé à 33 %, 47 % et 1 %.
Plusieurs types d’actifs composent le panier alternatif. Selon un autre rapport de Towers Watson (Global Alternatives Survey 2012), au premier chef, on trouve l’immobilier (40 %), le placement privé et les fonds de fonds en placement privé (32 %), les fonds de couverture et fonds de fonds de couverture (18 %), les infrastructures (9 %) et les produits de base (2 %).
Déception
Pourquoi ce déplacement ? Essentiellement, parce que les rendements des obligations et des actions ont déçu.
«Après la bulle technologique, explique Emmanuel Matte, vice-président d’Investissements Standard Life, on s’est rendu compte que beaucoup d’argent pouvait être perdu dans les actions. D’ailleurs, après cette bulle, beaucoup de déficits de caisses se sont manifestés tout à coup.»
En même temps, le grand cycle de rendement des titres obligataires s’épuisait. «Au cours des 30 dernières années, les obligations ont donné des rendements de 10 %, et avec un faible risque en plus, rappelle Roland Lescure. Mais c’est terminé. Et ce ne sera certainement plus le cas dans les années à venir.»
De plus, le principe fondateur de la diversification classique de portefeuille ne fonctionnait plus aussi bien. «Avais-je autant de diversification que je pensais en étant investi, d’un côté, dans les actions américaines, de l’autre, dans les actions de pays émergents, des actifs dont les corrélations sont désormais fortes ?» demande Gilles Lavoie, conseiller principal, investissement, chez Towers Watson, à Montréal.
Les investisseurs ont été effarouchés par la volatilité des actions, tandis que les obligations «ne fournissaient plus pour couvrir les engagements des caisses», note Emmanuel Matte.
Dans un premier temps, on a donc délaissé les actions pour se réfugier dans l’alternatif, la portion des actions dans les portefeuilles baissant jusqu’à 28 % en 2007, selon le même rapport de Towers Watson ; puis ce sont les obligations qu’on a délaissées pour trouver même refuge.
Rentable ?
Ce secteur alternatif est-il plus rentable que les catégories traditionnelles ?
À la Caisse de dépôt, par exemple, les investissements en infrastructure et en immobilier ont certainement donné certains des meilleurs rendements du portefeuille au cours de 2011, respectivement 23,3 % et 11 %, mais les obligations à long terme ont quand même donné 18,6 %, lit-on dans le rapport annuel 2012 de l’institution. Les placements privés ont mieux performé que la meilleure catégorie d’actions, les actions américaines : 7,1 % par rapport à 4,6 %, tandis que les titres de marchés émergents perdaient 16,4%.
Par contre, sur la période des quatre dernières années, les rendements ne sont pas aussi convaincants. Les infrastructures donnaient 3,4 %, et l’immobilier, – 3,7 % par rapport à 9,2 % pour les obligations à long terme, d’après le même document.
Par ailleurs, les placements privés ont été la seule catégorie à donner un rendement tout juste positif (0,8 %), alors que les actions américaines perdaient 2,6 %, et les actions canadiennes, 1,1 %.
Amortisseur aminci
Un tel exode vers l’alternatif n’est pas sans risque. «Quand j’entends des hauts dirigeants de caisses dire que [NDLR : le placement alternatif] est moins risqué, ça me donne des frissons dans le dos», rapporte Richard Guay, professeur de finance à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM et ancien PDG de la Caisse. «En fait, poursuit-il, on perd de la liquidité ; on augmente donc le risque.»
Il est vrai que plusieurs de ces placements présentent moins de volatilité, puisque leur performance n’est pas liée à un indice qui fluctue quotidiennement comme celui de la Bourse. Par contre, moins de volatilité ne veut certainement pas dire moins de risque.
«Si j’achète une entreprise et que je la retire de la Bourse, ça ne change rien à son risque», affirme Richard Guay. Ses concurrents n’ont pas changé, ses états financiers non plus. En fait, si l’achat s’est fait à l’aide d’emprunts massifs, comme c’est souvent le cas, le risque réel a seulement augmenté.
La recherche de rendements accrus augmente le risque, selon Jean-Pierre Couture, économiste et stratège, marchés émergents, chez Hexavest, à Montréal. En réduisant la part d’obligations de leurs portefeuilles, plusieurs caisses «s’exposent à toutes sortes de risques, dit-il. En cas de crise, il n’y a plus d’amortisseur.»
Les gestionnaires de portefeuilles sont les premiers à reconnaître ces risques accrus. «Je sors d’une catégorie d’actifs sûre pour prendre des risques», constate Emmanuel Matte.
Sa réplique, comme celle de Roland Lescure, tient à une formule simple : «Connaissance-connaissance-connaissance», rappelle ce dernier, un peu comme un mantra. «En effet, abolir la volatilité ne veut pas dire abolir le risque, dit-il. Et si vous ne connaissez pas les marchés dans lesquels vous vous engagez, n’y allez pas.