UBS n’est pas le seul gestionnaire à revoir ses prévisions pour le marché obligataire. L’automne dernier, le Wall Street Journal estimait que les prix des bons du Trésor américains étaient précurseurs d’une fin du monde prochaine, titrant «Treasury Bonds are Priced for the End of The World».

Plusieurs spécialistes ont alors repris la balle au bond sur leurs blogues, parlant d’«apocalypse». Plus nuancé, Warren Buffett a quant à lui déclaré qu’il fallait dorénavant être prudent avec les obligations.

«Depuis les cinq ou six derniers mois, on entend souvent dire que les obligations sont plus risquées que les actions. C’est normal. Depuis les années 1980, les rendements obligataires ont été meilleurs que ceux des actions, à cause de la baisse des taux», explique Sylvain De Champlain, du cabinet éponyme.

Pendant les années 1990, une obligation canadienne de 10 ans procurait un rendement de 11 %. Au cours des dernières semaines, la même obligation offrait un rendement de 1,6 %.

Dans un cycle de taux baissiers, le marché obligataire surperforme. Le réflexe qu’entretiennent les investisseurs est d’y accourir. Surtout quand l’importante volatilité des indices boursiers et la morosité économique les y incitent.

Plusieurs gestionnaires deviennent ainsi défensifs dans leur répartition d’actif. Le portefeuilliste Yves Érard, directeur général de Mirabaud Gestion, a ainsi réduit la durée de son portefeuille obligataire afin de se prémunir des hausses de taux anticipés d’ici l’an prochain.

«Avec une obligation Ontario 2017 émise sur le marché américain, on obtient un rendement de 1,20 %. C’est certain que si vous avez fait un investissement comme cela, la moindre hausse de taux peut vous faire perdre facilement une année de bons rendements», remarque le gestionnaire de la filiale canadienne du banquier privé suisse Mirabaud.

Même scénario sur le marché américain. «Actuellement, vous perdez de l’argent avec les bons du Trésor, c’est clair.»

Yves Érard pense que depuis cinq ans, le rendement est faible par rapport aux risques pris sur les marchés obligataires. Les observateurs s’attendent à une légère augmentation des taux par la Réserve fédérale (Fed) à la fin de 2013, voire au début de 2014. Avec un coupon qui offre en ce moment un rendement de 2,6 %, une hausse même minime des taux aura un effet important sur le rendement offert aux détenteurs.

Le gestionnaire américain Bill Gross, de PIMCO, estime pour sa part que la situation économique américaine – surendettement, planche à billets, faible croissance – pourrait bien faire en sorte que les bons du Trésor américains deviendront plus risqués.

Dans une lettre aux investisseurs publiée en janvier, il les invite à prévoir une stratégie de sortie du marché obligataire.

Dans son fonds «Rendement total», dont l’actif s’élève à 270 G$, Bill Gross a sous-pondéré les T-Bills américains, les ramenant à 21 % du portefeuille l’automne dernier, par rapport à 33 % à l’été 2013.

«Par ailleurs, les conditions sont encore « frileuses », la croissance est molle un peu partout, la guerre des monnaies se perpétue, il y a toute une série de thèmes qui font en sorte que l’investisseur moyen aimerait bien encore rester dans les obligations. C’est une bonne idée de le mettre en garde contre un faux sentiment de sécurité», ajoute Yves Érard.

Sylvain De Champlain abonde dans ce sens. «Le grand danger, actuellement, c’est que tous les investisseurs qui ont été échaudés par les chutes brutales restent dans les obligations et perdent ainsi de l’argent», dit-il.

La solution, tant pour Yves Érard que pour Sylvain De Champlain, c’est de réduire la durée des obligations et de se mettre en quête de revenu.

Un nouveau cycle

Les observateurs s’entendent pour dire que le risque sera grand si on anticipe une hausse des taux rapide et prononcée. Mais tous ne sont pas aussi alarmés par la situation.

«On observe beaucoup de nervosité quant au marché obligataire. Mais cette nervosité est présente depuis quatre ans», selon Patrick O’Toole, vice- président, Revenu fixe mondial, chez Gestion globale d’actifs CIBC.

Si les rendements sont beaucoup plus faibles aujourd’hui qu’il y a quatre ans – au plus fort de la crise financière – Patrick O’Toole pense qu’«il faudra encore quelques signaux négatifs de plus avant qu’on pense que les obligations sont à éviter».

Dans l’immédiat, les taux canadiens restent à leur plancher historique, l’économie n’est pas tirée d’affaire et le marché du revenu fixe en général est en effervescence. «Nous continuons de penser que l’année sera bonne pour les rendements obligataires en général», dit-il.

Chez CIBC, on ne croit pas que les choses s’arrangeront de sitôt, et les ondes de choc encore ressenties dans les marchés boursiers occasionneront une fuite vers les actifs de qualité, ce qui remettra les obligations au goût du jour.

S’il est vrai que le temps des rendements à 6 ou à 8 % de la dette gouvernementale est effectivement révolu, les obligations corporatives et à haut rendement offrent encore des occasions de générer de bons rendements.

Dans le marché corporatif, «au Canada, les émissions sont fréquentes et nombreuses. Elles se vendent bien. D’ailleurs, les émissions corporatives sont toujours survendues ; par exemple, on émet 400 M$, tandis que les commandes s’élèvent à 700 M$», explique Patrick O’Toole.

Yves Érard conserve lui aussi un certain enthousiasme quant aux titres à haut rendement. Réduire la durée du portefeuille et la pondération, certes. Mais il faut rester à l’affût.

«Le crédit, notamment le crédit de qualité coté AA ou AAA, il n’y a plus grand-chose à en espérer en matière de rendement. Cela dit, les obligations corporatives à haut rendement restent encore intéressantes. Notamment en Europe. Au cours des trois dernières années, c’est un marché qui a connu de l’expansion.»