«Je vous avoue que je suis sceptique face à ceux qui disent qu’il n’y a pas de crise de la retraite», affirme Hélène Gagné, associée de PWL Capital et auteure de Votre retraite crie au secours. «En tout cas, poursuit-elle, il y a de très grands défis.»

C’est un point de vue que partage Richard Bourget, conseiller en régime de retraite et associé de Normandin Beaudry.

«Je ne pense pas que Fred Vettese et Bill Morneau se trompent totalement, mais c’est un point de vue que je ne partage pas», remarque-t-il. C’est vrai qu’actuellement, il n’y a pas de crise, mais face aux défis qui nous attendent, elle menace – et fortement.

Épargne faible

Quels sont ces défis ? En raison du passage des régimes à prestations déterminées (PD) à des régimes à cotisation déterminée (CD), le poids de la gestion des épargnes repose désormais sur les épaules de l’individu.

Or, ces individus comprennent peu l’investissement et bon nombre n’ont aucun réflexe d’épargne.

«Chez des clients qui ont mis en place un régime CD, un certain nombre d’employés ont choisi de cotiser moins qu’avant. La grande majorité de la population québécoise gagne entre 30 000 et 70 000 $, poursuit Richard Bourget. Ils ont besoin d’épargner et toutes les informations nous indiquent qu’ils ne le font pas assez. Surtout que cette épargne doit les soutenir pendant 25 à 30 ans.»

Pourront-ils alors compter sur leurs ressources «dissimulées» (par opposition aux régimes publics et privés et aux REER), comme la maison, la résidence secondaire, le CELI, les actions d’entreprises, les comptes d’épargne ou les héritages, ce que les deux auteurs appellent le «pilier 4» ? Hélène Gagné n’y compte pas trop.

«Si les gens avaient tant d’argent dans leurs comptes de banque, il y aurait des cotisations plus élevées dans les REER», dit-elle. Et qu’en est-il de l’épargne figée dans la maison ? Oui, les gens vendent leur maison à la retraite, mais très souvent, «la nouvelle propriété leur coûte aussi cher. Et dans bien d’autres cas, le produit de la maison passe tout entier dans un loyer».

C’est sans compter le nombre élevé de gens qui arrivent à la retraite avec une hypothèque à payer, note Richard Bourget. Sans compter non plus tous ces divorcés qui arrivent à la retraite avec un capital amoché et des enfants à charge.

Ce sont là toutes des exceptions, sans doute, mais elles s’additionnent et en viennent à composer un contingent important de la population.

La règle des 70 %

Selon Fred Vettese et Bill Morneau, les retraités n’ont à compter que sur 45 à 55 % de leurs revenus de pré-retraite.

Pas sûr, jugent Hélène Gagné et Richard Bourget. D’accord, la simple règle des 70 % des revenus de pré-retraite n’est pas une loi d’airain universelle.

Cas anecdotique, Richard Bourget relate la situation de ses parents qui n’avaient certainement pas 70 % de leurs revenus de pré-retraite, «mais vivaient quand même très confortablement. Je crois qu’on peut arriver à être à l’aise avec seulement 50 ou 60 %.»

Cependant, les parents de Richard Bourget faisaient partie d’une génération plus économe et frugale. Ce n’est pas le cas de la génération des boomers.

«Elle n’est pas frugale, dit Hélène Gagné. Certes, ceux qui étaient déjà frugaux durant leur carrière vont le demeurer au moment de la retraite, mais c’est l’exception.» Plusieurs devront sans doute apprendre une certaine simplicité involontaire.

Si réellement les retraités boomers auront des besoins bien supérieurs à 50 % de leurs revenus de pré-retraite, supérieurs aussi à 70 % – et même à 100 % ! -, l’option s’impose.

«C’est clair que les gens vont travailler plus longtemps !» lance Hélène Gagné, donnant raison à ce chapitre aux auteurs de The Real Retirement.

Or, c’est ici que réside probablement l’essence de la «crise» : dans des attentes et des idées qu’il faut changer.

«Nous posions la mauvaise question : « Comment peut-on se retirer à 62 ans et être encore à l’aise ? »» soutient Fred Vettese. Nous ne le pourrons plus. Tous sont d’accord là-dessus.

«Vu l’espérance de vie actuelle, envisager de travailler jusqu’à 70 ou 75 ans, ce n’est pas excessif, convient Richard Bourget. Il y aura une certaine difficulté à adapter les horaires de travail aux semi-retraités (qui afflueront), mais à cause de la pénurie d’employés, les entreprises s’adapteront.»

Un Québec distinct ?

Il est possible que les commentaires de Richard Bourget et d’Hélène Gagné reflètent une situation et une culture québécoises sensiblement différentes de la situation canadienne.

Au Québec, par exemple, l’éthique protestante, économe et prudente, a moins cours et, souligne Hélène Gagné, on pratique beaucoup moins le legs, une source d’argent dans le «pilier 4» qui a plus de poids du côté canadien anglais.

Et la société québécoise est bel et bien «distincte» dans son dynamisme – ou son manque de dynamisme -, soutient Richard Bourget.

«La force d’une économie, c’est sa population active, fait-il ressortir. Aux États-Unis, celle-ci montre une croissance annuelle de 5 à 7 %, en Ontario, de 5,3 %. Au Québec, d’ici à 2030, on parle plutôt de – 3 %. Nous nous dirigeons vers une économie plus difficile à gérer.»

Or, le Québec a besoin de donner un sérieux coup de barre. «On veut que tout soit gratuit, déplore Richard Bourget : retraite, éducation, garderie, soins de santé. À un moment donné, il faudra bien payer pour tout ça.»