En effet, on constate que les gens qui ont de meilleurs revenus et un niveau raisonnable d’épargne ont une meilleure santé et vivent plus longtemps. C’est pourquoi, ajoute l’actuaire, «la nouvelle table [en préparation] de l’Institut canadien des actuaires (ICA) exclut les gens à bas salaire parce que leur longévité est moins grande». Et leur présence dans les tables de longévité abaisse l’espérance de vie réelle à partir de laquelle ceux qui ont les épargnes nécessaires doivent planifier leur retraite.

Six ans d’épargne de plus

Quelle est cette espérance de vie ? Selon la table de longévité américaine UP94, à laquelle on se réfère toujours au Canada, elle est maintenant de 86 ans pour un homme et de 87 ans pour une femme. Il s’agit de l’espérance de vie d’un enfant qui naît aujourd’hui, les perspectives de longévité des nouvelles générations étant meilleures que jamais.

Toutefois, «on soupçonne très fort que ces chiffres sont plus élevés au Canada», note Nathalie Jutras, un soupçon que la nouvelle table de l’ICA confirmera sans doute dans les 12 à 24 prochains mois.

Ces chiffres de l’UP94 sont très près de la situation d’une personne qui est au seuil de la retraite. «Un homme de 65 ans peut espérer aujourd’hui vivre 84,1 ans, une femme, 86,5», précise-t-elle. Cela ajoute aux projections courantes six ans pour un homme et trois ans pour une femme.

Cependant, il s’agit seulement d’une cible statistique. Dans les faits, une bonne proportion de retraités connaîtront une «retraite extrême», leur vie se prolongeant jusqu’à 90 ans, et même au-delà. Sur le site Question Retraite, on apprend que «Sur cinq Québécoises qui ont aujourd’hui 65 ans, trois atteindront les 90 ans ; seulement un Québécois sur cinq y parviendra.»

Cela soulève une question évidente : les retraités auront-ils assez épargné pour atteindre un âge aussi vénérable ? Tout d’abord, pour recueillir un revenu visé pendant 20 à 25 ans, il faut un capital suffisant. Ensuite, il faut évidemment avoir accumulé le capital suffisant.

Ajouter cinq ou dix ans à un plan de retraite où on a prévu vivre jusqu’à 80 ans peut sembler un obstacle considérable. Mais il n’y a pas lieu de désespérer. L’obstacle peut être surmonté assez facilement si on tient compte de certaines recherches et propositions plus récentes.

Prudence, prudence

Tout d’abord, l’évolution de l’épargne et des dépenses au cours de l’âge d’or fait en sorte qu’un retraité peut facilement survivre jusqu’à un âge très avancé sans craindre d’épuiser ses épargnes, si on se fie à l’article «Transition Through Old Age in a Dynamic Retirement Distribution Model», publié récemment dans le Jour nal of Financial Planning, aux États-Unis.

Dans cet article, les auteurs proposent un modèle de planification dynamique, plutôt que statique. Statique veut dire un plan où on applique une règle uniforme de retrait d’une façon linéaire durant toute la période de la retraite. Par exemple, règle courante, on choisit de retirer 4 % de ses épargnes.

Une telle application statique ne tient pas compte de la réalité du vieil âge, jugent les auteurs. «On a découvert que le taux de retrait est très lié à la période de vie», remarque Larry Frank, conseiller en investissement et un des trois auteurs.

«Dans la soixantaine, il est bon de commencer en retirant 4 % de ses épargnes, mais en suivant bien la valeur du portefeuille d’épargne et le temps de vie qu’il nous reste selon les tables de longévité, on peut très bien retirer 6 % à 80 ans et 8 % à 90.» (Notons que les tables de retrait d’un FERR suivent à peu près une telle progression.)

Bien sûr, il faut que la valeur du portefeuille se maintienne. Mais ce n’est pas un gros problème. En fait, la valeur minimale requise est fort bien préservée, que les marchés financiers soient positifs ou négatifs.

La principale clé de la réussite, trouvent les auteurs, tient à la prudence et à la retenue dont il faut faire preuve dans les premières années de retraite. «Trop retirer dans les débuts a plus d’impact sur la disponibilité future de revenus que n’importe quelle condition de marché ultérieure», insiste Larry Frank.

La personne qui fait preuve de frugalité au début pourra sans crainte augmenter ses retraits au fil des ans, au point même de les doubler après ses 90 ans, et toujours conserver un confortable coussin en capital.

Le retraité prudent n’a donc pas à craindre d’épuiser son capital avant son décès. L’autre sujet d’inquiétude devient alors la question : ai-je accumulé suffisamment de capital ?

Jusqu’ici, on considérait, sans calcul, qu’un retraité, pour préserver son mode de vie, devait avoir des revenus équivalant à 70 % de ses revenus avant retraite. Outre les différents régimes publics et privés de retraite, cela impose d’avoir accumulé des épargnes personnelles dans d’autres instruments : REER, CELI, immobilier, etc.

Or, il semble que cette règle empirique de 70 % soit excessive, jugent Fred Vettese et Bill Morneau dans leur livre récent, The Real Retirement. Selon eux, la majorité des futurs retraités devraient viser un revenu entre 45 % et 55 % de leurs revenus avant retraite. Si c’est le cas, cela signifie que le besoin en épargne est nettement réduit. Mais est-ce bien le cas ? Nous en parlons dans l’article «Crise de la retraite ? Vraiment ?», en page 10.