Tous les assureurs offrent de l’assurance par l’intermédiaire de leur site Web. Ce qui est nouveau, cependant, c’est l’offre de produits individuels par publipostage, observe Claude Di Stasio, porte-parole de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP).
«La vente directe d’assurance de groupe existe depuis des années, pour les détenteurs de carte de crédit, par exemple. Je constate par contre que depuis deux ou trois ans, l’assurance individuelle vendue directement est une pratique en émergence», dit Claude Di Stasio.
L’ACCAP ne dispose d’aucune donnée sur le phénomène, mais Claude Di Stasio estime que «si un assureur le fait, plusieurs le font».
Selon le courtier d’assurance en ligne LSM Insurance, installé en Ontario, c’est une stratégie de distribution de plus en plus courante chez les assureurs depuis au moins cinq ans.
Il n’a pas été possible de brosser un portrait de l’environnement concurrentiel de la vente directe par Internet et par publipostage, les données recensant l’ampleur de ce marché n’étant pas publiques.
Cependant, la valeur totale de toutes les primes souscrites en 2010 en assurance vie au Canada était de 15 G$, selon l’ACCAP.
Dans son analyse des canaux de distribution en assurance de personnes réalisée en 2011, Investor Economics a constaté que les produits temporaires, de vie entière et de vie universelle vendus directement par l’intermédiaire du publipostage ou d’Internet représentaient 0,3 % de 1,3 G$ de primes vendues recensées par la firme d’étude de marché.
Si on applique, à l’aide d’une règle de trois, les données d’Investor Economics aux ventes recensées par l’ACCAP, les ventes directes pourraient s’élever à quelque 450 M$.
En Australie et aux États-Unis, par contre, la vente directe prend de plus en plus d’importance.
Sur le sixième continent, c’est 18 % des primes et 11 % de la valeur des polices en vigueur qui étaient souscrites par l’intermédiaire de la vente directe en 2011. Aux États-Unis, un contrat d’assurance vie sur cinq est souscrit par vente directe, selon les données de la Life Insurance Marketing and Research Association (LIMRA).
Au Québec, le publipostage, ou marketing direct, est autorisé en vertu de l’article 12 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers (LDPSF), qui édicte que l’assureur peut distribuer lui-même un produit d’assurance, sans l’intervention d’un représentant.
L’article 12 établit ainsi qu’«une institution financière peut, par la remise de brochures ou de dépliants, par le publipostage ou par l’utilisation de toute autre forme de publicité, inviter le public à acquérir un produit d’assurance».
«L’article 12 de la LDPSF [NDLR : qui existe depuis 1998] ne fait pas de distinction quant aux produits visés ni ne fait référence à un type de produit en particulier. Cette disposition vise donc a priori tous les produits d’assurance», nous écrit Sylvain Théberge, le porte-parole de l’Autorité des marchés financiers (AMF), dans un courriel.
En vertu de l’article 426, qui encadre la distribution sans représentant, les produits «doivent être des produits d’assurance collective. Dans tous les autres cas, les produits peuvent être collectifs ou individuels», ajoute Sylvain Théberge.
Rien n’empêche une personne de contracter une police directement avec un assureur.
Pour le président de Mica Services financiers, Gino Savard, «l’offre de produits d’assurance de personnes par Internet ne devrait pas être permise. Il en va de la protection des consommateurs».
L’assurance de personnes n’est pas un simple produit, mais garantit la sécurité financière des clients, ajoute Gino Savard. Vendre directement laisse penser qu’«il est facile de s’assurer convenablement et que les conseils d’un professionnel ne sont ni utiles ni nécessaires», ajoute-t-il.
Lorsqu’on souscrit un produit d’assurance, «la vraie question qu’il faut se poser, c’est « est-il bon pour moi, et est-il adapté à ma situation financière, là, maintenant ». Pour l’aider à faire ces choix et pour le guider dans son analyse de besoin, un client a besoin d’un représentant», souligne Daniel Bissonnette, président du cabinet Planifax.
Les produits d’assurance vie sont complexes, et les conséquences d’une fausse déclaration, d’une réticence ou d’une déclaration inexactes peuvent être graves, faisait valoir la Chambre de la sécurité financière (CSF) dans son mémoire déposé lors des consultations sur la vente par Internet tenues par l’AMF à l’hiver 2012.
«L’offre répond à un besoin spécifique des clients», soutient pour sa part Julie Barker-Mertz, de BMO Assurance. Elle fait valoir que la vente de produits temporaires, qui offrent des couvertures relativement modestes – au moment de mettre sous presse, des polices temporaires 10 ans d’une valeur de 50 000 $ étaient offertes sur le marché -, sert une clientèle qui ne consulterait pas un représentant de toute façon.
Bien qu’il soit également d’avis que le conseil est d’importance en distribution d’assurance, Christian Robitaille, vice-président chez Force Financière Excel, ne s’émeut cependant pas outre mesure de l’émergence de cette forme de distribution. «Même si elle a toujours existé, elle ne touche pas grand monde. Je ne me sens menacé en aucune façon. D’une part, elle s’adresse à une petite partie de la population. D’autre part, la personne qui achète des produits de cette manière n’ira pas voir un conseiller.»
Dans le document de consultation, l’an dernier, l’AMF écrivait que «certains intervenants interprètent l’encadrement actuel d’une façon restrictive à l’égard des transactions en ligne, alors que d’autres le voient plus permissif et ouvert».
Le régulateur ajoute que «la protection du consommateur et son besoin d’être guidé lorsqu’il souscrit une assurance justifient l’intervention d’un représentant certifié».
«L’intervention d’un représentant certifié demeurerait donc nécessaire, et ce, même dans le cadre du processus de distribution en ligne de produits d’assurance. Toutefois, l’AMF semble pour le moment disposée à réserver une certaine flexibilité sur le plan des obligations déontologiques du représentant, notamment dans le cadre de la cueillette des informations du preneur. Il sera intéressant de suivre les développements à ce sujet», commentait l’avocate Dina Raphaël, de Lavery, dans une analyse des intentions exprimées par le régulateur au cours des consultations.