«De façon générale, l’Autorité a constaté que les assureurs ont bien cerné les situations qui peuvent conduire à une police attribuée à un représentant certifié, et proposé des plans d’action eu égard à l’Avis», poursuit Sylvain Théberge, porte-parole de l’AMF.
Interrogé à savoir si la rémunération des représentants pouvait expliquer le fait que certains clients deviennent orphelins, Sylvain Théberge explique que «Certains contrats de représentants stipulent que ces derniers ont droit aux commissions de renouvellement tant et aussi longtemps que les polices sont en vigueur et qu’elles leur sont attribuées (codées à leur nom dans les systèmes). Or, cette situation pose problème, car les commissions continuent d’être payées aux représentants qui ont vendu ces contrats, même s’ils n’offrent plus le service lié à ces contrats».
Le représentant n’aurait donc pas intérêt à vendre ou à transférer une police à un représentant actif lorsqu’il prend sa retraite ou qu’il change d’employeur, puisqu’il continue de recevoir une rémunération découlant de ces polices, et ce, même s’il ne fournit plus le service auquel le client aurait droit.
En 2013, dans son «Avis relatif aux obligations des représentants et des assureurs quant au service offert aux clients en vertu de contrats d’assurance de personnes – clientèle orpheline», l’AMF s’étonnait d’ailleurs de certaines pratiques en vigueur dans l’industrie.
«Parfois, certains contrats vont jusqu’à inclure une clause qui stipule que les commissions de renouvellement seront versées à la succession du représentant qui a vendu la police», ajoute Sylvain Théberge.
«Plusieurs assureurs ont commencé à réviser leurs politiques de rémunération afin d’éliminer les situations pouvant générer des polices orphelines dans leur réseau de distribution», précise-t-il cependant.
Commissions à un mort
Dans l’industrie, on fait toutefois remarquer que certaines politiques potentiellement néfastes ont été révisées, voire abolies depuis 2013. Ainsi, Mario Grégoire se souvient de l’époque où certains assureurs versaient aux représentants une rémunération qui pouvait être touchée par leur succession à la suite de leur décès.
Cet état de fait pouvait nuire à la qualité du service offert aux clients qui se retrouvaient sans un représentant certifié toujours actif et prêt à faire le suivi des besoins de sa clientèle. «La Crown Vie, entre autres, continuait à verser une commission à la succession du représentant 10 ans après le décès de ce dernier», se rappelle le président et directeur général du Conseil des professionnels en services financiers (CDPSF).
Bruno Michaud, vice-président principal, administration et ventes chez iA Groupe financier, reconnaît pour sa part que les politiques de rémunération n’ont pas vraiment changé.
«La grande différence, c’est que les commissions versées à la succession du représentant, ça ne se fait plus. Quand un représentant décède, on rachète sa clientèle» affirme-t-il.
En fait, de nombreux assureurs, sinon la majorité d’entre eux, prévoient maintenant des clauses de rachat aux ententes conclues avec leurs représentants. Au grand plaisir de l’AMF. «Certains assureurs ont mis en place des mesures qui visent à faciliter le rachat de clientèle entre représentants, et d’autres rachètent systématiquement la clientèle d’un représentant à son départ à la retraite ou lorsqu’il cesse d’agir pour cet assureur», souligne Sylvain Théberge.
Bruno Michaud ajoute que les représentants les plus prévoyants vont jusqu’à préciser l’identité du représentant auquel ils offriront leur clientèle en cas de départ, de retraite ou de décès. Le vice-président constate que de toute façon, il est désormais quasi impossible de conserver une clientèle si l’on n’a pas l’intention de la servir activement : «La réglementation a changé. De nos jours, c’est impossible pour un représentant de continuer à encaisser des commissions sans rien faire. Encore moins pour une succession !»
Le fait que de nombreux représentants en assurance de personnes sont également représentants en épargne collective accentuerait cette tendance, puisque les fonds communs de placement (FCP) et les fonds distincts exigent un suivi plus serré des besoins des clients que certaines polices d’assurance, pour lesquelles les clients ont une vision plus passive et à plus long terme.
De meilleures pratiques
Mario Grégoire reprend l’analogie des FCP pour illustrer son point de vue. En effet, il remarque qu’on critique peut-être trop facilement les commissions de suivi versées par les FCP aux représentants. «On devrait peut-être s’en inspirer», considère-t-il.
Le vieux routier de l’industrie croit qu’il faudrait moderniser certains modèles de gestion en vigueur dans l’industrie et adopter des politiques de rémunération qui valorisent le service plus que la vente. «La Sun Life pourrait être un modèle pour l’industrie», estime-t-il.
En effet, la Sun Life privilégie au sein de son réseau de carrière (soit parmi ses agents captifs) une rémunération qui s’inspire de celle de l’assurance de dommages, plus uniforme dans le temps.
Mario Grégoire dresse un petit historique des politiques de commissionnement chez cet assureur. «Sun Life a acheté Clarica, qui avait acquis précédemment La Mutuelle, dont la politique de commissionnement ressemblait à celle de l’assurance de dommages, où le client renouvelle ses polices chaque année. Ce dernier s’attend à avoir des services chaque année, d’où la commission de suivi qui incite le représentant à assurer ces services sur une base annuelle», se rappelle-t-il.
En assurance, les commissions accélérées (High-Low), soit les fortes rémunérations que le représentant reçoit au cours de l’année de la transaction initiale et qui diminuent graduellement les années suivantes pour disparaître éventuellement, n’existent donc pas.
S’il encense le modèle de la Sun Life, Mario Grégoire reproche toutefois à cette dernière son manque d’audace. En effet, il aimerait que l’assureur tente de faire la promotion de son modèle dans le reste de l’industrie, particulièrement dans le réseau des agents généraux.
«Il faudrait uniformiser la rémunération, tant dans le réseau captif que dans celui des agents généraux. La Sun Life ne pourrait-elle pas proposer son expertise en commission nivelée aux agents généraux de son réseau, qui fonctionnent encore selon le modèle de la rémunération High-Low», suggère-t-il.
Mario Grégoire reste réaliste et ne rejette pas entièrement l’idée d’une rémunération plus élevée à la vente de la police. «Certaines entreprises ont des modèles à deux vitesses ou hybrides, comme la Sun Life d’ailleurs. Si vous ne perdez pas de clients et que vous avez une certaine croissance, vous aurez une bonification. Ils ont en fait jumelé le High-Low et la commission nivelée», précise-t-il. Selon lui, le système hybride tient compte du fait que le représentant travaille plus en début de carrière et lors du démarchage de nouveaux clients, en l’incitant néanmoins à assurer le service aux anciens clients.
Le conseiller en sécurité financière Serge Vallée ne tarit pas d’éloges pour le modèle de la Sun Life, et ce, en connaissance de cause puisqu’il est un représentant autonome associé à cette firme depuis huit ans, soit après qu’il a quitté le secteur du courtage. «Il y a un bassin de clients qui sont cédés à des représentants qui seront payés pour s’en occuper», explique celui qui exerce à Vaudreuil-Dorion.
Il précise cependant que le représentant doit acheter cette clientèle. «J’ai deux incitatifs. Premièrement, je suis payé pour m’occuper de ces clients, deuxièmement, puisque je paye sur 10 ans, j’ai tout intérêt à bien les servir, sinon je risque de les perdre et d’avoir à continuer à effectuer des paiements pour cette période», estime-t-il.
«Clients de longue date ou nouveaux clients, je touche la même chose. Je n’ai pas tendance à remplacer les polices sans raison», précise celui qui croit que la rémunération est fondamentale dans la motivation des représentants. «On ne peut pas faire du bénévolat en affaires en plus de celui qu’on fait déjà dans nos vies privées», constate-t-il.