Trois ans plus tard, le régulateur se dit satisfait de la réponse de l’industrie. Cependant, certains intervenants doutent de l’efficacité réelle de ces mesures, tandis que d’autres considèrent que l’on inutilement l’ampleur du problème. nance et Investissement fait le point.
Ainsi, dans son avis de 2013, l’AMF montrait du doigt une pratique de l’industrie de l’assurance en vertu de laquelle certains représentants pouvaient continuer de recevoir des commissions liées à des polices qu’ils avaient vendues, même s’ils avaient quitté la profession et ne possédaient plus de certificat de représentant.
Dans d’autres cas, l’AMF déplorait le fait que des polices restent «codées» (inscrites) au nom de représentants qui ont changé d’employeurs ou qui ne représentent plus les sociétés pour lesquelles ils avaient émis ces polices.
Le régulateur voyait en cela un risque que les clients assurés en vertu de ces polices deviennent en quelque sorte «orphelins» et ne reçoivent pas les services auxquels ils auraient eu droit autrement.
Bonnes pratiques
«C’est pourquoi l’Autorité a transmis une lettre aux assureurs de personnes qui exercent des activités au Québec, afin d’obtenir des informations sur leurs processus en matière de traitement des polices orphelines et sur les mesures envisagées pour corriger les lacunes observées, le cas échéant», résume Sylvain Théberge, directeur des relations médias de l’AMF.
Trois ans plus tard, l’AMF semble satisfaite des explications qu’elle a obtenues des assureurs. «De façon générale, l’Autorité a constaté que les assureurs ont bien cerné les situations qui peuvent conduire à l’attribution d’une police à un représentant certifié, et proposé des plans d’action eu égard à l’Avis», poursuit Sylvain Théberge. Selon l’AMF, la plupart des assureurs ont donc remédié aux cas connus de polices orphelines.
Le régulateur québécois commente certaines pratiques de l’industrie : «Parmi les bonnes pratiques qui ont été mises en avant par les assureurs figurent l’instauration de procédures de validation des permis et l’implantation d’un service en ligne permettant à un assuré de choisir un nouveau représentant, l’évaluation des produits offerts afin de déterminer ceux qui pourraient priver le client de certains avantages (voir l’encadré Préjudice potentiel) en l’absence de suivi adéquat et l’établissement de mécanismes spécifiques d’attribution dans ces cas», mentionne Sylvain Théberge.
Cependant, y a-t-il vraiment un problème en matière de polices orphelines ou de suivi inadéquat ? Dans l’industrie, les opinions divergent.
Bruno Michaud, vice-président principal, administration et ventes, chez iA Groupe financier (iA), croit qu’on amplifie le problème : «En 2013, à cause de rumeurs selon lesquelles des clients seraient laissés pour compte, l’AMF nous a sondés pour vérifier quelles étaient les politiques en matière de polices orphelines. Les assureurs ont répondu au sondage, et l’AMF s’est rendu compte qu’il s’agissait d’une fausse alerte. Tous les assureurs avaient des mécanismes en place».
Problème marginal
Pour attester de ses propos, Bruno Michaud avance les statistiques internes d’iA. «Chez nous, sur un million de polices, moins de 2 000 clients pourraient peut-être se retrouver momentanément sans service, soit 0,2 %», assure-t-il.
Pour expliquer ce bas taux de polices orphelines, Bruno Michaud décrit la structure du réseau de carrière d’iA. «Actuellement, si un représentant part à la retraite ou chez un autre assureur, le directeur des ventes s’assure que le client a besoin de services. Puis, le directeur d’agence pourra attribuer un représentant au client orphelin, et finalement, ce client peut téléphoner lui-même au siège social», résume-t-il.
Quand on lui demande si la situation est différente dans la division du courtage, Bruno Michaud affirme que les conditions sont les mêmes. «En général, le représentant qui part à la retraite vendra sa clientèle. Il y a 20 ans, des représentants pouvaient attendre pour le faire, mais plus aujourd’hui. Maintenant, il faut maintenir son permis, avoir une assurance responsabilité, aller chercher ses unités de formation continue, etc. Les exigences sont telles qu’il est plus facile pour le représentant de vendre sa clientèle», évalue-t-il.
En fait, les représentants auraient même avantage à vendre rapidement, ce qui diminue la possibilité que le client reste sans suivi adéquat, puisqu’il sera servi par le représentant acquéreur.
«Plus j’attends, moins je vendrai cher, car souvent le prix de vente est un multiple des commissions de renouvellement, et ces dernières ont tendance à diminuer avec le temps», pondère Bruno Michaud.
Celui qui travaille dans l’industrie depuis près de 35 ans croit que la structure du réseau de courtage diminue également le risque que le client ne devienne orphelin. «Le client reçoit un relevé sur lequel figure le nom du représentant, les coordonnées du bureau avec lequel il fait affaire, ainsi que les coordonnées de l’assureur qui a émis la police. S’il a vraiment un problème, il téléphone chez nous et on lui trouve un représentant», fait valoir Bruno Michaud.
«De plus, de nombreux représentants mènent aussi des activités en épargne collective. Dans le secteur des fonds communs, on peut encore moins se permettre de rester inactif. Dès que les marchés sont le moindrement volatils, les clients téléphonent à leur représentant», ajoute Bruno Michaud qui comprend mal comment un représentant retraité pourrait ne pas s’en faire et conserver sa clientèle pour continuer de toucher ses commissions tout en lui donnant le moins de services possible.
Réel service ?
Malgré la manifeste bonne volonté des assureurs, en 2013, l’AMF avait tout de même pris la peine de stipuler expressément qu’ils avaient l’obligation d’attribuer un représentant certifié aux clients dont le représentant quittait l’industrie ou changeait d’entreprise ou de cabinet. Une obligation qui est bien reçue dans l’industrie, malgré certaines réserves chez certains intervenants.
Lorsqu’on demande à Mario Grégoire s’il partage l’opinion selon laquelle le problème est réglé, puisqu’il est désormais obligatoire d’attribuer un représentant certifié à un client orphelin, il réfléchit longuement : «Il faut ici apporter une nuance. Qu’est-ce qu’on entend par « avoir véritablement un représentant » ?», se demande le PDG du Conseil des professionnels en services financiers (CDPSF).
Ainsi, on attribue parfois un client à un conseiller, sans que ce dernier développe réellement de relation d’affaires, préférant faire un travail minimal pour lui.
«Si on veut offrir de vrais services à un client, il faut lui accorder plus qu’un représentant sur papier, qui n’effectue pas vraiment un véritable suivi de son dossier», dit Yves Rochefort, conseiller en sécurité financière au cabinet du même nom et formateur en conformité.
Serge Vallée, conseiller en sécurité financière et représentant en épargne collective chez Placements Financière Sun Life, souligne quant à lui qu’il y a peut-être plus de clients orphelins qu’on veut nous le faire croire, particulièrement chez les agents généraux.
«J’ai été moi-même agent général en Colombie-Britannique, et je peux vous dire que quasiment la moitié des polices étaient orphelines. Sur 33 000 clients, environ 14 000 étaient orphelins. […]Plusieurs vieux bureaux de courtage de Montréal ont beaucoup de clients dont on ne s’occupe pas», dit-il. Serge Vallée renchérit : «Je connais des agents qui n’agissent pas tant qu’ils n’ont pas reçu trois appels ou des plaintes. Ce n’est qu’alors que l’on affectera quelqu’un au dossier.»
Flavio Vani, président de l’Association professionnelle des conseillers en services financiers, déplore pour sa part les intentions véritables de certains agents généraux. «Les agents généraux perçoivent 3 % des primes même s’ils ne donnent plus de service», fait-il observer.
Selon lui, le seul intérêt des polices orphelines pour les agents généraux ou les assureurs est qu’elles leur permettent de subventionner en quelque sorte la rémunération qu’ils versent aux nouveaux représentants.
D’après Flavio Vani, de nombreux agents forment un pool avec les polices orphelines, et l’attribuent à un directeur qui veut faire du recrutement. Ce dernier dira aux nouveaux représentants : «Vous recevrez une rémunération moindre, mais nous vous donnerons un pool de polices dans lequel vous pourrez faire du démarchage», résume le conseiller en sécurité financière.
Flavio Vani présente une piste de solution. «Qu’on donne ces polices à de vrais représentants, et qu’on leur verse une vraie rémunération à long terme. Pas une commission élevée les premières années et puis plus rien par la suite. Tout le système doit être revu», observe-t-il.