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Ces 29 dirigeants ont ainsi payé au fédéral le même taux d’imposition marginal qu’une personne gagnant moins de 43 000 $ par an, sur les revenus tirés de leurs options d’achat. Le chiffre évoque les paroles de l’investisseur vedette Warren Buffett, qui déplorait que le taux d’imposition de sa secrétaire soit plus élevé que le sien.
«C’est du « deux poids, deux mesures » pour les contribuables, réagit Philippe Hurteau, chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS). Le marché du travail avantage déjà ces dirigeants, qui réussissent à obtenir une rémunération plus généreuse. De plus, on met en place des politiques fiscales pour les aider davantage. C’est incompréhensible.»
Les options d’achat accordent le droit à un dirigeant d’entreprise d’acquérir une action à un prix déterminé dans le futur. Lorsque le prix de l’action sous-jacente dépasse le prix d’exercice, son détenteur réalise un gain en capital. Au fédéral, seulement 50 % de ce gain est imposable, explique Ricardo Antuña, conseiller sénior de la fiducie et services-conseils de Banque Nationale Gestion privée 1859. Le même traitement est en vigueur dans toutes les provinces canadiennes, sauf au Québec où 75 % du gain est imposable.
Ces économies d’impôt sont d’autant plus constestables que les études ne démontrent pas que les options d’achat marient l’intérêt des dirigeants à celui des actionnaires, estime Michel Magnan, professeur et titulaire de la chaire de gouvernance d’entreprise Stephen A. Jarislowsky à l’École de gestion John-Molson de l’Université Concordia. «Il n’y a aucune preuve que cela contribue à la création de valeur dans une entreprise. De plus, le dirigeant ne met pas à risque son actif comme s’il avait acheté des actions. Alors, pourquoi leur accorder un avantage fiscal ?»
Pour les entreprises, la raison d’être des options d’achat ne se limite pas à l’économie fiscale, nuance Claude Boulanger, chef de secteur, rémunération des cadres supérieurs chez Towers Watson. Les options d’achat procurent un «effet levier» aux dirigeants qui voient leur rémunération bondir si leurs entreprises font bien en Bourse. Elles encouragent aussi la rétention des employés clés, car elles ne peuvent être exercées avant une certaine période de temps. «C’est sûr que l’avantage fiscal est une chose que nos clients prennent en compte, mais ce n’est pas la raison principale», explique-t-il.
Les coffres de l’État
Pour notre recherche, nous avons calculé les gains réalisés grâce aux options d’achat par 97 chefs de la direction. Notre échantillon est formé des 50 plus grandes capitalisations boursières québécoises et des sociétés hors Québec du S&P/TSX 60. Des 97 dirigeants de l’échantillon, le tiers (29) a exercé des options d’achat en 2015 et en a tiré des revenus de 250,6 M$. En calculant le taux d’imposition en vigueur dans leur province de résidence, ces dirigeants ont réduit leur facture fiscale de 53,3 M$, soit une économie de 1,7 M$ en moyenne par dirigeant ayant exercé des options. Cela représente une économie de 33,5 M$ au fédéral et de 20 M$ au provincial, dont 7,5 M$ pour les dirigeants qui résident au Québec.
L’ampleur de cette dépense fiscale est plus grande que ce que reflète notre échantillon. Au total, les déductions liées à la rémunération sous forme d’options d’achat ont été de 750 M$ en 2014, selon un chiffre du ministère des Finances du Canada cité dans la plateforme électorale du Parti libéral du Canada (PLC). Les libéraux ont promis d’abolir cet avantage fiscal, mais de conserver un traitement avantageux pour la première tranche de 100 000 $ afin de protéger les entreprises en démarrage.
Le gouvernement se leurre s’il croit pouvoir récupérer cet argent, prévient Jack Mintz, économiste de l’École de politique publique de l’Université de Calgary. L’économiste se dit favorable en principe à l’idée d’imposer également tous les revenus, mais il croit que l’effet sera «neutre» sur les finances publiques. En fait, les entreprises sont imposées sur la rémunération qu’elles versent sous forme d’options, contrairement aux primes et aux salaires qui sont uniquement imposés chez les particuliers, rappelle l’économiste. En changeant les règles du jeu, le gouvernement n’aura pas le choix de laisser les entreprises déduire le coût de l’octroi d’options. Au bout du compte, le gouvernement perdra d’une main ce qu’il gagne de l’autre. «Si le gouvernement n’accommode pas les entreprises, plus aucune d’entre elles ne voudra choisir une rémunération qui est doublement imposée. Elles opteront pour d’autres formes de rémunération. Dans tous les cas, les recettes espérées ne seront pas au rendez-vous.»
Précisions: Dans une précédente version du tableau accompagnant notre texte, nous indiquions que Louis Audet (Cogeco câble), Paul Desmarais Jr. (Power Corporation) et François Olivier (Transcontinental) avaient réalisé une économie d’impôt de 158 001$, 74 192$ et 1526$, respectivement. En fait, les gains réalisés ont été imposés comme du revenu ordinaire, car ces dirigeants font partie de l’actionnariat de contrôle de leur société. En vertu d’une exception à la loi fiscale, l’actionnaire de contrôle d’une entreprise ne peut se prévaloir du traitement avantageux accordé à la rémunération sous forme d’options d’achat. Notre total est ainsi 53,3 M$ plutôt que 53,5 M$. Toutes nos excuses.