Formation uniforme davantage souhaitée
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Cette phrase d’un représentant de courtier en épargne collective est tirée d’une étude réalisée par le Groupe de recherche en droit des services financiers (GRDSF) de l’Université Laval. «Iriez-vous chez un dentiste qui a suivi un cours de trois semaines en dentisterie ?» y demandait un autre représentant.

C’était en 2008. Et bien que la situation ait évolué depuis l’amendement du réglement 31-103, il reste que les barrières à l’entrée sont encore peu élevées pour les conseillers en épargne collective, entre autres.

Aucune scolarité minimum n’est exigée, à condition qu’ils aient réussi l’examen du cours sur les fonds d’investissement canadiens de l’Institut IFSE, l’examen du cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada ou celui du cours sur les fonds d’investissement du Canada, tous deux offerts par le Canadian Securities Institute (CSI).

«Ces exigences sont-elles suffisantes ? Si un jeune conseiller suit uniquement ce que les régulateurs demandent, aura-t-il les connaissances requises pour gérer les millions d’un client ? C’est la question qu’il faut se poser», dit Raymonde Crête, avocate et professeure associée à la Faculté de droit de l’Université Laval et coauteure de l’étude du GRDSF.

L’arbre qui cache la forêt

Dans un mémoire déposé cet automne dans le cadre de la révision de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF), le GRDSF soulevait l’idée d’une formation universitaire obligatoire dans le domaine financier avant l’entrée dans la profession. Une lacune importante dans les connaissances des représentants, notait-il, concernait la réglementation.

«Il y a beaucoup de règles et de normes, beaucoup de paperasse à remplir… Ce que les représentants nous disaient, c’est qu’ils voyaient les arbres, mais qu’ils perdaient de vue la forêt», indique Raymonde Crête.

Sans compter que de plus en plus, les conseillers cumulent les permis de façon à pouvoir offrir le plus de produits possible. «Ces doubles et même triples inscriptions exigent des connaissances de base dans plusieurs secteurs, que ce soit en fiscalité, en succession ou en planification de la retraite», soutient Raymonde Crête.

Pour l’instant, le seul organisme qui impose une formation universitaire, l’Institut québécois de planification financière (IQPF), est aussi le seul à pouvoir décerner le diplôme de planificateur financier qui permet par la suite d’obtenir le permis de planificateur financier de l’Autorité des marchés financiers (AMF).

Pour passer l’examen, le candidat doit détenir un baccalauréat en droit, en administration, en économie ou en actuariat. Le cumul de certificats est aussi possible, dont un en planification financière.

Il ne s’agit pas de contingenter une profession, où plusieurs voguent vers la retraite et où le besoin de remplacement se fait criant. «Pour 300 nouveaux planificateurs par année, nous en perdons de 400 à 450», remarque Jocelyne Houle-LeSarge, présidente-directrice générale et secrétaire de l’IQPF.

Deux types de conseillers

D’ailleurs, depuis peu, l’IQPF accepte des candidats qui détiennent un baccalauréat dans un autre domaine (littérature, philosophie, géographie) à son programme exécutif, pourvu qu’ils aient une expérience de travail dans un domaine de la planification. Pas question toutefois d’abaisser l’exigence minimale d’une formation universitaire.

«Aller à l’université permet de développer la curiosité, l’esprit critique et l’esprit d’analyse et les capacités de recherche, dit Jocelyne Houle-LeSarge. C’est une formation qui initie aussi au travail d’équipe, ce qui correspond tout à fait à la planification, qui est basée sur une relation de confiance.»

Les planificateurs financiers travaillent souvent dans les grandes institutions financières, qui peuvent se permettre plus facilement d’exiger le baccalauréat comme norme d’entrée minimum, même pour ses conseillers en épargne collective, constate Raymonde Crête.

«Les plus petits acteurs peuvent-ils se permettre d’être aussi exigeants ? Ils peuvent avoir besoin de beaucoup de main-d’oeuvre, et ça ne se trouve pas à tous les coins de rue, des diplômés universitaires qui veulent faire de la vente», dit-elle.

Pour Michel Mailloux, qui offre des séminaires pour Deontologie.ca, il serait illogique de demander aux conseillers en épargne collective, dont le champ de pratique est beaucoup plus restreint, d’avoir la même formation de base que les planificateurs financiers, qui ont besoin d’une vue d’ensemble sur tous les domaines. «On pourrait avoir des conseillers juniors et d’autres plus séniors par exemple, mais pour ça, il faudrait alors repenser le système au complet», dit-il.

Selon Michel Mailloux, on ne réglera pas la question de la formation tant qu’on n’harmonisera pas celle de la réglementation. «L’industrie est trop fragmentée. Il faudrait centraliser, dit-il. Il devrait y avoir un régulateur unique, qui serait responsable de déterminer les exigences minimales de formation». Selon lui, l’AMF serait bien placée pour occuper ce rôle.

Nivellement par le bas

D’autres sont de son avis, dont le Mouvement Desjardins qui, dans son mémoire sur la révision de la LDPSF, recommande également que l’AMF soit la seule à statuer sur la formation. «Il appartiendrait désormais à l’AMF d’assurer la protection du public, en maintenant la discipline et en veillant à la formation et à la déontologie des représentants, et de décerner le diplôme de planificateur financier», peut-on lire dans le mémoire de la coopérative.

L’idée d’une formation minimale uniforme est de plus en plus véhiculée. Dans un discours prononcé l’automne dernier, Henri-Paul Rousseau, un des vice-présidents du conseil de Power Corporation et de la Financière Power, proposait de créer et d’imposer l’application de normes de qualifications professionnelles découlant d’une formation commune. Pour rester à jour, les professionnels devraient suivre de la formation continue.

Henri-Paul Rousseau suggérait également que les régulateurs et l’industrie créent des tests appropriés de la valeur ajoutée d’une relation client-conseiller à long terme. Selon lui, ces mesures «aideraient à élever définitivement la qualité du conseil financier au Canada, à atténuer davantage les conflits d’intérêts potentiels et à assurer la confiance entre les clients et les conseillers».

Il reste que pour François Leduc, professeur au programme de Conseil en assurances et services financiers du Collège Montmorency, quel que soit le niveau minium exigé, il faut que la formation de base soit dans le domaine financier. «J’enseigne au niveau du diplôme d’études collégiales depuis 18 ans et je n’ai jamais changé d’avis là-dessus. Il faut avoir une formation minimale en finances personnelles pour assurer la protection du public», estime-t-il.

Le Collège Montmorency revoit actuellement son offre de formation pour s’adapter au Programme de qualification en assurances de personnes (PQAP) entré en vigueur en janvier 2016. Ce nouveau programme vient éliminer l’exigence minimale du DEC, jusqu’alors imposé pour les représentants en assurance.

Pour Michel Mailloux, tant le PQAP que les nouvelles exigences du règlement 31-103 représentent un retour en arrière. «La tendance est au nivellement par le bas, et c’est très dommage. Même si l’AMF exige maintenant un prérequis à l’examen, il n’y a pas d’exigence minimale. Avant, on avait le droit d’entrer dans la profession avec un secondaire 5, mais la majorité des candidats avaient un DEC ou un bac. Là, ça ouvre la porte à ceux qui ont moins de formation», remarque-t-il.

Les professionnels de l’industrie financière ont sans conteste un niveau de connaissances supérieur à la moyenne des citoyens, admet Michel Mailloux, mais est-ce suffisant ? «Plus les conseillers multiplient les permis, plus ils ont une responsabilité élargie, et plus les risques de se tromper augmentent.»