Ainsi, on ne trouve que 9,4 % de femmes en moyenne au sein des CA de ces entreprises.
Certes, 60 % des entreprises comptent au moins une femme à la haute direction, et 15 % ont ajouté une femme ou plus au sein de leur CA au cours de leur dernier exercice. Par contre, plus de la moitié (51 %) des entreprises inscrites en Bourse ne comptent aucune femme dans leur CA, et 35 % n’ont aucune femme dans leur haute direction.
Une question de taille
Le portrait dressé par les ACVM est beaucoup plus sombre que celui qui se dégage d’autres études de ce genre, en raison de l’échantillon pris en compte, explique Alex Johnston, directeur de Catalyst Canada, une firme-conseil qui se consacre à l’avancement professionnel des femmes.
L’étude réalisée en 2013 par Catalyst sur les 500 plus grandes entreprises canadiennes (en fonction des revenus) concluait à une représentation féminine moyenne de 16 % au sein des CA.
En 2014, les entreprises du S&P/TSX 60 (c’est-à-dire 60 des sociétés les plus importantes inscrites en Bourse) affichaient une représentation féminine moyenne de 20 %. En augmentant l’échantillon à 700 sociétés, Alex Johnston fait remarquer qu’on inclut davantage de sociétés minières et de petites capitalisations qui ne sont pas aussi «en avance» dans ce domaine.
«L’intérêt de mesurer la représentation dans le top 60, c’est que ce sont les plus grands employeurs qui, normalement, provoquent le changement de culture», explique-t-elle.
En effet, c’est dans les secteurs minier (6 %) et pétrolier (7 %) que la représentation féminine dans les CA est la plus faible, selon les données recueillies par les ACVM.
Les secteurs des services publics (20 %), des assurances (19 %) et des communications (17 %) sont les plus en avance. Notons aussi que l’industrie des services financiers fait piètre figure, avec une représentation moyenne de 9 %.
Parité à 40 %
Une autre étude de Catalyst, datée de 2014, place néanmoins le Canada au 16e rang mondial avec une représentation féminine de 12,1 % au sein des CA, derrière des pays comme les États-Unis (16,9 %), la France (18,3 %), le Royaume-Uni (20,7 %), la Suède (27 %) et la Norvège, qui occupe le premier rang avec 40,5 % (http://tinyurl.com/ojjcugs).
C’est dire que quel que soit l’échantillon, les femmes sont loin d’avoir atteint la parité. D’autant plus que la parité serait atteinte même avec 40 % de représentation féminine, selon Dana Adès-Landy, présidente du conseil de l’Association des femmes en finance du Québec. «Quand on parle de parité, on ne parle même pas de 50 %. Ce serait un objectif trop exigeant», souligne-t-elle.
Selon les données recueillies par les autorités provinciales participantes, seulement une trentaine de sociétés inscrites en Bourse se sont donné une cible, en pourcentage, pour les postes d’administrateurs au CA. Aucune de ces sociétés ne s’est donné comme cible 50 %, ni même 40 %, préférant plutôt des cibles variant, généralement, entre 25 et 33 %.
Le gouvernement fédéral précédent avait mis en place en 2014 une politique de divulgation visant à encourager les entreprises à adopter une politique de diversité. Les entreprises ont cependant le choix d’adopter une politique ou d’expliquer pourquoi elles ne le font pas.
Or, 65 % des entreprises ont tout simplement décidé de ne pas adopter une telle politique, et 14 % seulement en ont adopté une, indique l’enquête des ACVM (voir le graphique sur la politique de représentation hommes-femmes).
Dans 66 % des cas, les entreprises ont invoqué la «sélection des candidats au mérite» comme raison principale de ne pas adopter de cibles de représentation féminine. Et dans 20 % des cas, les entreprises jugent que les cibles seraient arbitraires ou irréalistes.
Critères trop restrictifs
Plusieurs raisons sont avancées pour expliquer la faible représentation féminine dans les CA canadiens.
«Ce n’est pas si difficile de trouver des femmes, ce qui est difficile, c’est de répondre aux exigences. On cherche souvent des gens qui ont une expertise pointue», affirme Nathalie Francisci, associée chez Odgers Berndston, une firme mondiale de recrutement de cadres.
«Il faut aussi travailler deux ou trois fois plus fort pour convaincre une femme. Les femmes hésitent et s’interrogent davantage sur leurs compétences», explique-t-elle.
Brigitte Simard, associée et directrice pour l’Est du Canada chez Russell Reynolds, une autre firme de recrutement, constate le même phénomène sur le plan des exigences : «Quand on élargit les critères de sélection, c’est plus facile d’attirer des femmes».
«Cependant, quand on nous donne comme critère d’aller chercher une ancienne présidente d’une grande entreprise, c’est sûr que le bassin est plus restreint, ajoute Brigitte Simard. Il y a peut-être 14 ou 15 % des postes de présidence qui sont occupés par des femmes. Si, par contre, on dit qu’on veut une personne qui a eu des responsabilités importantes, on élargit le bassin. C’est notre rôle, comme recruteur, de mettre au défi les clients dans ce sens-là.»
L’augmentation de la représentation féminine est aussi freinée par une certaine inertie des CA. «Il n’y a pas beaucoup de rotation dans les conseils. Les mandats sont souvent renouvelés, note Nathalie Francisci. De plus, le nombre de sièges a diminué avec les années, ce qui est une bonne chose par ailleurs, mais les gens ne bougent pas tant que ça.»
Des quotas ?
Que faire ? Le gouvernement devrait songer à imposer des quotas, comme c’est le cas, entre autres, en Norvège, remarque Sylvie St-Onge, professeur au Département de management à HEC Montréal et spécialiste de la gouvernance.
Selon elle, il faut cesser de promouvoir la présence des femmes à l’aide d’arguments économiques. «Je ne crois pas que nos entreprises vont être plus performantes du point de vue économique avec des femmes. C’est une question de droit, tout simplement. Les femmes ont le droit d’être aussi incompétentes que les hommes», lance-t-elle.
«Il faut cesser d’assujettir le droit à l’économie. Ce qu’on veut, ce n’est pas seulement une société plus performante, mais une société plus égalitaire et plus performante», ajoute Sylvie St-Onge.
En attendant, les initiatives ne manquent pas : collectes de données, séances de formation, sensibilisation des dirigeants. Déjà, depuis quelques années, les clients de Nathalie Francisci et Brigitte Simard leur demandent des listes «équilibrées» de candidats, comprenant autant de femmes que d’hommes.
«Le momentum est fort. Cela fait 10 ans qu’on en parle. Je pense qu’on a réussi à convaincre les gens de l’importance de la parité. Maintenant, il ne faut pas seulement en parler, il faut commencer à voir des actions concrètes», croit Dana Adès-Landy.
Certaines entreprises ont déjà bien compris le message. Parmi les championnes de la représentation féminine au sein des CA, notons l’ontarienne Dream Unlimited (5 femmes, 62,5 % du CA), et les québécoises Groupe TVA (5 femmes, 55 % du CA) et Groupe Jean Coutu (6 femmes, 43 % du CA).
Le Château (7 femmes, 64 %) et Reitman’s (20 femmes, 53 %) se démarquent en matière de représentation féminine dans la haute direction, selon l’enquête des ACVM.