Les chiffres mis de l’avant par les enthousiastes des rachats d’actions sont les suivants, selon RA. En 2014, les rachats ont représenté 2,9 % de la capitalisation boursière totale de l’indice S&P 500. Ajoutée au rendement en dividendes de 1,9 % du même indice, cette distribution d’argent donne un rendement combiné «dividende + rachat» de 4,8 %.

«Pour les investisseurs assoiffés de rendement dans le désert des marchés de capitaux, ce rendement apparaît comme une oasis», écrit l’auteur de l’étude, Chris Brightman.

Effets de désert

Toutefois, cette oasis tourne au mirage quand on tient compte du nombre d’actions émises par les sociétés par actions. D’abord, en 2014, la valeur totale des rachats d’actions par les entreprises du S&P 500 a été de 696 G$ US ; en 2013, elle avait été de 521 G$ US. Ces deux années se classent parmi les plus hauts sommets jamais atteints sur le plan des rachats d’actions.

Or, les émissions d’actions de toutes les sociétés publiques américaines en 2014 se sont élevées à 1 200 G$ US. Selon RA, ces émissions, par leur effet dépressif sur les cours et sur les bénéfices par actions, annulent en grande partie, sinon en totalité, les gains de 4,8 % auxquels prétendent les enthousiastes des rachats d’actions.

L’effet dépressif est accru par l’endettement dans lequel les entreprises s’enfoncent souvent pour financer le rachat de leurs actions. En effet, en 2014, les emprunts des sociétés du S&P 500 s’élevaient à 693 G$ US, autant que les sommes consacrées aux rachats.

Les émissions d’actions répondaient essentiellement à trois impératifs : l’investissement et l’immobilisation, les transactions de fusion et d’acquisition, et la rémunération des dirigeants. La part du lion est allée à la rémunération des dirigeants, juge RA, qui ne peut toutefois la chiffrer.

RA explique ainsi ce dernier phénomène : lorsque les dirigeants exercent leurs options sur actions, de nouvelles actions leur sont émises, ce qui dilue les autres actionnaires. Un rachat est alors annoncé, et il correspond à peu près à la taille de l’option exercée. Cela facilite la revente des nouvelles actions des dirigeants. «L’effet net est un transfert de flux de trésorerie à la haute direction», lit-on dans l’étude.

«Les rachats d’actions ne sont évidemment pas toujours sinistres», souligne Ed Clissold, stratège en chef pour les États-Unis au Ned Davis Research Group, en Floride. En effet, plusieurs entreprises procèdent à des rachats de leurs actions pour des raisons tout à fait légitimes de trésorerie.

Par exemple, une entreprise qui dispose de surplus d’encaisse peut en retourner une partie à ses actionnaires par la voie de rachats d’actions, tout en évitant ainsi de hausser son dividende de façon soutenue. Ou encore, face à un titre sous-évalué, la société par actions peut en racheter une partie à bon compte et la revendre à meilleur prix quand les cours se sont redressés ; elle augmente ainsi son capital sans émettre de nouvelles actions.

«Cependant, il y a une part « sinistre » quand la direction est rémunérée à partir du prix et des bénéfices par action. C’est de l’argent dont ils s’emparent et qu’ils mettent dans leurs poches. Par les temps qui courent, la pratique est répandue dans les entreprises de grande capitalisation.»

Il y a d’ailleurs un certain cynisme à prétendre, comme on le fait fréquemment, que les entreprises rachètent leurs actions quand le prix de celles-ci est bas comparativement à celui de leurs pairs, note Ed Clissold : «Pourtant, quand les prix des actions étaient très hauts juste avant la crise financière, les rachats proliféraient. Et après la crise, quand les prix étaient très bas, ils s’étaient taris».

Énorme coût d’option

Il reste que sur le plan de l’économie réelle, les rachats présentent un coût plus abusif, si l’on se fie aux travaux de l’économiste William Lazonick, professeur, University of Massachusetts Lowell.

Ce dernier a établi que, de 2003 à 2012, 449 entreprises de l’indice S&P 500 ont prélevé 54 % de leurs bénéfices, soit 2 400 G$ US, pour racheter leurs propres actions. C’est une ponction importante, juge l’universitaire, dans des ressources qui auraient pu être investies plutôt dans l’innovation, la capacité manufacturière et des salaires plus élevés pour les travailleurs.

Les rachats rehaussent les prix des actions à court terme, ce qui permet aux entreprises d’atteindre leurs cibles de bénéfices par action, tout en poussant à la hausse la rémunération des dirigeants, affirme William Lazonick. Cela nous a conduit à des revenus excessifs pour les chefs de direction et à exacerber les inégalités de revenu.

Il s’agit «de billions de dollars, qui auraient pu être dépensés dans l’innovation et la création d’emplois pour l’économie américaine [et qui] ont plutôt servi à racheter des actions dans des manoeuvres qui sont en fait de la manipulation de prix», écrivait William Lazonick dans «Profits without Prosperity», son article primé de la Harvard Business Review, en 2014