Mark J. Kamstra a étudié l’influence de la durée d’ensoleillement sur le prix de certains actifs. «Même les aveugles sont sensibles à la lumière du jour, et les psychologues ont depuis longtemps fait le lien entre des durées d’ensoleillement moindres et une plus grande aversion au risque», explique-t-il en entrevue.
Durant la production d’un document de travail de la Réserve fédérale d’Atlanta, au début des années 2000 (http://tinyurl.com/qn5j6e), Mark J. Kamstra et ses collègues ont découvert que les troubles affectifs saisonniers, qui sévissent normalement à la fin de l’été ou en automne, auraient un impact négatif sur le prix des actions en raison de la plus grande aversion au risque qu’ils entraînent.
Les auteurs ont testé le rendement de trois stratégies d’investissement qui consistaient en un partage d’actifs entre les Bourses d’Australie et de Suède, deux pays géographiquement opposés dont les habitants devraient être affectés par ces troubles saisonniers en alternance.
La stratégie «neutre» (50 % sur le marché suédois et 50 % sur le marché australien) produisait un rendement de 13,2 % par an en moyenne sur une période de 20 ans (de 1980-1982 à 2001, selon le pays). La stratégie qui consiste à profiter des troubles affectifs saisonniers, c’est-à-dire d’investir au moment de l’équinoxe dans le pays qui entre dans la période hivernale, afin de profiter du futur prolongement de la période d’ensoleillement, aurait rapporté quelque 21,1 % par an en moyenne. La stratégie inverse n’a rapporté que 5,2 %.
L’étude portait sur quatre indices américains (S&P 500, NYSE, NASDAQ, AMEX) et sur huit autres indices importants dans le monde (Suède, Royaume-Uni, Allemagne, Canada, Nouvelle-Zélande, Japon, Australie et Afrique du Sud). Mark J. Kamstra explique qu’à mesure que les Bourses s’éloignaient de l’équateur, l’effet était de plus en plus marqué. William N. Goetzmann, professeur de finance à la Yale University, a publié en 2014 une étude sur l’impact de la couverture nuageuse sur l’humeur des investisseurs institutionnels (http://tinyurl.com/p58mtks). Ses collègues et lui ont découvert que la couverture nuageuse entraînait une perception de prix excessifs sur le marché américain. Les nuages rendaient en général les investisseurs plus pessimistes, ce qui nuisait aux rendements de certaines actions.
En entrevue, William N. Goetzmann explique que son étude s’inscrit dans une démarche d’appui des postulats de la finance comportementale selon lesquels les marchés ne seraient pas tout à fait rationnels. Ceux-ci seraient aussi influencés par des caractéristiques psychologiques des acteurs du marché. «Nous voulons établir une chaîne de causalité claire entre l’humeur des investisseurs et le marché boursier. Une fois qu’on a décelé un effet de la météo sur l’humeur, il faut ensuite voir si celle-ci influence les manières de négocier et vérifier si ces changements touchent les prix», précise-t-il.
Occasion d’investissement ?
Même si tous ces liens sont démontrés dans son article, William N. Goetzmann prend soin de prévenir ceux qui voudraient profiter de ces effets. «Quand on examine les effets, on constate qu’ils ne sont pas immenses, et je ne crois pas qu’on puisse faire de l’argent en négociant en fonction du temps qu’il fait», dit-il.
Mark J. Kamstra n’est pas tout à fait du même avis. «Les effets [de la météo] ne sont pas significatifs, et vous ne devriez probablement pas vous dépêcher de négocier en fonction du beau temps ou de la couverture nuageuse», croit-il.
Néanmoins, il explique qu’en l’absence d’autres facteurs plus importants pour les marchés, il peut être pertinent de se souvenir que ces effets sont réels. «Ce qui continue d’avoir un impact dominant sur les marchés, ce sont les facteurs fondamentaux comme les taux d’intérêt. Mais, quand il ne se passe rien sur ce plan dans les marchés, il se peut que l’humeur ait une influence. Ça aide à replacer dans leur contexte certains mouvements de la Bourse», explique-t-il.
Si Mark J. Kamstra juge qu’il n’est pas pertinent de négocier au jour le jour en fonction des bulletins météo, il se méfie néanmoins de l’influence que peut avoir sur les marchés la courte durée des journées durant l’automne. «Je suis plus du type buy and hold, mais quand je vois des choses qui pourraient semer la panique sur les marchés, je choisis de me retirer de juillet à octobre. Je l’ai déjà fait», dit Mark J. Kamstra.
C’est à peu près la même stratégie qu’emploie Ben Jacobsen, professeur à la TIAS Business School, aux Pays-Bas, qui, comme Mark J. Kamstra, se garde néanmoins de prodiguer des conseils en matière d’investissement. Ben Jacobsen a aussi étudié l’influence de la météo sur les marchés boursiers, mais il en a plutôt conclu que l’effet reconnu par les chercheurs n’est qu’une corrélation, et non une relation de cause à effet (http://tinyurl.com/7p2x7k5).
«J’ai longtemps vécu en Écosse, donc je connais l’effet du manque d’ensoleillement sur l’humeur, blague Ben Jacobsen. Cela dit, en étudiant certaines études, je me suis rendu compte qu’elles mettaient au jour un simple effet saisonnier.»
Ben Jacobsen renvoie à une vieille maxime, Sell in May and go away, qui selon lui est encore vraie aujourd’hui, soit parce que les investisseurs vendent avant de partir en vacances, soit simplement parce qu’ils sont moins tolérants au risque pendant l’été.
S’il n’a pas cerné la cause précise de ce phénomène, il ne doute pas de sa réalité : «depuis les années 1990, soit l’époque où nous avons découvert cette relation, je négocie activement en fonction de cette stratégie. Je quitte la plupart des marchés durant l’été et j’y reviens à la fin d’octobre. Ça ne fonctionne pas tous les ans, mais en moyenne, ça marche très bien.»