Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politiques et d’administration fiscales de l’OCDE, s’offusque un peu de ces réactions mitigées envers le BEPS. «Combien d’entre vous avaient prédit qu’ils verraient de leur vivant la fin du secret bancaire en Suisse ? a-t-il demandé aux participants de la conférence TaxCOOP, à Montréal, en novembre. Depuis la crise financière, les sujets de fiscalité internationale ont eu énormément d’impact politique et c’est pourquoi nous avons pu faire des progrès.»
La fin de la récréation
Le fonctionnaire de l’organisme établi à Paris rappelle que tout a commencé le 15 novembre 2008, à Washington, lors du Sommet sur les marchés financiers et l’économie. «Les chefs d’État ont décidé de prendre les moyens pour mettre fin au secret bancaire. Auparavant, on n’osait rien faire, car on ne voulait pas froisser certains partenaires. Toutefois, dans la foulée de la crise financière, on ne pouvait plus injecter des milliers de milliards de dollars pour sauver des institutions financières qui continuaient à vivre de ces niches fiscales», a souligné Pascal Saint-Amans.
Ce dernier se targue de ne pas s’être arrêté aux seules Îles des Caraïbes qui, dans l’imaginaire populaire, sont l’épicentre du phénomène. «On a également ciblé la Suisse, le Luxembourg, l’Autriche, les Pays-Bas parmi les membres de l’OCDE, mais aussi d’autres juridictions comme Singapour et Hong Kong.»
Pascal Saint-Amans se réjouit des progrès en matière d’échange d’informations. «En 2008, il y avait à peine 40 accords d’échange, alors qu’on compte plus de 2000 ententes bilatérales», a-t-il cité en exemple. Selon lui, c’est l’illustration d’un changement profond.
Il reproche aux nombreuses organisations non gouvernementales qui luttent pour une équité fiscale accrue de ne pas prendre acte de ces avancées. «Ils font un travail essentiel, mais je suis un peu frustré de voir cette attitude défaitiste qui veut que ce soit tout ou rien. On a fait des progrès importants. C’est la fin de la récréation !» s’est-il réjoui.
De la double imposition à la double non-imposition
Pascal Saint-Amans s’est fait historien pour illustrer comment nous en étions arrivés à cette situation : «Il faut remonter en 1917 ou 1918, lors de la création de l’impôt sur le revenu pour financer l’effort de guerre. Tout au long des années 1920, on a mis en place des règles afin d’éviter la double imposition. Mais les fiscalistes ont établi des stratégies pour tirer profit de ces règles, c’est ce qui nous a mené de la double imposition à la double non-imposition».
Il aura fallu la crise financière de 2008 pour que les États constatent l’ampleur des pertes fiscales qu’ils subissaient et prennent conscience de la nécessité de travailler de concert.
En plus de faciliter l’échange d’informations entre les juridictions, le BEPS vise à rendre plus cohérentes les règles fiscales internationales notamment par la modification des ententes bilatérales, la mise en place de normes minimales, la mise à jour des règles relatives aux prix de transfert, la reconnaissance de la primauté de la substance des transactions, et non de leur forme légale, l’évaluation des régimes préférentiels mis en place par certains gouvernements (particulièrement pour les brevets).
Fusion montrée du doigt
L’actualité financière a d’ailleurs rappelé l’importance de ces régimes préférentiels. En effet, fin novembre, la pharmaceutique américaine Pfizer et l’irlandaise Allergan rendaient publique leur fusion d’une valeur de 160 G$ US. Cette transaction permettra, sans tenir compte des économies futures, selon le Financial Times, d’économiser immédiatement 21 G$ US. Par la suite, le taux effectif d’imposition de Pfizer passera de 25,5 % à 17 ou 18 %, selon le quotidien londonien. Toujours selon le Financial Times, le taux effectif d’Allergan s’élevait à moins de 5 % en 2014.
Depuis de nombreuses années, l’Irlande attirait de nombreuses sociétés américaines (Apple, IBM, Starbucks, Amazon, Facebook, etc.), car le taux d’imposition sur les bénéfices y était très faible. Le taux a été rehaussé à 12,5 % récemment, par rapport à 35 % aux États-Unis. Cependant, de nombreux régimes préférentiels permettent à l’Irlande de continuer de séduire les entreprises pharmaceutiques et informatiques américaines. Pfizer n’en est que le dernier exemple. Rappelons que le taux d’imposition des gains tirés d’un brevet n’y est que de 6,5 %.
C’est dans ce contexte que les nouvelles règles qu’imposera le BEPS prennent toute leur importance. Cependant, plusieurs experts consultés par le Financial Times demeurent sceptiques quant aux chances de succès de la nouvelle initiative. Brigitte Alepin se disait optimiste quant aux initiatives prises par les diverses autorités fiscales lors d’une entrevue donnée à une émission d’information de la télévision française aux côtés du ministre des Finances de la France, Michel Sapin (www.brigittealepin.com).
Quant à Pascal Saint-Amans, il a expliqué au New York Times que ces règles devront à l’avenir être rédigées, en vertu du BEPS, pour que l’avantage fiscal accordé à ces brevets ne profite qu’à la recherche et à la propriété intellectuelle menée dans le pays en question. Sinon, les multinationales pourront continuer à faire du magasinage fiscal et prétendre que leurs brevets sont détenus par une filiale dans un pays plutôt accueillant telle l’Irlande, et ce, au détriment des pays où est véritablement effectuée la recherche.