Jean Morissette, consultant auprès de firmes de gestion de patrimoine, ancien président de Services Financiers Partenaires Cartier et ex-associé fondateur de Talvest.

Au Québec, l’acquisition de Planifax et celle de l’agent général BBA par Investia, filiale à part entière d’iA, ajoute plus de 200 représentants au réseau de 1 800 représentants en épargne collective et conseillers en sécurité financière que compte déjà la filiale.

Dans le secteur des valeurs mobilières, iA a acquis la firme montréalaise FIN-XO Valeurs mobilières, qui affiche un actif sous gestion de plus de 700 M$ et qui emploie une trentaine de représentants. Cette société sera fusionnée à l’Industrielle Alliance Valeurs mobilières, qui regroupe déjà 240 conseillers en placement et gère un actif de plus de 6 G$.

«Ça s’inscrit dans une tendance amorcée il y a plusieurs années», ajoute Jean Morissette, qui a lui-même cédé les rênes de Cartier à Dundee en 2003 dans une vague semblable de consolidation au sein même du secteur de la distribution.

Depuis, ce sont les groupes financiers importants, les banques et les assureurs qui s’emparent des réseaux de conseillers indépendants. «Pour les propriétaires de réseaux qui sont près de la retraite, c’est une stratégie de sortie intéressante», note Jean Morissette.

La stratégie d’iA est d’élargir son réseau de distribution et de courtiers indépendants partout au Canada. «Cela nous donne accès à de bons conseillers, à qui nous pouvons en échange offrir tout le soutien technologique et administratif nécessaire», commente Louis H. Deconinck, président d’Investia.

L’apport d’iA permettra notamment aux petits cabinets d’alléger le fardeau entraîné par les nouvelles règles qui découlent de la deuxième phase du Modèle de relation client-conseiller (MRCC 2).

«Même pour un très petit cabinet, la conformité est plus lourde», dit Daniel Bissonnette, cofondateur de Planifax.

«L’ensemble des tâches administratives nous demandait trop de temps et limitait le temps que nous pouvions consacrer à nos clients», ajoute-t-il, précisant que les 10 représentants qui composent son équipe resteront en poste auprès des clients.

Pas plus de produits maison

Louis H. Deconinck se défend bien de vouloir faire mousser les produits maison d’iA, dont les fonds IA Clarington, plus que les autres.

«La vaste gamme de produits demeurera et il n’y aura pas de quotas de production de nos services», répète le président d’Investia, ajoutant qu’iA devra promouvoir ses produits au même titre que les autres pour se démarquer.

Il n’empêche qu’un réseau de distribution coûte cher, selon Jean Morissette : «En général, dans l’industrie, on dit qu’il faut avoir un taux de pénétration de 25 à 30 % au moins de ses produits maison dans un réseau de distribution pour que celui-ci soit rentable».

Pour Gino Savard, président de Mica Cabinet de services financiers, il ne fait pas de doute que l’indépendance des conseillers est compromise. «Les produits maison prendront de plus en plus de place et les conseillers subiront plus de pression pour les offrir», dit-il. Il anticipe qu’iA pourrait tenter d’introduire ses produits, dont les fonds IA Clarington, en combinaison avec d’autres produits, sans modifier la rémunération des conseillers.

«Au début, il n’y aura pas trop de changements, mais moins il y aura d’offre indépendante dans le marché, moins ils seront subtils…», ajoute le président de Mica, qui s’inquiète de l’indépendance de la profession dans son ensemble. «La polarisation qui se produit en ce moment n’est pas bonne pour la profession.»

Les assureurs n’ont pas intérêt à jouer ce jeu, rétorque Jean Morissette. «Ce n’est pas comme les banques, qui bénéficient d’un réseau captif à travers leurs succursales. Les assureurs, eux, doivent miser sur la qualité de la relation avec les conseillers. S’ils vont trop loin dans l’offre de produits maison, leur réseau va perdre de la crédibilité auprès du client.»

Il reste qu’Investia, qui exerce ses activités depuis 1999, n’est pas née de la dernière pluie. La société affichait un actif sous administration de 15,50 G$ au 31 juillet 2015 et a des bureaux en Colombie-Britannique, en Alberta, en Ontario, au Québec et en Nouvelle-Écosse.

Et la firme n’entend pas s’arrêter là. Sa stratégie est résolument orientée sur la gestion de patrimoine. Dans une entrevue accordée à Finance et Investissement en octobre dernier, le vice-président principal et économiste en chef d’iA, Clément Gignac, estimait que de 45 à 50 % des profits d’iA proviendraient de ce secteur d’ici cinq à dix ans.

La partie n’est pas gagnée

La partie n’est toutefois pas gagnée pour iA, qui devra composer avec ce fragile équilibre : protéger l’intégrité de son réseau, tout en s’assurant de le rentabiliser. D’autres avant elle s’y sont cassé les dents. Dans les 10 dernières années, les plus grandes ventes de réseaux dans l’industrie ont été réalisées par des assureurs, rappelle Robert Frances, président de Groupe financier Peak.

«La Standard Life a vendu Performa, La Maritime a vendu Equinox, Transamerica a vendu Aegon, Axa a vendu Promutuel, que nous avons achetée à notre tour. Les assureurs ont compris que ce n’était pas pour eux à long terme et ont décidé d’en sortir. Un conseiller indépendant ne veut pas être acheté», remarque Robert Frances.

Pour ce cabinet indépendant, cette vague d’acquisitions pourrait même se transformer en occasion d’affaires. Les conseillers qui craignent trop d’ingérence de la part d’Investia pourraient bien claquer la porte. «Si ces réseaux exercent trop de pression sur leur indépendance, on pourrait être le Robin des bois qui les aidera», lance Robert Frances.

Louis H. Deconinck reconnaît qu’Investia n’est pas à l’abri de départs de courtiers qui refuseraient de s’allier à un grand groupe, tout en se faisant rassurant quant aux intentions d’iA. «Nous voulons qu’ils apprennent à nous connaître et à connaître nos méthodes. Nous croyons encore au conseil, et nous voulons qu’il reprenne sa place.»