«Selon nous, les règlements à l’amiable sans admission n’ont pas l’effet dissuasif recherché. Nous croyons que seule une admission de culpabilité de la part du coupable nous permet d’obtenir cet effet», déclarait-il. Il était seul à défendre cette position à la table des conférenciers où l’on retrouvait des représentants des régulateurs américain, britannique, australien et ontarien.
La Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) faisait savoir dès mars 2014 qu’elle irait de l’avant avec cette initiative qui ne requiert pas que l’accusé reconnaisse les faits relatifs à son inconduite présumée.
La CVMO a d’ailleurs conclu en 2014 ses deux premiers règlements à l’amiable sans contestation. Dans la première cause, l’intimé a accepté de verser une amende de 8 M$, alors que dans le deuxième règlement, trois intimés ont convenu de verser plus de 13,5 M$ en indemnités à leurs clients.
Règlement moins cher
Tom Atkinson, directeur de l’application à la CVMO, admettait qu’il était contre ces règlements il y a quelques années. Le régulateur explique sa volte-face : «Laissez-moi vous citer l’exemple d’une cause récente. L’enquête a nécessité un an. Puis, il a fallu un an de plus pour fixer la date de l’audition, ce qui a pris six mois. Nous avons attendu le verdict du tribunal pendant un an, et la sentence, six mois de plus. Finalement, la cause a été portée en appel. Je m’interroge quant à l’effet dissuasif d’une poursuite s’il faut attendre cinq ou six ans».
Tom Atkinson a partagé les fruits d’une recherche de la CVMO qui estimait à 19 personnes par an à temps plein le travail requis par des causes qui s’éternisent, alors qu’elles pourraient faire l’objet d’un règlement sans admission de culpabilité.
«Selon nous, les no-contest settlements réduisent les risques qui découlent des litiges (litigation risks) tout en assurant l’imputabilité de l’industrie. De plus, ils nous permettent de redistribuer vers des enquêtes préventives des ressources que l’on aurait consacrées à ces causes», fait-il valoir. Tom Atkinson estime qu’à l’avenir, la CVMO aura recours au règlement sans admission dans 5 % des cas.
Mauvais message
Cet avis ne convainc pas Jean-François Fortin : «Il arrive que nous parvenions à des règlements à l’amiable ; mais nous avons actuellement un bon niveau d’efficacité, et ce, même si nous exigeons une reconnaissance de culpabilité».
L’avocat s’inquiète du fait que ces règlements sans contestation risquent d’envoyer le mauvais message au public, qui pourrait se demander si justice a été rendue. Jean-François Fortin fait également remarquer que le versement d’une somme d’argent sans aveu de culpabilité peut équivaloir pour certaines firmes au prix à payer pour faire des affaires (cost of doing business), et qu’au final, la note sera payée par les actionnaires et non par les individus coupables de la conduite fautive.
Jean-François Fortin se fait prudent : «Je ne peux pas dire qu’on ne pourrait pas étudier cette option éventuellement, mais c’est exclu pour le moment».
Le Royaume-Uni se range plutôt du côté de notre voisin ontarien. Georgina Philippou, directrice par intérim de la Conformité et de la supervision des marchés de la Financial Conduct Authority (FCA), soulignait lors du Forum que le Royaume-Uni a recours au règlement sans admission depuis de nombreuses années.
«C’est un atout considérable pour nous. Cela nous permet de mieux utiliser nos ressources et d’obtenir des résultats plus rapidement, souvent en moins d’un an», a-t-elle expliqué.
Quant à l’argument selon lequel l’absence de reconnaissance de culpabilité pourrait réduire l’effet dissuasif des sanctions, Georgina Philippou répond que la FCA ne fait aucune concession dans la rédaction de l’entente, où les faits reprochés à l’inculpé sont rapportés avec précision. La seule concession se trouve dans le paragraphe qui détaille l’amende et dans lequel on mentionne que l’inculpé a obtenu une réduction de celle-ci étant donné son acquiescement.
Stephen L. Cohen, directeur adjoint de la Division de l’application de la loi à la U.S. Securities and Exchange Commission (SEC), croit pour sa part que «lorsque l’entente compte 14, 15 ou 16 pages d’allégations, le public n’est pas dupe. Il sait très bien de quoi il en retourne».
De plus, il fait remarquer qu’il n’est pas permis à l’inculpé de nier les faits, par exemple dans un communiqué de presse. «Il pourrait dire qu’il s’estime heureux d’en être arrivé à une entente ou faire des déclarations de ce genre», explique Stephen L. Cohen.
Jean-François Fortin reconnaît également que le contexte juridique québécois permet peut-être à la province de faire bande à part puisque les marchés ontarien ou américain sont plus grands, ce qui implique donc des poursuites plus importantes.
Surtout si l’on tient compte du montant des amendes imposées aux États-Unis lors de certains recours dont, entre autres, les fameux Class Action. Il est alors primordial pour les entreprises de ne pas reconnaître certains faits qui pourraient se retourner contre eux, ce que semble reconnaître par la bande Stephen L. Cohen.
«Les conséquences monétaires sont tellement importantes dans certains recours que les inculpés ont tout intérêt à faire traîner les procédures le plus longtemps possible et à payer les coûts juridiques qui en découlent.» La possibilité d’en arriver à une entente sans admission prend alors toute son importance pour la SEC.
Cependant, Jean-François Fortin compte des alliés influents. Ainsi, le célèbre juge américain Jed Rakoff (Citigroup Global Markets Inc. 11 Civ. 7387), a annulé une entente entre la SEC et Citigroup, dans laquelle la banque acceptait de verser 285 M$ sans reconnaître sa culpabilité dans une fraude de 1 G$ portant sur des titres hypothécaires, rapporte le Financial Times. Jed Rakoff, un critique notoire de la SEC, persistait ainsi dans le combat qu’il mène contre les règlements sans admission. Il faut toutefois mentionner que ce jugement a été infirmé en appel.
La Coalition canadienne pour une bonne gouvernance (http://bit.ly/1L7vb1w) et FAIR Canada (http://bit.ly/1ZdXJQs) sont également sceptiques quant aux règlements sans admission.