«Nous acceptons actuellement les dénonciations, mais nous n’avons pas de programme de protection des whistleblowers comme tel», reconnaissait d’emblée l’avocat durant le Forum sur l’application des lois dans le secteur financier tenu en septembre dernier.

Jean-François Fortin admet que tout bon programme de lutte à la criminalité financière doit comporter des règles de protection des lanceurs d’alerte.

«C’est pourquoi nous nous penchons sur la possibilité d’en instaurer un», a-t-il poursuivi. En entrevue avec Finance et Investissement quelques jours plus tard, il a refusé de prendre clairement position pour l’instant sur la question cruciale, qui est de savoir si les dénonciateurs recevraient une compensation financière.

L’avocat concède toutefois que le gendarme québécois des marchés financiers analyse avec beaucoup d’intérêt le programme mis sur pied aux États-Unis dans la foulée de la crise financière de 2008.

À l’image du régime américain

Stephen L. Cohen, de la Securities and Exchange Commission (SEC), le régulateur américain, participait à ce panel et il y a fait part de la réussite inespérée du programme aux États-Unis.

«Le Dodd-Frank Act nous a autorisés en 2010 à verser aux dénonciateurs de 10 à 30 % des sommes collectées lorsque les informations originales qu’ils ont fournies nous ont permis de conduire ou de clore une enquête et de percevoir des sommes d’argent», résumait-il.

«En 2011, nous avons peaufiné les règles, et dès lors, cela a été le déluge. Nous avions toujours reçu des dizaines de milliers de renseignements de dénonciateurs, mais maintenant, la qualité et les sources des informations se sont nettement améliorées», a poursuivi le directeur adjoint à la conformité de la SEC (Associate Director, Enforcement Division).

«Auparavant, les dénonciations provenaient surtout d’un voisin qui trouvait que le suspect conduisait une auto un peu trop rutilante ou d’un ex-conjoint qui rapportait les délits d’initié de son ancien partenaire. Nous ne recevions que rarement des renseignements de gens qui travaillent au sein même des entreprises financières et qui nous rapportent avec précision des comportements frauduleux au moment même où ils se produisent ou peu de temps après», notait Stephen L. Cohen.

«Nous avons pu porter des accusations que nous n’aurions jamais pu adresser sans ce programme», dit-il.

Stephen L. Cohen révélait même qu’il recevait des plaintes de tous les États américains, ainsi que de 140 pays sur six continents (Canada compris).

L’Ontario sur les rangs

Chez nos voisins ontariens, Tom Atkinson, directeur de l’application de la loi à la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO), affirmait durant le Forum que le régulateur ontarien comptait bien déposer sa nouvelle politique cet automne.

Il reconnaît cependant, tout comme son homologue québécois, qu’il s’interroge sur le défi que constituera la levée des sommes qui permettront de verser des compensations aux lanceurs d’alerte. «Nous n’avons pas un fonds de 400 M$ comme nos voisins du Sud», admet-il, envieux.

Il est vrai que les indemnités ne seront versées que si les informations mènent à une sanction et à l’imposition d’une amende. «Cependant, jusqu’à maintenant, quand vient le moment d’imposer des amendes, nos résultats sont mitigés», indique candidement l’Ontarien.

Au Québec, Jean-François Fortin reconnaît que la question du financement pose également problème. L’avocat a discuté de la question avec ses homologues américains et ontariens de la SEC et de la CVMO.

«Nous tentons premièrement de mesurer l’impact de l’octroi d’une rémunération aux dénonciateurs par rapport à la qualité de l’information obtenue avant de prendre notre décision finale, explique Jean-François Fortin. Dans un deuxième temps, nous tenterons de déterminer le rapport coûts-bénéfices afin de savoir si cela en vaut la peine.»

L’avocat explique aussi que les autorités de réglementation du Québec n’oeuvrent pas dans un contexte similaire à celui de la SEC. «La SEC ne dispose que de recours civils. Elle ne peut pas porter d’accusations criminelles ou pénales. C’est pourquoi il y a souvent des sanctions pécuniaires. Ce sont le FBI ou le secrétaire à la Justice (Attorney General) qui ont le pouvoir de porter les accusations criminelles ou pénales», rappelle Jean-François Fortin.

«Au Québec, l’AMF peut entamer des recours administratifs auprès du Bureau de décision et de révision afin d’obtenir des ordonnances administratives comme un retrait du permis ou une interdiction d’opérations sur valeurs. On peut aussi prendre des recours au pénal devant la Cour du Québec en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières et de la Loi sur l’Autorité des marchés financiers. On peut également collaborer avec les corps policiers et le procureur de la Couronne dans les dossiers au criminel. C’est une autre possibilité», précise-t-il.

Protection envisagée

Jean-François Fortin affirme toutefois que le programme de l’AMF devrait reposer sur trois aspects fondamentaux, soit la protection des dénonciateurs, la confidentialité, et finalement, des mesures anti-représailles afin d’éviter que les entreprises inculpées à la suite des dénonciations ne sanctionnent les lanceurs d’alerte.

D’ailleurs, Stephen L. Cohen lui donne raison. «Deux aspects importants du succès de notre programme sont, premièrement, l’octroi d’un droit de poursuite au dénonciateur contre l’employeur en cas de représailles de sa part, et deuxièmement, le pouvoir que nous avons d’intenter ce recours nous-mêmes», témoigne le représentant du régulateur américain.

Jean-François Fortin semble s’intéresser particulièrement à cet aspect du programme. «Cela fait également partie du projet ontarien. Par exemple, si un employé veut réintégrer son emploi ou obtenir une compensation au civil après avoir été congédié pour avoir dénoncé une irrégularité chez son employeur, on pourrait renverser le fardeau de la preuve, établir une présomption et conclure que l’employeur est fautif», explique l’avocat.

Actuellement, au Canada, la seule protection dont jouissent les whisteblowers est mentionnée dans l’article 425.1 du Code criminel, qui interdit à un employeur de prendre des sanctions contre un employé qui voudrait fournir aux autorités des renseignements sur une infraction à une loi provinciale ou fédérale.

Cependant, comme il s’agit d’une infraction pénale, elle ne permet pas au salarié d’être réembauché ou d’obtenir une compensation financière. Pour ce faire, il devra intenter un recours au civil où, selon le Code civil du Québec, le devoir de loyauté envers l’employeur reste la règle d’or. C’est ce genre de situation que la nouvelle politique de l’AMF pourrait corriger.

Sans promettre une date fixe de présentation d’un nouveau programme de protection des dénonciateurs, le directeur du contrôle des marchés a bon espoir que l’AMF déposera prochainement sa politique. «Elle fait partie des dossiers sur lesquels nous travaillons en ce moment», informe-t-il.