Selon ce qui se dégage de la Tournée 2015 des sociétés de FCP, les grandes institutions financières, grâce notamment à leur réseau de distribution, attirent de plus en plus d’actif sous gestion et s’imposent dans le marché aux dépens des manufacturiers indépendants.
« L’industrie est très saine, signale Claude Paquin, président du conseil des gouverneurs du Conseil des fonds d’investissement du Québec (CFIQ). Il y a toujours eu une grande panoplie de produits, mais je dirais que nous sommes, depuis quelques années, dans un cycle où l’industrie innove beaucoup, notamment en proposant de nouvelles catégories de fonds qui répondent à des besoins très spécifiques exprimés par les investisseurs. »
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Cette situation est susceptible d’accentuer les débouchés pour tous les joueurs de l’industrie, selon Claude Paquin.
« Il y a de la place pour les indépendants », croit lJean Morissette, consultant pour des firmes de gestion de patrimoine, ancien président de Services financiers Partenaires Cartier pour le Québec, avant son absorption par Dundee en 2004, et ex-associé fondateur de Talvest.
Selon lui, les joueurs parviennent à tirer leur épingle du jeu en développant des produits plus distinctifs. Il cite l’exemple de Fiera Capital et de son Fonds Fiera Infrastructure, qui investi dans des actifs d’infrastructure au Canada et aux États-Unis.
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« Il existe une multitude de facteurs attrayants, que ce soit la nouveauté, les cotes de rendement corrélées ou non, ou une méthode de gestion visant à donner de meilleurs rendements ou à réduire le risque. Si tu as un produit susceptible d’apporter une valeur ajoutée significative, peu importe ce qu’est cette valeur ajoutée, il est certain que le produit intéressera des courtiers et des représentants, car ils sont toujours intéressés par des produits susceptibles d’arrondir le portefeuille de leurs clients », avance Jean Morissette.
« Même si les réseaux de distribution des indépendants ont fondu comme peau de chagrin, les courtiers de plein exercice comme CIBC Wood Gundy, BMO Nesbitt Burns et ScotiaMcLeod, par exemple, vont acheter quand même ton produit en raison de l’intérêt que suscite sa valeur ajoutée. Ce que ces courtiers ne feront pas, toutefois, c’est d’acheter une gamme de produits, car ils utilisent de deux à trois familles de fonds et si ce n’est pas leur propre entreprise qui leur fournit ces familles de fonds, ils ont déjà des relations d’affaires avec des joueurs comme Fidelity Investment et Placements Mackenzie qui s’en chargent », ajoute-t-il.
Pour Jean Morissette, un manufacturier indépendant a peu de chance, aujourd’hui, de recréer un Fidelity investment ou un Trimark.
« Mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’occasions pour faire de bonnes affaires, ajoute-t-il. Il faut toutefois qu’à l’intérieur d’un certain laps de temps, il soit prêt à se faire avaler par un plus gros joueur, sinon sa valeur risque de disparaître. »
Investir dans des domaines plus distinctifs requiert une expertise et une capacité de prendre des risques qui ne correspondent pas, de prime abord, au modèle d’affaires privilégié par les banques, mentionne Jean Morissette.
« Les intégrateurs en haut de la chaîne alimentaire, ce ne sont pas des innovateurs. C’est-à-dire que les grandes institutions financières attendent souvent que d’autres joueurs innovent, soient confrontés aux problèmes, les règlent et une fois que les joueurs engendrent du volume de vente et que la machine est en marche, elles les achètent », avance-t-il.
Il s’agit d’une tendance qui s’est amorcée il y a 10 ou 15 ans, dit Jean Morissette.
Consolidation continue
Selon lui, l’industrie se trouve dans sa troisième ou quatrième phase de fusion-acquisition-intégration. « Auparavant, il s’agissait de petits joueurs spécialisés ou d’institutions de taille moyenne en difficulté qui étaient appelés à être intégrés. Mais depuis cinq à dix ans, ce sont des joueurs indépendants dotés d’une masse critique relativement importante qui sont achetés. »
« Aujourd’hui, la tendance chez les indépendants consiste à mettre une boîte sur pied dans le but de la vendre à un groupe. Les gens qui ont une bonne connaissance de l’industrie, une expertise, la capacité et le capital pour partir une start-up, ne se lancent donc pas en affaire avec l’ambition de faire grossir leur boîte pendant 50 ans, mais plutôt pour la vendre dans cinq ans », estime Jean Morissette.
Il explique cette situation par plusieurs phénomènes, qui forcent à la fois les manufacturiers à apporter des changements dans le développement de leurs produits, et les réseaux de distribution à apporter des changements au niveau de l’offre de service.
Au nombre de ces phénomènes, Jean Morissette cite notamment l’accentuation réglementaire, les développements technologiques, ainsi que la pression qu’exercent la croissance des ventes enregistrées par les fonds négociés en Bourse (FNB) et l’arrivée des conseillers-robots sur les prix des FCP.
Forte croissance des ventes
Dans un article de Sandra Ramirez, Jesus Sierra Jimenez et Jonatha Witmer publié en juin 2015 dans la Revue du système financier 2015, la Banque du Canada mentionne qu’au Canada, les dix plus importantes sociétés de gestion de fonds « gèrent près de 70 % de l’actif total des fonds communs de placement canadiens, et la plupart d’entre elles sont des filiales exclusives de banques ou de compagnies d’assurance canadiennes. »
À titre comparatif, la part de l’actif des FCP américains gérés par les dix plus grandes sociétés américaines s’élevait à 53 % au 31 décembre 2013, selon la Banque du Canada.
Pour Jean Morissette, la présente phase de fusion-acquisition-intégration « est pratiquement finie, car il ne reste à peu près plus d’indépendants significatifs n’appartenant pas déjà à une banque, une grosse compagnie d’assurance, à Desjardins, ou à des étrangers », exception faite de quelques joueurs plus marginaux.
L’actif géré n’a toutefois jamais cessé de croître. Selon une étude de l’Institut du Québec (IdQ) publié en juin 2015, les placements des Québécois dans les FCP et les fonds négociés en Bourse (FNB) ont connu une croissance annuelle moyenne de 9,3 % sur neuf ans, faisant passer l’actif géré de 81,4 G$ en 2004 à 180,5 G$ en 2013.
Pour Claude Paquin, à l’instar de la perte de vitesse des fonds de pension à prestation déterminés qui a transféré une partie de la responsabilité de la retraite sur les consommateurs, la consolidation des joueurs observée dans l’industrie des FCP est l’un des facteurs ayant contribué « à la forte croissance que l’on a connue au cours des 15 dernières années ».
« De grandes institutions financières ont fait l’acquisition de plusieurs fonds indépendants et c’est un phénomène cyclique et naturel, comme on en observe dans plusieurs autres industries. Maintenant, est-ce que cette consolidation est terminée ? Est-ce que nous sommes rendus à la fin du cycle ? C’est très difficile à dire », mentionne Claude Paquin.
Photo scyther5 / Shutterstock