Si un client a accumulé un patrimoine qu’il souhaite transférer à la génération suivante, il sera sans aucun doute inquiet des répercussions potentielles d’une telle démarche. Mais il y a des façons de minimiser la facture fiscale tout en maintenant un certain contrôle sur ses actifs. L’une d’entre elles est un gel successoral, qui « gèle » effectivement la valeur de son patrimoine de son vivant et lui permet de rendre le processus de succession plus efficient du point de vue fiscal.

 

« L’idée de base avec un gel successoral, c’est de geler la responsabilité fiscale et de faire supporter par la génération suivante la croissance future de l’actif, habituellement un petit commerce », dit Doug Carroll, vice-président, Fiscalité et planification successorale auprès de la société torontoise Invesco Canada. « En fait, ce qu’on fait est de verrouiller ses propres gains de manière à ce que la croissance future soit entre les mains de quelqu’un qui n’aura pas nécessairement à la réaliser jusqu’à une génération plus tard. »

Le transfert de patrimoine peut être exécuté par une fiducie ou une société de portefeuille, et parfois par les deux. Ou alors, si les affaires de quelqu’un sont relativement claires, la personne en question peut transférer la propriété directement à son enfant adulte. « Il y aura une disposition à des fins fiscales, mais la croissance future sera entre les mains de l’enfant », dit M. Carroll.

Le point de départ de l’exercice est lorsque que le clien a trop de capital et qu’il veut aider sa famille, dit Jack Courtney, vice-président des services de planification pour la clientèle privée auprès du Groupe Investors. « Il faut travailler avec des planificateurs financiers pour s’assurer que l’on sera capable d’avoir le train de vie désiré. Les clients qui en ont pris soin et qui ont bien planifié leur propre avenir ont fait cette analyse. Ils ont déterminé qu’ils avaient plus de capital qu’ils ne seront jamais capables de dépenser. Ils n’ont pas besoin d’utiliser leur patrimoine entier pour financer leur train de vie. Dans ce cas, la question est de savoir ce qu’ils veulent en faire. »

À quel niveau a-t-on « trop de capital »? M. Courtney dit que c’est une affaire individuelle, qui dépend des circonstances propres à chacun, de la complexité du gel successoral et des coûts juridiques et comptables qui y sont associés. « Dans un cas de figure simple, quelqu’un peut avoir un excédent de capital provenant d’un héritage, d’options d’achat d’actions ou de la vente d’un commerce. Il a travaillé avec un planificateur fiscal et déterminé qu’il veut aider sa famille, dit M. Courtney. Il pourrait tout simplement le donner à ses enfants, mais d’habitude les gens veulent exercer un contrôle pour plusieurs raisons. »

D’abord, ils veulent s’assurer que l’argent sera dépensé judicieusement par les bénéficiaires. Ensuite, ils veulent un peu de souplesse au cas où ils seraient confrontés à un problème de santé à un point ou à un autre. « Ces stratégies offrent la souplesse de transférer l’argent à la génération suivante avec le plus d’efficience fiscale possible, ainsi que la capacité de procéder peut-être à un fractionnement du revenu avec ses enfants, parce qu’il est probable que ces derniers se trouvent dans une tranche d’imposition inférieure », dit M. Courtney. Il note que plus la responsabilité fiscale est gérée tôt, plus importante est la part du patrimoine qui peut être transférée plus tard. « En dernière instance, au décès de la personne, on peut espérer que la croissance de l’actif pourra en grande partie être transférée à la génération suivante sans déclencher des gains en capital. Il s’ensuit qu’il y aura beaucoup plus de capital qui lui sera transféré. »

La distinction entre l’établissement d’une fiducie ou d’une société de portefeuille pour exécuter le gel successoral, ajoute M. Carroll, est déterminée par la complexité des actifs que l’on possède et la relation que l’on a avec les autres parties prenantes. « Il pourrait y avoir des raisons justifiant un degré de protection supérieur », par exemple dans le cas du transfert d’actifs entre un père et sa fille.

Ce dernier pourrait avoir des inquiétudes sur les créanciers de sa fille ou, parce qu’il y a beaucoup d’argent en jeu, peut-être ne veut-il pas que ses actifs soient immobilisés par une dispute conjugale en cas de divorce. « Si l’on essaie de planifier en fonction de cette sorte d’impondérables, peut-être est-il souhaitable de superposer d’autres structures qui permettront d’assurer cette protection », dit M. Carroll, notant qu’une société de portefeuille est un moyen de gérer ce type de difficultés inattendues.

Une fiducie pourrait avoir une taille de seulement 100 000 $, ou même moins, mais en général elle sera de 250 000 $ à 500 000 $ à cause des frais juridiques et comptables et des coûts fixes de production d’une déclaration d’impôt. Le coût initial d’établissement de cette structure va de 2 000 $ à 5 000 $. « Mais il pourrait y avoir d’autres conseils juridiques requis », dit M. Courtney, ajoutant qu’une situation fiscale plus complexe qui comporte des évaluations coûteuses pourrait pousser les frais d’établissement jusqu’à 10 000 $ et plus.

« Il y a beaucoup de connaissances qu’un avocat peut apporter. Il faut travailler avec un bon spécialiste parce qu’il y a d’innombrables petits pièges fiscaux à éviter », dit M. Courtney, qui a fait une présentation sur les gels successoraux en juin à la conférence annuelle de l’Institut canadien de planification financière à Vancouver. Selon lui, un spécialiste permettra de s’assurer que les règles d’attribution relevant de la structure d’une fiducie seront respectées et que l’Agence du revenu du Canada sera moins tentée d’y regarder de très près.

Quelquefois, note Greg Carroll, le transfert d’actifs peut être effectué à la faveur d’une restructuration d’entreprise et d’un gel partiel du patrimoine. En d’autres termes, le propriétaire d’une entreprise peut s’en faire émettre des actions qui comportent déjà les gains en capital accumulés. Ensuite, de nouvelles actions sont émises au bénéfice de sa fille, ce qui lui donne le droit de participer à la croissance future de la société. « Ce ne sera peut-être pas un gel complet car le père pourra prendre certaines des nouvelles actions et ne pas confier toute la croissance future à la génération suivante. »

Au coeur d’une stratégie bien exécutée se trouve une compréhension absolue de la part des nouvelles générations qui vont bénéficier du gel successoral. « Cela revient en fin de compte à expliquer à la famille du client pourquoi il fait ça, dit M. Courtney. Ses enfants finiront par prendre le contrôle; s’ils ne comprennent pas pourquoi le client s’est livré à cet exercice, ils sont capables de tout vendre, de démanteler la fiducie ou la société de portefeuille, et même de déclencher le paiement de tous les impôts différés. Cette planification sera alors pour la plupart gaspillée. »

Pour que la stratégie de la fiducie ou de la société de portefeuille fonctionne, indique M. Carroll, il faut que plusieurs conditions soient réunies. Il faut que l’entreprise ou ses actions aient affiché une croissance accumulée imposable, et que l’on s’attende à la poursuite de cette croissance, dit M. Carroll. Il est aussi essentiel de consulter un avocat ou un comptable pour identifier les complications éventuelles que l’on devra résoudre. Cela pourrait conduire à fixer des limites au nombre d’actions émises, par exemple.

« Il faut se demander comment mettre en oeuvre ce plan consistant à pousser la valeur (de l’entreprise) et la responsabilité fiscale à la génération suivante, et le faire d’une manière qui ne crée pas de problèmes, dit M. Carroll, mais s’il y a des problèmes qui risquent de se poser, il faut les avoir étudiés à l’avance de façon à les prévoir et à s’en prémunir. »