Les grandes banques jugées «trop importantes pour faire faillite» ont ainsi été identifiées, au Canada et ailleurs, comme étant «d’importance systémique». Cette désignation entraîne, entre autres, une supervision plus serrée et une obligation de maintenir des niveaux de capitaux propres plus élevés.
Aux États-Unis, deux sociétés d’assurance, Prudential Financial et MetLife, ont aussi été étiquetées comme «systémiques» par le Financial System Oversight Council (FSOC), un regroupement de régulateurs américains créé après la crise financière.
Maintenant, le FSOC, de concert avec le Conseil de stabilité financière (Financial Stability Board ou FSB), une organisation internationale chargée de faire des recommandations en la matière, étudie depuis des mois la possibilité d’accoler l’étiquette «systémique» à certains gestionnaires d’actif.
Dans un rapport publié en septembre 2013, l’Office of Financial Research (OFR), arrimé au FSOC, estimait que les gestionnaires d’actif étaient engagés dans des activités qui «pourraient créer des vulnérabilités» dans le système financier, notamment par l’intermédiaire des «comptes gérés séparément».
Ces comptes, qui permettent une gestion sur mesure pour des clients plus fortunés, représenteraient quelque 40 % de tout l’actif sous gestion aux États-Unis. Or, selon l’OFR, peu d’information existe sur ces comptes, autant sur la nature de leur actif que sur les stratégies employées.
Biais humains problématiques
L’OFR s’inquiète aussi des risques liés à la quête de rendements, du «comportement moutonnier» des gestionnaires et de la possibilité d’une perte de confiance généralisée des investisseurs qui pourraient provoquer des retraits massifs en cas, par exemple, de soupçon de fraude.
Ralf Hensel, conseiller juridique, secrétaire général et vice-président des politiques à l’Institut des fonds d’investissement du Canada (IFIC), un regroupement de l’industrie des fonds communs, est plutôt critique de ladite étude : «Les auteurs semblent avoir tiré des conclusions d’abord et cherché des justifications ensuite.»
L’IFIC, qui soumettait dernièrement ses commentaires au FSOC dans le processus consultatif en cours chez nos voisins, vante le modèle canadien qui consiste, à terme, à confier le dossier au nouveau régime coopératif de réglementation des marchés des capitaux pancanadien (sans le Québec et l’Alberta).
Ralf Hensel croit que cela permettra d’éviter qu’une réglementation de «style bancaire» ne soit imposée à certains membres de l’industrie.
Difficile néanmoins de savoir si le Canada désignera dans un avenir proche des entreprises non bancaires comme systémiques. Même si l’industrie canadienne des fonds communs n’est pas aussi importante que celle des États-Unis (15 000 G$ US d’actif en 2013, selon l’Investment Company Institute [ICI]), elle représente tout de même, selon des chiffres de février de l’IFIC, quelque 1 218 G$.
C’est l’équivalent de plus du quart du total de l’actif des banques canadiennes (4 385 G$ en février 2015, selon le Bureau du surintendant des institutions financières [BSIF]), ou près de 70 % du PIB canadien. Le problème est que, comme pour les banques, l’importance systémique peut se mesurer autant par rapport à l’industrie mondiale qu’à l’industrie nationale.
Anita Anand, professeure de droit à l’Université de Toronto, prévoit que le Canada s’inspirera des États-Unis : «Le concept d’institutions « systémiquement importantes » est relativement nouveau au Canada. Selon toute vraisemblance, nous allons regarder du côté de nos voisins pour aider dans l’interprétation des concepts.»
Le Ministère des Finances du Canada indique qu’une ébauche aux fins de consultation de la Loi sur la stabilité des marchés des capitaux a été publiée en septembre 2014. La loi devrait «préciser le cadre de réglementation des entités d’importance systémique, y compris les intermédiaires.»
Le processus de consultations publiques a permis de recueillir plus de 60 mémoires. Cet été, un autre processus de consultation des «administrations participantes» aura lieu en vue d’apporter des modifications aux différentes législations provinciales.
L’Autorité des marchés financiers (AMF), qui ne participe pas au régime pancanadien en devenir, a néanmoins collaboré, à titre de membre de l’Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV), à l’élaboration d’un rapport de consultation sur la question des entités non bancaires. Selon l’AMF, le rapport publié en mars dernier propose un «seuil de matérialité» pour chaque type d’entité. Par exemple, un fonds d’investissement devrait avoir une valeur liquidative d’un minimum de 30 G$ US ou encore 200 G$ US d’actif brut sous gestion pour être désigné comme comportant des risques systémiques importants.
Qu’ils soient ou non désignés comme institutions d’importance systémique, les gestionnaires canadiens de fonds doivent s’attendre à fournir davantage d’information sur leurs stratégies et sur la composition de leurs portefeuilles.
«Il y a un réel appétit pour des données qui permettraient la mise en place de systèmes d’alerte précoce, souligne Ralf Hensel. Une des tâches du régulateur pancanadien sera justement de collecter ce genre de données.»