Mal lui en prit. Les dossiers des clients lui sont parvenus pêle-mêle dans huit caisses. C’était «un fouillis qui m’a pris trois jours à remettre en ordre», indique Jean-François Rémillard.

«J’ai découvert des notes de prêts qu’il avait faits avec ses clients. J’ai fait le tour de ses clients pour en voir l’ampleur, et des clients m’ont appris qu’il continuait à proposer des services financiers. Il a été poursuivi par des clients pour tenter de se faire rembourser et pour qu’il perde sa licence», témoigne-t-il.

Entre-temps, comme le contrat de vente stipulait qu’il ne devait pas solliciter de clients, Jean-François Rémillard a cessé de le payer, après lui avoir fait parvenir une lettre enregistrée à cet effet. Il lui a ainsi versé pendant 17 mois les paiements mensuels qui devaient s’étaler sur 24 mois.

«J’ai eu cette clientèle à rabais, reconnaît Jean-François Rémillard, mais ça s’est avéré un paquet de troubles. Je n’ai pas perdu avec ces clients, mais je ne fais pas d’argent avec eux.»

Daniel Guillemette, président de Diversico Assurances et Investissements, à Brossard, en Montérégie, avait retenu pour quelques années les services du conseiller dont il avait acquis la pratique.

«On n’avait pas prévu que cette personne aurait des comportements et des attitudes qui ne cadraient pas du tout avec nos façons de faire, note Daniel Guillemette, également représentant en épargne collective chez Services d’investissement Quadrus. J’ai dû mettre fin à une relation que j’avais espérée durable. Le temps peut être long si on est pris avec un vendeur dont on ne partage pas les valeurs.»

Bien servir les clients importants

Ces anecdotes montrent quelques-uns des risques inhérents à l’achat d’un book. Au cours des 22 transactions auxquelles il a procédé depuis son premier achat en 1996, Daniel Guillemette a eu l’occasion de réfléchir à plusieurs de ces risques.

L’un des risques les plus importants est évidemment de faire un achat non rentable, avance Daniel Guillemette. Cette absence de rentabilité peut tenir à plusieurs facteurs. Par exemple, une trop grande partie de la clientèle achetée étant déjà à la retraite, son actif à administrer n’est plus en croissance. Ou encore, quelques clients importants, ayant une relation trop ténue avec le conseiller précédant, partent.

Ce départ de clients importants est lié à un autre facteur de risque, note Daniel Guillemette : la concurrence, tout particulièrement celle des grandes institutions financières. Celles-ci sont souvent incontournables, la plupart des clients ayant des liens avec elles, mais pas nécessairement avec un conseiller indépendant.

«Et les banques ont de bons arguments : nous vous faisons un prêt si vous déplacez vos affaires chez nous, souligne Daniel Guillemette. C’est interdit, mais on soupçonne que ça se fait.»

Bonne vérification diligente

La non-conformité des dossiers-clients est un autre risque majeur : analyse de besoins déficiente, pas de profil d’investisseur, formulaires signés en blanc, etc. «Les surprises qu’on a sont parfois spectaculaires !» s’écrie Daniel Guillemette.

Un risque particulier en matière de réglementation se profile à l’horizon : les divulgations liées à la phase deux du modèle de relation client-conseiller (MRCC 2). «On a commencé à appliquer les changements requis il y a quelques années en divulguant les frais de gestion en montants chiffrés», rapporte Daniel Guillemette.

Par contre, tout le problème des changements et les frictions possibles avec les clients que ces changements risquent d’entraîner «aboutissent chez l’acheteur qui acquiert le book d’un conseiller qui n’a rien fait à ce chapitre», avertit-il.

Le risque de réputation est relié aux risques de non-conformité et aux risques en matière de réglementation. Le conseiller qui achète une clientèle dont on s’est mal occupé s’expose à des possibilités d’amendes ou de poursuites, et sa réputation peut s’en trouver ternie.

Avec Internet et les réseaux sociaux, ces fautes peuvent prendre des dimensions indésirables : «Quand on tape votre nom dans Google, vous n’avez pas envie qu’on apprenne que vous êtes poursuivi, note Daniel Guillemette. Et vous ne saurez pas nécessairement que vous avez perdu un client à cause de ça».

Pour éviter de pâtir de ces risques, la première chose à faire est de mener une vérification diligente fouillée dans les dossiers des clients du vendeur.

Aligner les intérêts

Il faut être attentif à une multitude de signes : la répartition de la clientèle selon l’âge et la taille des actifs à administrer, la conformité en matière de réglementation, les types de portefeuille, l’existence de trop de levier, énumère Patrick Ducharme, vice-président de De Champlain Groupe financier.

Daniel Guillemette se concentre essentiellement sur les dossiers des clients les plus importants : «Je n’ai jamais vu des dossiers de gros clients mal montés alors que ceux des petits clients le seraient !»

Cette vérification diligente s’étend aux locaux et au personnel du vendeur pour voir, par exemple, si les adjoints sont rigoureux ou négligent leurs tâches.

Un point crucial est la rencontre d’au moins quelques clients avant l’achat. Jean-François Rémillard et Patrick Ducharme y voient un avantage certain, bien qu’ils soient conscients qu’une telle requête puisse être délicate. Daniel Guillemette ne juge pas une telle rencontre nécessaire, mais deux autres conditions, que tous jugent essentielles, doivent être remplies.

La première est une clause de performance, c’est-à-dire qu’une fois que le vendeur et l’acheteur se sont entendus sur le niveau de revenus rattachés à un book, le vendeur se portera garant de ces revenus en acceptant une réduction des paiements de l’achat si le portefeuille de clients ne répond pas aux attentes.

Par exemple, «si le revenu baisse de 20 000 $, tant l’acheteur que le vendeur assument un coût de 10 000 $, explique Daniel Guillemette. Ainsi, tous les deux rament pour que leurs prévisions se réalisent.»

Autre mesure pour assurer que l’actif sous administration reste performant et pour retenir les clients : que le vendeur demeure à l’emploi de l’acheteur pour une période qui devrait être d’au moins six mois, selon Jean-François Rémillard, et de trois ans, idéalement de cinq ans, selon Daniel Guillemette.