Londres instaure donc une «taxe Google», telle qu’on la surnomme, pour décourager ces entreprises d’utiliser les failles d’une fiscalité internationale qui n’est toujours pas adaptée à l’ère du numérique.

«Certaines des plus grandes entreprises mondiales, particulièrement celles du secteur des nouvelles technologies, ont recours à des dispositifs complexes pour se soustraire à l’impôt. Nous allons faire en sorte que les grandes multinationales paient leur part», annonçait en décembre le chancelier de l’Échiquier du Royaume-Uni, George Osborne, l’équivalent du ministre des Finances.

Promesse tenue. En mars dernier, le gouvernement britannique détaille ce que tous surnomment la «taxe Google». Les mesures fiscales permettront d’imposer 25 % des «bénéfices détournés» par les grandes entreprises des technologies, soit 5 points de pourcentage de plus que l’impôt traditionnel sur les sociétés.

Pour évaluer les «bénéfices détournés», le fisc britannique pourra s’appuyer sur tous les indicateurs permettant d’évaluer l’ampleur des activités d’une entreprise en sol britannique : entrepôts, nombre d’employés, transactions, etc.

Qui plus est, le fisc pourra forcer les multinationales à payer. Celles-ci devront attendre un an avant de réclamer les sommes qu’elles jugent injustifiées.

«L’objectif est que les entreprises se disent que cela ne vaut pas la peine de prendre ce risque et préfèrent payer l’impôt normal sur les sociétés», a expliqué en mars Andrea Leadsom, secrétaire d’État au Trésor.

La France y songe

L’idée d’une «taxe Google» n’est pas nouvelle. Depuis quelques années, de nombreux pays cherchent à contrer les stratégies d’optimisation fiscale des géants des technologies.

C’est le cas de la France, qui examine la question de près. Dans un rapport volumineux publié en janvier 2013, on évaluait les pertes annuelles découlant de telles pratiques à environ 800 millions d’euros (1,35 G$ CA) en France.

À l’automne, 10 économistes se sont de nouveau penchés sur la question. Leur rapport sur la fiscalité du numérique, publié en mars dernier, indique que les pays pourraient appliquer des réformes dès maintenant pour récolter les sommes qui leur sont dues (http ://tinyurl.com/psk63ry).

«À court terme, de nouveaux outils fiscaux spécifiques pourraient être envisagés, en Europe ou dans un noyau de pays, en attendant une refonte du cadre fiscal international.»

L’organisme français qui a chapeauté l’étude, France Stratégie, avance la possibilité d’imposer une taxe ad valorem sur les revenus publicitaires ou la collecte de données personnelles, «plus facilement rattachables à un territoire».

Toutefois, souligne l’étude, il faut veiller à limiter les effets négatifs d’une telle fiscalité, comme une collecte plus intensive des données, l’instauration de services payants, l’exclusion d’une partie des utilisateurs et autres freins à l’innovation.

«De ce fait, un taux de taxation assez faible et la mise en place d’un seuil, en deçà duquel l’entreprise ne serait pas taxée, semblent opportuns», soulignent les auteurs de l’étude.

Pourquoi ne pas attendre une refonte globale des conventions fiscales internationales ? L’organisation rappelle que pour la France seulement, une réforme globale aurait des incidences sur 140 traités bilatéraux. «Il ne peut donc s’agir que d’un objectif à long terme.»

Une récession numérique ?

Les lobbys du secteur de l’économie du numérique réagissent à ces initiatives nationales. Le principal argument avancé : de telles mesures nuiront à toute l’économie tributaire du numérique.

En France, l’Association des services Internet communautaires (ASIC) soutient qu’en empruntant cette voie, l’Hexagone s’exposera à une «récession numérique».

«C’est oublier que toutes les entreprises se transforment grâce au numérique, soulignent les dirigeants de l’ASIC dans un communiqué. C’est donc ne pas voir que chaque nouvelle mesure touchera toutes les entreprises. La France est sur le chemin de la récession numérique.»

Une proposition de l’OCDE

Chose certaine, tout pointe vers l’implantation d’une réglementation fiscale mieux adaptée à l’économie numérique au cours des prochaines années.

L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et la Commission européenne travaillent, chacune de leur côté, à corriger les failles du système fiscal international.

Les conséquences seront majeures, prévoit Joseph Harpaz, qui est à la tête du service des taxes et de la comptabilité du secteur des entreprises chez Thomson Reuters.

«Pour la première fois, les entreprises devront détailler chaque déclaration d’impôt pour l’ensemble des pays où elles font affaire», écrit-il dans un billet de blogue publié sur le site de Forbes (http ://tinyurl.com/mnorpab).

Il souligne que jusqu’à présent, elles n’avaient qu’à déclarer les flux d’opérations d’un pays à l’autre. «Maintenant, tous les renseignements fiscaux pour chacun des pays seront accessibles selon un modèle standard, qui peut être partagé», précise-t-il.

Selon la proposition de l’OCDE, plusieurs nouveaux renseignements relatifs à la main-d’oeuvre et aux ventes devront être partagés, afin de permettre aux pays d’établir la valeur des activités de chaque entreprise, souligne Joseph Harpaz.