D’ailleurs, les investissements d’un client sont souvent très inspirés par la composition du portefeuille du conseiller lui-même.
Imiter son conseiller
À partir des transactions faites pendant une dizaine d’années chez trois grands distributeurs canadiens de fonds communs, les auteurs ont analysé le profil et le portefeuille de près de 10 000 conseillers et de 750 000 de leurs clients.
Les auteurs ont d’abord tenté de mesurer l’effet des services d’un conseiller sur la composition du portefeuille des clients. Selon leurs calculs, les investissements dans des catégories d’actif plus risquées (les actions) augmentent de 40 points de pourcentage lorsque le client recourt aux services d’un conseiller.
Or, la tolérance au risque du client ainsi que son âge ne compteraient que pour 10 % de cette hausse, tandis que l’influence du conseiller compterait pour le double.
Autrement dit, le conseiller a davantage d’effet sur la composition du portefeuille que le profil financier du client.
Les chercheurs ont noté par ailleurs une forte corrélation entre le niveau de risque auquel le conseiller s’expose dans ses propres investissements et le niveau de risque de ses clients.
Brian Melzer, un des coauteurs de l’étude, soutient en entrevue que «le conseil sur mesure existe toujours, mais occupe une place modeste».
Selon ce professeur de finance de l’Université Northwestern aux États-Unis, il y a néanmoins un côté positif au fait que les conseillers soient prêts à acheter eux-mêmes ce qu’ils vendent.
Toutefois, souligne-t-il, «les conseillers obtiennent des rabais sur certains produits, si bien que pour un risque semblable, le prix payé n’est pas identique».
Constat inquiétant
Les résultats de cette étude viennent une fois de plus souligner l’ambiguïté du rôle du conseiller et de ses responsabilités fiduciaires, juge Ken Kivenko, président du comité consultatif de la Small Investor Protection Association (SIPA), en Ontario.
«Les conseillers sont avant tout des vendeurs, et ils vendront ce que le courtier leur suggère de vendre», soutient-il.
Ken Kivenko ne considère pas que le fait que les conseillers recommandent ce qu’ils achètent eux-mêmes soit une bonne nouvelle. «Ces investissements peuvent bien convenir au conseiller, sans pour autant convenir au client», souligne-t-il.
«Ça prouve peut-être que ce ne sont pas des investissements complètement bons pour la poubelle, mais ça ne change rien au fait que chaque client a des besoins différents et que le conseiller ne fait pas son travail en offrant sa solution unique», ajoute-t-il.
Pour Stéphane Chrétien, professeur de finance et titulaire de la Chaire Groupe Investors en planification financière de l’Université Laval, cette étude «assez exhaustive» soulève plusieurs questions sur le rôle du conseiller, notamment en matière d’investissement.
«Les conseillers semblent avoir un rôle important à jouer dans la prise de risque de leurs clients», note-t-il.
Même s’il juge que le peu d’importance qui semble accordée aux caractéristiques spécifiques de chaque client demeure «difficile à expliquer», il souligne que certaines variables, comme la tolérance au risque, sont souvent «faibles» parce que «difficiles à mesurer». Ces difficultés font en sorte qu’«à peu près tout le monde est classé dans la catégorie « modérée »«.
Bémols
Dans un article publié en janvier par Investment Executive, Jon Cockerline, directeur de la recherche à l’Institut des fonds d’investissement du Canada (IFIC), reprochait aux auteurs de l’étude de surestimer les frais demandés aux clients.
Les chercheurs suggèrent que les gains potentiels liés à des investissements plus risqués (2,4 % selon leurs calculs) soient presque nuls après avoir soustrait des frais moyens, qu’ils évaluent à 2,7 % de l’actif.
Selon l’IFIC, seuls les frais payés au conseiller (environ 0,5 %) devraient être pris en compte dans le calcul. Les frais de gestion seraient, selon l’IFIC, des frais normaux d’administration et de distribution des fonds.
Le chercheur Brian Melzer évalue cependant qu’au Canada, environ 40 % des frais de gestion sont remis en commissions aux conseillers.
«En ignorant les frais de gestion, on exclut un montant substantiel de frais payés indirectement pour les services d’un conseiller», dit-il.
Ken Kivenko, de la SIPA, souscrit à cette analyse. Il croit même que le montant consacré aux divers frais est peut-être légèrement plus élevé, à 2,9 %.
Enfin, Brian Melzer souligne que l’étude ne s’intéresse qu’aux conseils en matière d’investissement et ne statue pas sur les autres avantages qu’un client pourrait tirer de sa relation avec un conseiller.
Stéphane Chrétien insiste d’ailleurs sur cet aspect manquant de la recherche. «Les conseillers peuvent aussi parfois offrir des conseils en matière fiscale qui s’avéreront encore plus payants pour un client», note-t-il.
«Une succession mal planifiée, ça peut coûter cher !» remarque-t-il, en rappelant que bon nombre des avantages tirés de services financiers personnalisés sont souvent difficiles à évaluer.