Dans une conférence de presse conjointe, mardi, Option consommateurs et la Coalition des associations de consommateurs du Québec (CACQ) montrent du doigt le risque de la multiplication des mandats au sein de l’AMF qui découlerait de cette intégration.
Essentiellement, au sein d’un même régulateur, deux objectifs réglementaires peuvent venir en concurrence l’un contre l’autre. Et l’un peut finir par avoir préséance sur l’autre, au détriment des clients.
« Ça peut mener à des conflits, parce que des fois, les objectifs [au sein du même régulateur] n’ont pas les mêmes finalités. On peut penser, par exemple, de concilier les objectifs de solvabilité d’une entreprise, mais balancer aussi l’encadrement des représentants et la protection des consommateurs, qui peut engendrer des coûts », indique Annik Bélanger-Krams, avocate chez Option consommateurs.
En d’autres mots, les mesures de protection des clients, d’encadrement des firmes et des représentants peuvent être coûteuses pour les institutions financières, ce qui peut à la fois nuire à leur rentabilité et, par le fait même, à leur solvabilité. Le régulateur pourrait devoir concilier deux priorités : s’assurer qu’une institution reste solvable et s’assurer qu’une institution respecte les règles de traitement équitable du client.
« Très souvent, c’est la priorité liée à la stabilité qui l’emporte au détriment des mesures destinées à protéger directement les consommateurs », ajoute Jacques St-Amant, analyste à la CACQ.
Ce dernier explique le risque que l’AMF ait une préoccupation trop importante à l’égard de la stabilité et de la solvabilité des fournisseurs de services financiers, ce qui l’amènerait à trop s’inquiéter de leur rentabilité. « L’organisme réglementaire pourrait être tenté de détourner pudiquement le regard à l’égard de pratiques d’affaires discutables, mais hautement rentables, surtout si le fournisseur se trouve globalement dans une situation financière moins qu’excellente. Dans ce scénario, l’obsession à l’égard de la stabilité relègue les questions de protection des consommateurs au second rang », lit-on dans le mémoire de la CACQ.
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Dans son mémoire, la CACQ souligne que plusieurs pays du monde remettent en question actuellement la concentration des mandats au sein d’un seul et même organisme de réglementation.
Par exemple, dans son mémoire, Option consommateurs cite le cas du Royaume-Uni, où la crise financière de 2008-2009 a démontré des lacunes du Financial Service Authority, qui avait plusieurs mandats. En 2013, le gouvernement britannique a scindé en deux cet organisme afin de créer la Financial Conduct Authority, qui s’assure de surveiller le traitement équitable des consommateurs et la Prudential Regulatory Authority, qui encadre la stabilité financière des entreprises.
« Dans un contexte où on ne semble pas avoir réfléchi à la meilleure façon de structurer les institutions réglementaires, ça nous apparaît une tendance quelque peu inquiétante. [Maintenant, avec l’intégration des chambres à l’AMF] on va surcharger un organisme réglementaire qui en mène vraiment très large. »
Par ailleurs, Jacques St-Amant anticipe les conséquences d’une possible surcharge de responsabilités au sein de l’AMF découlant de l’éventuelle intégration de la CSF et de la ChAD au sein de l’AMF. Cela pourrait amener le régulateur québécois à déléguer à d’autres organismes d’autoréglementation certaines tâches, comme à l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (ACCFM). Rappelons que l’AMF délègue déjà certaines activités d’encadrement à l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM).
« Ce qu’on pourrait voir, hypothétiquement, c’est l’abolition des chambres, puis, l’AMF qui se dit au bout de deux ou trois ans que c’est lourd à encadrer [les représentants] et délègue à des organismes qui sont à Toronto et qui sont dominés par l’industrie », appréhende-t-il.
« Le modèle de l’AMF a fait ses preuves à la suite de la crise de 2008. Quand on parle à nos homologues, le modèle québécois semble bien fonctionner et est même supérieur à ce qui existe au Canada. Ce que nous avons comme modèle fonctionne bien », a toutefois indiqué Carlos Leitao, ministre des Finances du Québec, lors de la commission des finances publiques de l’Assemblée nationale, mercredi.
Il a précisé que le projet de loi « n’abolit pas les chambres », mais « vise à mettre fin à une ambiguïté qui existait ». Cette ambigüité découle des cas où, lors d’une plainte, l’AMF se demande s’il est opportun ou non d’avertir la CSF. « Il y avait des cas où si on avertit la Chambre, on risquait de faire déraillait un procès de l’AMF », a ajouté Carlos Leitao.
« L’Autorité des marchés financiers a le mandat de mettre en place et de faire respecter la règlementation favorisant la bonne efficience des marchés financiers mais aussi, d’assurer la protection des consommateurs de produits financiers. Nous entendons continuer d’assurer ce juste équilibre et poursuivre nos initiatives de protection des consommateurs », indique Sylvain Théberge, directeur des relations médias à l’AMF.
« Abolition » injustifiée
Par ailleurs, Option consommateurs s’oppose à l’intégration des chambres au sein de l’AMF, soulignant qu’elles ont un rôle complémentaire à celui du régulateur québécois. Annik Bélanger-Krams a souligné qu’il est primordial que les chambres demeurent et continuent de jouer leur rôle et qu’aucun argument évoqué jusqu’à présent ne permet de justifier l’intégration des chambres.
Selon elle, le supposé problème de chevauchement des champs de compétence entre l’AMF et les chambres, qui a été évoqué dans le rapport du ministre des Finances de 2015, paraît plus théorique que réel.
En novembre, Louis Morisset, président-directeur général de l’AMF, soulignait que « la structure actuelle, bien qu’elle fonctionne, suscite toujours de la confusion et de l’incompréhension auprès du public ». Selon lui, cette confusion était « sans doute exacerbée par ailleurs, par les multiples campagnes de publicité à grand déploiement effectuées par les Chambres, dans les médias et à la télévision ».
« En tant qu’organisme voué à la défense des consommateurs, nous connaissons la situation des consommateurs et avons un contact direct avec eux. Or, ce soi-disant problème ne nous a jamais été rapporté, lit-on dans le mémoire d’Option consommateurs. De plus, aucune étude sérieuse n’a fait la preuve d’une telle confusion de la part du public. Il n’y a pas non plus d’études sérieuses qui ont été entreprises pour justifier comment le rapatriement des pouvoirs des Chambres auprès de l’AMF allait se faire et comment cela allait réellement améliorer la protection des consommateurs. Selon nous, s’il existe des difficultés, elles peuvent être facilement résolues en améliorant les canaux de communication existants. »
Mauvaise compréhension du projet de loi
Par ailleurs, le cabinet du ministre des Finances, Carlos Leitao, a indiqué par courriel que « c’est un projet de loi important qui encadre un domaine complexe et technique. D’une manière générale, on observe que les commentaires que nous avons entendus concernant l’affaiblissement de la protection du consommateur relèvent d’une mauvaise compréhension du projet de loi. »
À l’ensemble des divers points soulevés, le cabinet répond ceci. Nous reproduisons intégralement la réponse.
Le gouvernement a présenté un projet de loi visant à moderniser et bonifier l’encadrement du secteur des services financiers dans l’intérêt du public et pour augmenter la protection des consommateurs.Cette réforme législative constitue une réforme complète et cohérente des services financiers sans aucun compromis à la protection du consommateur.
Pour les consommateurs ce projet de loi est une réelle simplification de leur recours et une protection additionnelle en cas de fraudes dans le milieu financier. L’Autorité des marchés financiers sera un véritable guichet unique suite à l’intégration complète de la ChAD et la CSF, les consommateurs n’auront plus à loger plusieurs plaintes aux différents organismes de réglementation ainsi que de suivre les multiples processus d’enquêtes et interrogatoires.
De plus, le gouvernement présente le premier cadre réglementaire au Québec pour la distribution de l’assurance par internet. En effet, bien que la vente en ligne de produits d’assurances soit aujourd’hui permise par la loi, il n’y a aucun encadrement régissant les assureurs. Pour les consommateurs moins avertis, ces derniers auront toujours la possibilité de recourir à leur méthode habituelle de prise d’assurance ex: téléphone, courtier etc.
Rappelons que ce projet de loi émane de six rapports d’applications de loi remontant à 2013, et pour chaque rapport, le gouvernement a mené des consultations publiques lors desquelles tous les groupes ont pu faire part de leurs commentaires. Les consultations publiques sur le PL-141 se poursuivent et le gouvernement prendra le temps d’analyser tous les mémoires qui seront déposés à la Commission des finances publiques.
Ce texte a été mis à jour à 14h, le 17 janvier 2018.