La vente d’un chalet ou de tout immeuble pour 1 $ ou pour une contrepartie jugée insuffisante, impliquant des personnes ayant un lien de dépendance, peut entraîner des impacts fiscaux assez onéreux pour chacune des parties en cause, estime Hélène Marquis, directrice régionale, planification fiscale et successorale chez Gestion privée de patrimoine CIBC.
La transaction entraîne d’abord auprès du vendeur une première imposition du gain sur l’immeuble. Puis, lorsque l’acheteur en dispose, une seconde imposition du gain est effectuée.
Selon le sous-alinéa 69(1)b) (i) de la Loi de l’impôt sur le revenu (L.I.R.), dans le cas du vendeur, si la contrepartie est considérée insuffisante, la transaction sera présumée avoir été faite à la juste valeur marchande. Dans le cas de l’acquéreur par contre, il n’aura droit à aucun rajustement de prix et la transaction sera présumée avoir été effectuée pour la contrepartie donnée.
«Puisque le gouvernement présume que la vente a été faite à la juste valeur marchande, la personne qui vend son chalet va réaliser un gain en capital sur lequel elle va devoir s’imposer, même si en réalité elle a vendu à perte», indique Hélène Marquis. Bien que ce genre de transaction soit moins fréquent que par le passé, elle confirme en voir encore «passer de temps en temps».
Elle offre en exemple l’histoire de Paul, qui croit bien faire en vendant son chalet pour 1 $ à sa fille Marie. Le chalet vaut 200 000 $ et son prix de base rajusté (PBR) est de 50 000 $. Ainsi, bien que Paul ait vendu son chalet 1 $, le gouvernement ne considérera pas une perte de 49 999 $. Il va plutôt présumer une vente à la juste valeur marchande (200 000 $), ce qui va faire réaliser à Paul un gain en capital de 150 000 $. Alors, si 50 % de ce gain est imposable et que le taux d’imposition de Paul est de 50 %, il devra payer un impôt de 37 500 $ à la suite de la vente de son chalet.
«Comme le pauvre Paul a reçu 1 $ pour la vente de son chalet, en plus d’avoir perdu un actif de 200 000 $, il va devoir sortir 37 500 $ de ses poches pour payer cet impôt», constate Hélène Marquis.
Elle ajoute : «Là où la chose se gâte, c’est que pour Marie, l’impact fiscal va être encore plus important. Puisqu’elle est présumée avoir acquis le chalet à 200 000 $, mais parce que Paul l’a vendu pour une contrepartie insuffisante, il n’y aura pas d’ajustement à son PBR, qui sera alors établi à 1 $ et non à 50 000 $, comme ce fut le cas pour Paul».
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Dans ce cas, le chalet, qui est devenu la propriété de Marie, vaut 200 000 $, alors qu’elle l’a payé 1 $. Si elle choisit de le revendre 200 000 $ le mois suivant, elle va faire un gain en capital de 199 999 $. Dans le cas où 50 % de ce gain est imposable et que son taux d’imposition est de 50 %, Marie devra payer un impôt de 50 000 $ portant sur la vente du chalet.» Au cours de l’année, Paul et Marie auront donc payé 87 500 $ en impôt pour rien.»
Paul aurait pu éviter cette double imposition s’il avait plutôt opté pour un don, indique Hélène Marquis. Pour le vendeur, que la transaction soit une vente effectuée pour un montant dérisoire ou une donation, elle est présumée avoir été faite à la juste valeur marchande. Pour l’acheteur toutefois, selon l’alinéa 69(1)c) L.I.R., le coût d’acquisition considéré sera cette fois la juste valeur marchande.
«Paul ne s’en sortira pas et devra payer un impôt de 37 500 $. Mais Marie, si elle revend le chalet un mois plus tard au prix de 200 000 $, puisque son PBR sera fixé à 200 000 $, elle ne réalisera pas de gain en capital. Alors, tant qu’à vendre ton chalet pour 1 $, tu ferais mieux de faire un don», signale Hélène Marquis.
Richard Lalongé, conseiller principal, Planification et Fiscalité pour la Financière Banque Nationale – Gestion de patrimoine et Trust Banque Nationale, croit lui aussi qu’il est préférable, dans les circonstances, de faire un don tout simplement.
Il rappelle toutefois que la vente d’un chalet peut, elle aussi, bénéficier de l’exemption fiscale pour résidence principale, à condition de désigner le chalet comme tel au moment de la disposition. «Les gens pensent que la résidence principale, c’est là où ils reçoivent leur courrier, mais ce n’est pas le cas. Un chalet peut être considéré comme tel, même s’il n’est pas habitable quatre saisons.»
Richard Lalongé donne l’exemple d’un individu qui possède un chalet et une copropriété. «Les propriétés comme les chalets peuvent avoir pris plus de valeur que certaines propriétés situées dans les centres urbains. Il est donc important de calculer le gain en capital par année de détention de chacune des résidences. Celle qui génère le plus gros gain annuel, si elle répond aux critères, devrait être désignée comme résidence principale.» Nécessairement, cette désignation doit s’effectuer seulement au moment de la vente de l’une des résidences en remplissant les formulaires prescrits.
Dans notre exemple, Paul pourrait désigner le chalet comme résidence principale pour éviter l’impôt sur le gain en capital durant les années où il en est propriétaire, si c’est le scénario le plus avantageux.
Il faut rapporter la vente d’un immeuble l’année de la disposition, mais sachez qu’aucune perte en capital sur la disposition d’un «bien à usage personnel» (chalet/copropriété) ne sera acceptée, cette perte étant plutôt considérée comme une dépense personnelle.
Considérer l’aspect juridique de la transaction
Revenu Québec reconnaît que dans certaines situations, la vente d’un immeuble au prix de 1 $ ou à un prix dérisoire peut être considérée comme une donation ou une vente, ce qui peut entraîner diverses conséquences fiscales.
Il s’agit d’une position administrative détaillée dans le Bulletin d’interprétation IMP. 422-1/R1 du 31 mars 2008, intitulé Aliénation d’un immeuble pour une contrepartie insuffisante, signale Richard Lalongé.
Selon cette position administrative, c’est l’analyse des faits concernant la transaction, qui permet de déterminer s’il s’agit d’une donation ou d’une vente, indique Richard Lalongé. Il ajoute : «Au point de vue de la Loi sur les impôts (LI), le terme donation n’est pas défini, alors il faut aller voir le Code civil du Québec, qui, lui, nous dit ce qu’est une donation. C’est donc le cadre juridique de la transaction qui va permettre de déterminer si on a affaire à une vente ou à une donation.»
L’Agence du revenu du Canada (ARC) a pour sa part expliqué sa position sur ce type de transaction, en 2014, lors d’une table ronde tenue durant le congrès de l’Association de planification fiscale et financière (APFF), à savoir si elle pouvait considérer l’application d’une position similaire à celle de Revenu Québec.
Le fait est que la L.I.R. ne définit pas non plus les termes «vente» ou «donation», et pour cette raison, elle doit «avoir recours aux règles, principes et notions en vigueur dans chaque province sur le sujet», soit un recours prévu en vertu de la Loi d’interprétation.
«Donc, le fédéral aurait tendance à se référer au droit civil provincial pour déterminer si on est devant une vente ou devant une donation, analyse Richard Lalongé. En conséquence, ce n’est pas parce qu’un montant est associé à la transaction que celle-ci doit automatiquement être considérée comme une vente. Elle pourrait, après analyse des faits pertinents, être considérée comme une donation, et fiscalement, une donation, c’est souvent ce qui est préférable.»
Hélène Marquis, pour sa part, ne serait pas portée à recourir à cette interprétation technique à la suite d’une transaction entre personnes liées. «Cette interprétation technique a été donnée dans un contexte extrêmement restrictif, par exemple relativement à des ententes commerciales. Alors, vis-à-vis d’un client, j’hésiterais à étirer la sauce et je jouerais prudemment.»
Les positions administratives des autorités fiscales changent au fil du temps. C’est pourquoi, à l’instar de Richard Lalongé, elle est d’avis qu’il est toujours plus prudent de qualifier une transaction pour ce qu’elle est plutôt que de laisser place à l’interprétation.