«Nous retirons les propositions qui concernent la CSF et la ChAD. Les deux Chambres demeurent en fonction», a annoncé Carlos Leitão, ministre des Finances du Québec, devant la Commission des finances publiques de l’Assemblée nationale, le 5 juin dernier.
Pour arriver à boucler l’examen du projet de loi 141 dans les délais prévus, Carlos Leitão s’est entendu avec les deux partis d’opposition afin de trouver un compromis, lequel maintient les deux Chambres.
Carlos Leitão a accepté à contrecoeur d’abandonner l’intégration des Chambres, soulignant qu’il s’agit d’une «très mauvaise idée». En laissant les Chambres continuer de fonctionner, on expose les consommateurs à des «risques importants de duplication et d’incohérence», a-t-il estimé. Il fait valoir qu’une «future législature devra convenir de la meilleure façon d’encadrer le système financier».
Il s’agit d’un «très bon compromis», a dit Nicolas Marceau, député de Rousseau, vice-président de la Commission des finances publiques et porte-parole de l’opposition officielle en matière de finances. Le parlementaire ne pose pas «le même diagnostic» sur les organismes d’autoréglementation.
«Le modèle actuel fonctionne bien, je crois dans les vertus de l’autoréglementation. Je comprends que le système actuel peut être amélioré et peaufiné et j’espère que ça se fera, a souligné Nicolas Marceau devant la Commission des finances publiques. L’abolition [des Chambres] était une mesure qui ne suscitait aucun consensus et qui aurait constitué un recul pour les consommateurs.»
L’amendement au projet de loi 141 permettra aux deux Chambres de «continuer de travailler dans le même sens qu’on les a connues et de défendre les intérêts des consommateurs», a indiqué de son côté François Bonnardel, député de Granby et porte-parole du deuxième groupe d’opposition en matière de finances.
À la CSF, on dit suivre l’évolution du dossier, mais on refuse de commenter la décision du ministre des Finances tant que le projet de loi ne sera pas adopté par l’Assemblée nationale.
L’AMF s’est pour sa part dite satisfaite des mesures qui ont fait consensus jusqu’à maintenant. «En ce qui concerne les Chambres, l’Autorité respecte le choix des parlementaires et va continuer à collaborer et interagir avec tous les intervenants de l’industrie comme elle l’a toujours fait», a mentionné Sylvain Théberge, directeur des relations médias de l’AMF, dans un courriel.
Soulagement dans l’industrie
Dans l’industrie, plusieurs cabinets avaient pris la parole afin de défendre la CSF. Parmi eux, on trouve Mérici Services Financiers. Maxime Gauthier, chef de la conformité de ce courtier, estime que la décision ministérielle est une bonne nouvelle.
«On était contre l’abolition des Chambres, parce qu’on pense que leur existence est quelque chose d’important pour l’indépendance professionnelle, l’autodiscipline, l’autoencadrement. On est content que le ministre ait changé de cap», a-t-il indiqué.
Gino Savard, président de MICA Cabinets de services financiers, se réjouit également de la volte-face du ministre : «Je suis très heureux. Je suis soulagé que le ministre Leitão en soit arrivé à la conclusion qu’il faisait fausse route. Il n’y a que les fous qui ne changent pas d’idée. C’est une bataille de gagnée, mais nous n’avons pas terminé et nous allons continuer à travailler pour rafraîchir la loi.»
Selon Maxime Gauthier, on conserve ainsi un modèle qui fonctionne, mais qui pourrait être amélioré. «Le ministre dit que c’est à contrecoeur [qu’il permet aux Chambres de rester en fonction] et qu’il pense que c’est une mauvaise idée, a-t-il déclaré. J’inviterais le ministre à considérer que les irritants soulevés dans l’application du corpus réglementaire et législatif, à savoir le problème de courroie de transmission entre l’AMF et les Chambres, peuvent être réglés de beaucoup d’autres manières que par l’intégration des Chambres.»
«On peut améliorer les passerelles d’échange d’information. On peut préciser les cas où l’information doit être échangée. On peut favoriser une meilleure coordination entre l’AMF et les Chambres», a-t-il suggéré.
Gino Savard se dit pour sa part sceptique face aux risques que les enquêtes de la CSF et celles de l’AMF entrent en conflit et mettent en danger les consommateurs.
«J’adhère théoriquement à ce qui a été dit en Commission, mais en pratique, la Chambre est un régulateur de proximité et a des délais de traitement de plaintes et de dossiers pas mal moins longs que ceux de l’AMF, a soutenu Gino Savard. La CSF va arriver au processus de radiation temporaire plus vite que si l’AMF avait mené le dossier d’un bout à l’autre. De plus, si les deux organismes travaillent main dans la main, ça peut se faire très vite.»
Une Chambre plus forte
L’industrie devra désormais s’atteler à la tâche de solidifier la position de la CSF afin de simplifier l’encadrement, comme le demande Carlos Leitão. Afin d’y arriver, Gino Savard suggère notamment de transformer la CSF en ordre professionnel et de transférer les pouvoirs d’inspection des cabinets de l’AMF à la CSF.
«Ça fait exactement ce que fait un ordre professionnel, mais ce n’est pas officiellement un ordre, note Gino Savard. S’il y a un souci de simplification dans notre industrie, c’est que c’est bien plus simple de tout mettre sous la Chambre, qui fait déjà le travail au complet. C’est bien plus facile pour la Chambre d’intégrer [l’inspection] des cabinets.»
Alain Paquet, ministre délégué aux Finances du Québec en 2011 et 2012, rappelle que l’idée de donner le pouvoir d’inspection des cabinets à la CSF ne date pas d’hier : «À l’époque, en 2011, quand j’étais ministre, on m’avait proposé cette hypothèse et j’avais dit que ce n’était pas le temps. Il y avait une première étape, soit de faire la distinction claire entre le volet associatif et le côté autoréglementaire de la CSF.»
Depuis octobre 2014, la CSF se concentre sur le volet protection du public après que ses activités associatives ont été transférées au Conseil des professionnels en services financiers (CDPSF). En juin, ce dernier organisme a par ailleurs réorienté sa mission vers l’éducation, le perfectionnement et le développement des compétences des professionnels.
Alain Paquet ne serait pas prêt à transférer l’inspection des cabinets à la CSF pour l’heure, bien que cette idée mérite d’être étudiée, selon lui : «Il faudrait déterminer si c’est une bonne chose, peut-être que c’en est une, mais il faut bien protéger le public et s’assurer qu’il n’y a pas de passe-droit pour les représentants.»
Autres préoccupations
Au moment de mettre sous presse, la question de la distribution d’assurance sur Internet sans intervention obligatoire d’un représentant continuait de soulever des inquiétudes. C’est un autre des combats que l’industrie devra livrer, selon Gino Savard : «On préserve les Chambres, mais qu’en est-il du rôle-conseil ? Est-ce qu’on va permettre aux assureurs de vendre directement sur Internet sans aucune intervention d’un professionnel ? Ce n’est pas fini.»
Alain Paquet craint aussi que la réglementation ne favorise les institutions financières aux dépens des consommateurs. «Il n’y a pas d’encadrement clair pour la distribution par Internet. Comme le conseil va, entre autres, être donné par des gens non certifiés, s’il n’y a pas de garde-fou adéquat les institutions financières ont un incitatif à mettre de l’avant une force de vente pour faire connaître leurs produits, faire mousser leur existence et rechercher des clients», s’est-il inquiété.
«Les produits sont plus complexes qu’avant, a-t-il ajouté. Plus que jamais, on a besoin de professionnels qui puissent faire leur travail et qui en soient responsables. S’il y a une marginalisation relative des professionnels, les vendeurs vont prendre une place prépondérante et ce ne sera pas à l’avantage des consommateurs.»
Gino Savard persiste et signe : le processus doit être validé par un professionnel certifié, même dans le cas de la vente d’assurance en ligne.
«Il faut un professionnel pour valider l’adéquation entre le besoin et le montant pris [en capital-décès] afin que le produit ait du sens. Il s’agit d’éviter des histoires d’horreur à des gens qui s’autodiagnostiquent tout croche et qui, après ça, n’ont pas le bon produit ni le bon montant d’assurance.
(Avec la collaboration de Guillaume Poulin-Goyer et de Frédéric Roy )
Alain Paquet, professeur titulaire au Département des sciences économiques de l’ESG UQAM et ministre libéral délégué aux Finances en 2011 et 2012, n’a pas mâché ses mots lorsqu’on lui a demandé de commenter la volte-face du ministre des Finances du Québec, Carlos Leitão.
«Ce matin, j’étais encore étonné d’entendre le ministre dire qu’il y a un consensus et qu’il y a un dédoublement réglementaire, alors que ça n’a jamais été démontré et que c’est faux. Les consommateurs ne sont pas mêlés. Si les consommateurs n’appellent pas à la bonne place, les transferts d’appels ont été inventés au 20e siècle, donc ce n’est pas un problème en soi», a-t-il rappelé dans une entrevue avec Finance et Investissement.
Saluant le travail effectué par Nicolas Marceau, député de Rousseau et porte-parole de l’opposition officielle en matière de finances, Alain Paquet a réitéré ses inquiétudes face à la distribution sans représentant. Il craint que les consommateurs, bien qu’ils auront la possibilité de parler avec un représentant certifié durant le processus d’achat en ligne, ne comprennent pas l’importance de le faire.
«Il y aura des situations où le consommateur va se faire appeler [par une institution financière ou un assureur] afin de se faire expliquer un produit qu’il devra par la suite aller acheter sur Internet, illustre Alain Paquet. Oui, après tout cela, le consommateur aura la possibilité de parler avec un représentant certifié qui a les compétences et la formation continue pour déterminer si ce produit convient vraiment, mais est-ce qu’il prendra un autre 30 minutes pour lui parler ?»
Rappelons qu’Alain Paquet était cosignataire avec Rosaire Bertrand, président de la Commission des finances publiques de 2001 à 2006, d’une lettre envoyée aux 125 députés de l’Assemblée nationale afin de dénoncer les failles du projet de loi 141.