C’est ce que conclut une étude publiée par Raymond Chabot Grant Thornton en collaboration avec l’ESG UQAM intitulée La fiscalité de la famille : un modèle à redéfinir.
L’étude passe au crible des dizaines d’incitatifs et de mesures fiscales destinées aux familles et conclut que dans plus de 70 % des situations analysées, les règles fiscales ne sont pas neutres indépendamment du profil social de la famille (taille de la famille), du statut juridique de l’union et de la classe économique de la famille (niveaux de revenus). En conséquence, « il y a lieu de se demander si les familles canadiennes prennent des décisions en fonction de leurs besoins ou en fonction de la fiscalité », lit-on dans l’étude.
L’étude note que plusieurs régimes d’épargne, comme le REER ou le CELI, visent à encourager les familles à se créer un patrimoine familial. « Par contre, étant donné la capacité d’épargne limitée de plusieurs familles, la multiplication des régimes oblige les familles à faire des arbitrages. Étant donné la complexité d’analyse, les choix effectués peuvent ne pas être optimaux et sont susceptibles de réduire la flexibilité financière de la famille », écrivent les auteurs.
Les auteurs Luc Lacombe, associé directeur en fiscalité chez Raymond Chabot Grant Thornton, ainsi que Brigitte Alepin et Manon Deslandes, professeures au Département des sciences comptables de l’ESG UQAM, ont également suggéré des pistes de réflexion dans le cadre d’une refonte de la fiscalité de la famille. Parmi celles-ci, ils proposent la création d’un Régime enregistré d’épargne globale (REEG) qui permettrait aux familles de constituer une épargne globale disponible pour l’achat d’une résidence, l’éducation des enfants, l’épargne-retraite et le démarrage d’entreprise.
Le tandem REER-CELI cause des distorsions
Selon les auteurs, les règles fiscales entourant l’épargne-retraite ne sont pas neutres indépendamment des trois critères d’analyses précédents.
Les auteurs font le postulat que le REER est à prioriser lorsque le taux d’imposition à la retraite sera inférieur au taux d’imposition durant la vie active (écart négatif), et le CELI dans la situation inverse (écart positif).
Ainsi, pour plusieurs situations de famille avec des enfants – un couple ayant deux revenus, un couple où l’un des deux conjoints travaille et une famille monoparentale – et pour plusieurs niveaux de revenu familial, il est plus avantageux de cotiser au REER. Cette situation s’explique par le fait que lorsque le revenu net d’une famille baisse, elle vient bonifier une foule de mesures fiscales, dont l’Allocation canadienne pour enfant.
En clair, cotiser au REER plutôt qu’au CELI a un effet bénéfique sur le revenu net familial… en le réduisant. Le taux d’imposition implicite de plusieurs familles, lequel inclut l’effet des mesures sociofiscales, est donc élevé, ce qui l’encourage à privilégier le REER étant donné que ce régime engendre un coût d’épargne plus faible.
« Cette situation est toutefois à double tranchant, car ces familles pourraient favoriser le CELI, qui est plus flexible, afin de parer aux imprévus », écrivent les auteurs de l’étude. De plus, « le report d’impôt au moyen du REER peut réduire l’admissibilité à des pensions et à des prestations gouvernementales [comme le Supplément de revenu garanti] au moment du retrait, [alors que] les retraits au CELI n’influencent pas l’admissibilité aux prestations et aux pensions gouvernementales. » Cette situation d’arbitrage n’est donc pas idéale pour les familles et engendre un bris de neutralité fiscale.
La fiscalité de l’épargne-retraite n’est pas non plus neutre entre les couples où les deux conjoints travaillent et les couples où un seul des conjoints travaille. Elle fait notamment en sorte que ces derniers couples ont une pression plus forte pour épargner afin de maintenir leur niveau de vie à la retraite.
Différentes mesures fiscales expliquent cette situation. D’abord, il y a l’effet du Régime des rentes du Québec (RRQ). Pour les couples où les deux conjoints travaillent, les deux participent au RRQ. Lorsque le revenu du couple est supérieur au montant maximum assurable, le niveau d’épargne requis pour ces familles durant leur vie active est moindre que pour les familles où un seul conjoint travaille. Et ce, même si les familles où les deux conjoints travaillent disposent de plus de liquidités.
Ensuite, regardons l’effet de l’impôt. Les familles dont les deux conjoints travaillent ont durant leur vie active un montant disponible après impôt plus élevé que les familles dont un seul des conjoints travaille. Par exemple, la fiscalité fait en sorte que lorsqu’un conjoint gagne 80 000 $ et l’autre n’a pas de revenu, cette famille aura moins d’argent disponible après impôt par rapport à un couple où chacun des membres gagne 40 000 $.
De plus, « lorsqu’un des conjoints a un revenu lui permettant de cotiser à ses REER pour le montant maximal, les familles dont les deux conjoints travaillent obtiennent plus de droits de cotiser à leur REER et augmentent ainsi leur possibilité d’épargner dans des comptes fiscalement avantageux. Par conséquent, à revenus égaux, les familles dont les deux conjoints travaillent auraient une plus grande facilité à épargner pour la retraite. Cette situation est toutefois plus accentuée pour les familles avec un revenu élevé », lit-on dans l’étude.
Le REEE avantage les familles riches
Les auteurs concluent également que le régime enregistré d’épargne-études (REEE) n’est pas complètement neutre sur le plan fiscal : « Le REEE semble toujours plus accessible aux familles à revenu élevé; toutefois, les majorations des subventions encouragent l’épargne pour les familles à plus faible revenu. »
Rappelons que le REEE donne droit à des subventions maximales de 10 800 $ pour un bénéficiaire du Québec, soit 7 200 $ au fédéral et 3 600 $ au provincial, note l’étude. La subvention est versée annuellement en fonction du montant des cotisations. Afin de tenir compte des capacités d’épargne limitées des familles touchant un revenu moins élevé, le montant de la subvention annuelle est majoré pour ces dernières, notamment grâce au Bon d’études canadien.
« En considérant qu’une famille cotisera annuellement au REEE de son enfant sur une période de 18 ans (0 à 17 ans), une famille à revenu élevé devra verser des cotisations totalisant 36 000 $ afin d’obtenir la subvention maximale, soit une moyenne de 2 000 $ par année. En revanche, une famille avec un revenu moyen devra verser des cotisations totalisant 31 500 $, soit une moyenne de 1 750 $ par année, et une famille à faible revenu devra verser des cotisations totalisant 27 500 $, soit une moyenne de 1 500 $ par année », apprend-on dans l’étude.
D’après les auteurs, le REEE tient compte de la taille de la famille du fait que le montant maximum des cotisations et des subventions est déterminé pour l’enfant et non pour l’unité familiale. Par conséquent, une famille de plus grande taille se voit attribuer des droits plus importants. Pour les familles ayant des capacités financières suffisantes pour ce type d’épargne, le REEE est neutre en fonction de la taille de la famille.
« Toutefois, pour les familles ayant des capacités d’épargne limitées, l’accès aux subventions est réduit à mesure que la taille de la famille augmente. Cette situation s’explique du fait que : 1) le montant des cotisations requises par enfant pour obtenir le maximum de subventions pour un enfant donné varie seulement en fonction du niveau de revenu de la famille ; 2) le montant des liquidités excédentaires des familles ayant un même niveau de revenu est réduit en fonction de la taille de la famille, et ce, pour la plupart des familles », indiquent les auteurs.
En clair, il devient plus difficile pour une famille de plus grande taille de cotiser suffisamment afin d’avoir accès à la totalité des subventions.
Par ailleurs, « lorsque l’on analyse le taux d’imposition marginal des familles, on remarque que [ce taux] est plus élevé pour les familles de plus grande taille, ce qui pourrait inciter ces familles à privilégier l’épargne-retraite au moyen du REER au détriment de l’épargne-études par l’intermédiaire du REEE », écrivent les auteurs.
Pas de neutralité fiscale pour les autres épargnes
Les auteurs ont aussi analysé la neutralité fiscale de l’épargne dans des comptes non enregistrés. Rappelons que certaines formes d’épargne peuvent être moins imposées que les revenus d’intérêts ou les revenus de location d’immeubles, soit les dividendes déterminés et les gains en capital.
« On peut penser que ce seront davantage les familles avec un revenu plus élevé qui atteindront ces limites, puisque ces familles présentent un niveau de liquidités discrétionnaires supérieur et qu’elles voient leurs contributions au REER limitées à moins de 18 % de leur revenu. Par conséquent, il est probable que ce soient ces familles qui profitent davantage des traitements fiscaux avantageux de certains placements lorsqu’ils sont détenus hors des régimes différés », écrivent les auteurs.
Ceux-ci réitèrent que les liquidités discrétionnaires des familles sont généralement moindres plus la taille de la famille augmente et que ces familles sont également celles qui présentent le taux d’imposition marginal le plus élevé. « Ces familles devront faire un arbitrage relativement aux types d’épargne choisis, hors régimes différés ou non. Généralement, ces familles auront avantage à choisir le REER ou le REEE au détriment d’une perte de flexibilité dans l’utilisation de leur épargne. De plus, de par leur plus grande utilisation des REER ou des REEE, ces familles auront moins accès aux avantages fiscaux attachés à certaines formes d’épargne hors régimes » enregistrés, notent les auteurs.
Solutions envisagées
Pour améliorer la neutralité du régime fiscal canadien, l’étude propose qu’on crée un nouveau type de régime, soit le régime enregistré d’épargne globale (REEG). « Le système fiscal actuel comporte plusieurs régimes distincts et complexes et oblige les familles à faire un arbitrage entre leurs besoins d’épargne. De plus, l’intégration à ce régime de l’épargne pour le démarrage d’entreprise semble plus adaptée à la réalité des contribuables au 21e siècle, dont un nombre grandissant deviennent entrepreneurs », notent les auteurs.
Ceux-ci proposent aussi qu’on réfléchisse sur la nécessité d’augmenter le taux d’inclusion du gain en capital de façon à éliminer le bris de neutralité découlant de la distinction entre les investissements rapportant un gain en capital et les autres investissements, dont les revenus sont imposés de manière plus importante. « Il est également nécessaire de réfléchir au plafonnement de l’exemption pour résidence principale », lit-on dans l’étude.
En outre, les auteurs proposent aussi de mettre en place un système d’imposition basé sur le revenu familial (du couple) et non sur le revenu individuel. « Cette mesure permettrait d’assurer une plus grande uniformité au niveau de la charge fiscale des familles ayant des revenus similaires, peu importe la répartition du revenu entre les membres de la famille », mentionnent-ils.
Les auteurs suggèrent aussi de mettre en place des taux d’imposition basés sur la taille de la famille. « Dans le but de mieux tenir compte des obligations supplémentaires des familles de plus grande taille et de réduire la présence de taux marginaux très élevés, songer à mettre en place une structure de taux d’imposition basée sur la taille de la famille qui intégrerait les avantages fiscaux de différentes prestations telles que le crédit TPS/solidarité, l’allocation canadienne pour enfants et le paiement de soutien aux familles. Il est à noter qu’une telle approche impliquerait la présence de taux d’imposition négatifs pour certaines familles. La mise en place d’une telle structure pourrait, à notre avis, rendre le système fiscal plus transparent pour l’ensemble des contribuables », lit-on dans l’étude.