Certains signes avant-coureurs ne trompent pas. Pourtant, selon trois experts interrogés, l’économie nord-américaine connaîtra fort probablement un bon ralentissement, voire une récession, mais pas à court terme.
La récession ne surviendra donc pas cette année. « Ça me surprendrait énormément. Je dirais que la probabilité est inférieure à 10 % », croit François Bourdon, chef des placements global chez Fiera Capital.
Dans Perspectives financières mondiales 2018-2025, un rapport publié le 6 juin 2018, Fiera Capital prévoit la possibilité d’une récession plutôt à la fin de 2020 ou au début de 2021. « Le scénario le plus raisonnable, c’est que les taux monteront jusqu’en 2019. Le système économique trouvera difficile de soutenir de tels taux d’intérêt, et par la suite, la récession se matérialisera », prévoit François Bourdon.
« Sur notre radar, nous n’avons pas de récession en vue cette année, enchaîne pour sa part Clément Gignac, vice-président principal et économiste en chef chez iA Groupe financier. Le prochain ralentissement risque bien plus d’être causé par les effets de la guerre commerciale et du bouleversement de la politique budgétaire que par les 25 ou 50 points de base additionnels de la Réserve fédérale ! » Il craint que les conséquences de ces deux facteurs ne se fassent davantage sentir l’an prochain et en 2020.
Une économie en plein élan
« Depuis deux ans, on carbure à une vitesse très rapide, et on le voit bien au Québec, il y a eu quand même un changement de vitesse très notable. La croissance s’est beaucoup accélérée, il y a eu une forte progression de l’emploi et une baisse du taux de chômage », fait remarquer François Dupuis, vice-président et économiste en chef au Mouvement Desjardins.
L’inquiétude a néanmoins commencé à gagner les entreprises au Canada en juillet dernier. François Dupuis cite « Le Baromètre des affaires » de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) qui indiquait alors que la confiance des propriétaires d’entreprises au pays avait reculé de cinq points et demi, passant de 62,2 à 56,8 points. En comparaison, le niveau de confiance se situait à 60,7 en juillet 2017. La FCEI expliquait notamment ce recul par l’incertitude en matière de commerce international et par la hausse des tarifs douaniers qui en a découlé. François Dupuis signale que les Banques centrales, déjà aux aguets, « semblent sur la voie du resserrement monétaire graduel ». Depuis le début de 2018, l’économie nord-américaine a connu deux hausses des taux d’intérêt, et une troisième est de plus en plus probable en octobre prochain.
De plus, il importe de juguler l’inflation, la source des hausses de taux. « Généralement, la Banque centrale voudrait arrêter à ce qu’elle appelle le taux neutre. Nous l’estimons à 3 % », soutient François Bourdon. Il considère que si la progression de l’inflation se poursuit, une hausse des taux d’intérêt suivra en 2019. À ses yeux, une récession est habituellement liée à une combinaison d’une hausse des taux d’intérêt et à un resserrement du crédit. « Nous pensons que ce sera encore le cas », prédit-il.
Fin d’un long cycle économique
Pour François Dupuis, le cycle économique américain, qui a débuté il y a dix ans, est un des plus longs de l’histoire. « Cette fin de cycle menant à la récession pourrait être devancée. Pour le moment, le rythme de l’économie est assez fort pour 2019. J’ai plus peur pour 2020 et 2021 », avance-t-il.
Outre les taux d’intérêt, l’inflation, le resserrement du crédit et les différends commerciaux canado-américains, François Dupuis croit que des facteurs dits aggravants, dont une hausse possible du prix du baril de pétrole et les soubresauts découlant de la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) (maintenant appelé Accord États-Unis-Mexique-Canada – AEUMC) pourraient mettre fin au long cycle actuel.
« La bonne nouvelle, c’est qu’il n’y a pas de bulle immobilière aux États-Unis et il n’y a pas de bulle boursière », fait valoir Clément Gignac.
Outre les taux d’intérêt, le resserrement des liquidités, le différend commercial entre le Canada et les États-Unis, et les tensions de ce dernier avec la Chine, François Bourdon rapporte surveiller également de près l’augmentation des marchandises, comme le pétrole et le cycle du crédit. De son côté, François Dupuis dit suivre la courbe du taux de chômage, quasiment à un creux, selon lui, de même que l’évolution des salaires.