Cette possible baisse s’explique par la méthode de classification du risque de placement établie par les autorités réglementaires. Celle-ci se focalise sur la volatilité des 10 dernières années, une période qui exclura bientôt la crise financière de 2008-2009. Cependant, cette éventuelle baisse ne devrait pas endormir la vigilance des conseillers ni réduire leur responsabilité déontologique, d’après des observateurs.
Ainsi, au fur et à mesure que la crise financière de 2008-2009 sera exclue du calcul de la volatilité d’un fonds, le niveau de risque de nombreux fonds devrait baisser, prévoient James Gauthier, analyste de fonds chez iA Valeurs mobilières (IAVM), et son équipe dans une étude sur la question.
Ils y constatent que les marchés boursiers ont connu les plus forts reculs du début de septembre 2008 au début de mars 2009. Durant cette période, certains fonds d’actions ont perdu la moitié de leur valeur.
«Chaque mois écoulé entre maintenant et mars 2019 représente un mois supplémentaire de très mauvaises performances pour un fonds d’actions typique qui sera exclu des performances de 10 ans de ce fonds, peut-on lire dans l’étude. Cela signifie que, à moins d’un recul substantiel des marchés financiers d’ici mars 2019, les rendements sur 10 ans de la plupart des fonds d’actions seront nettement meilleurs pour la période qui se terminera le 28 février 2019 qu’ils ne l’étaient au 31 août 2018. Cela signifie aussi que les lectures de la volatilité, mesurées par l’écart-type, seront alors bien inférieures à celles du 31 août 2018.»
Les analystes ont examiné l’effet qu’entraîne la soustraction de la période de septembre 2008 à février 2009 sur le rendement sur 10 ans et sur l’écart-type sur 10 ans de nombreux fonds de diverses catégories. Rappelons que l’écart-type est la méthode de classification des risques que les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont retenue pour mesurer la volatilité d’un fonds commun ou d’un fonds négocié en Bourse (FNB) au terme de consultations auprès de l’industrie.
Dans la quasi-totalité des fonds, l’exclusion de la crise financière entraînait une diminution de l’écart-type, donc de la volatilité du placement, selon les auteurs. Ils ont aussi découvert les effets les plus prononcés parmi les fonds d’actions et ont présenté l’effet sur un groupe de 42 fonds particulièrement touchés, dont une vingtaine qui ont de 1,4 à 8,3 G$ en actif sous gestion. Les calculs ont été effectués en octobre 2018.
Dans chacun de ces 42 cas, l’écart de volatilité entre la période de 10 ans comprenant la crise financière et celle sans cette crise serait si grand que les fonds changeraient de catégorie de classification de risque. Par exemple, dans le cas de la série F du Fonds Fidelity Potentiel Canada, l’écart-type de 10 ans passerait de 13,4 à 10,7 et le niveau de risque, de «moyen» à «faible à moyen». Les séries F des fonds IA Clarington de petites capitalisations canadiennes et BMO Fonds de revenu mensuel élevé II subiraient le même changement dans leur classification du risque.
Les séries F de ces trois fonds verraient également leur performance sur 10 ans bondir en raison de l’exclusion de la crise financière du calcul. Le rendement annualisé sur 10 ans du premier fonds passerait de 8,6 à 14,6 %, celui du deuxième, de 9,5 à 15,2 %, et celui du troisième, de 7,0 à 12,9 %.
En comparaison, le rendement annualisé sur 10 ans de l’indice S&P/TSX passerait de 4,7 à 10,8 %, celui du S&P 500, de 13,2 à 18,3 %, et celui du MSCI World, de 10,0 à 15,2 %.
Cette baisse, tu considéreras
Considérant que la période de 10 ans écartera bientôt la dernière crise financière importante, le représentant diligent devrait chercher à compléter l’information présentée lorsque celle-ci n’est pas de nature à donner au client tous les éléments pertinents à sa compréhension et à sa prise de décision éclairée, estime l’avocat Maxime Gauthier, chef de la conformité chez Mérici Services Financiers.
«Par exemple, le représentant pourrait présenter au client l’historique du fonds depuis sa création, reculant ainsi au-delà de la période de 10 ans. Il pourrait également conserver une copie de l’aperçu du fonds précédent pour garder les données pertinentes des plus fortes hausses et baisses sur trois mois ou encore pour démontrer quel était le niveau de risque du fonds», indique-t-il.
Un représentant consciencieux ne devrait pas ménager ses efforts pour bien informer et guider son client. «Cela peut inclure une mise en garde écrite du genre : « Ce fonds a une classification de risque établie à faible à moyen. Toutefois, je dois vous informer que cette classification est faite selon une méthodologie prévue par la réglementation et qu’elle ne prend en compte que les 10 dernières années, ce qui exclut la crise de 2008. Lorsque cette crise était incluse, le fonds avait un risque qualifié de moyen. Je vous invite à considérer ce fait dans votre prise de décision», explique Maxime Gauthier.
La possible baisse de la cote de risque des fonds ne saurait être ignorée, indique Priscilla Franken, conseillère principale aux communications de la Chambre de la sécurité financière : «Le représentant doit expliquer les changements à la cote des produits en question à chaque client qui en détient, ainsi que leur incidence. Le représentant pourrait même communiquer l’information sur la diminution de la cote de risque à tous ses clients afin de s’assurer de leur compréhension et d’éviter des inquiétudes non fondées.»
Un représentant doit revoir le portefeuille de ses clients chaque année au minimum et plus souvent s’il y a des changements importants dans leur vie ou dans le marché financier, ajoute Priscilla Franken : «En considérant cela, la baisse de la cote de risque de certains produits devrait être considérée comme un changement qui nécessite de revoir le portefeuille des clients qui contient ces produits pour s’assurer qu’il correspond toujours à leur profil d’investisseur. Ces produits deviennent moins risqués, donc le portefeuille devra peut-être être rééquilibré.»
La bonne méthode ?
Par ailleurs, cette baisse attendue du niveau de risque de nombreux fonds vient mettre en lumière une limite de la méthode retenue par les ACVM.
Élaborée à partir de la notion d’écart-type, cette classification couvre une période historique de 10 ans et se découpe en cinq niveaux : faible (de 0 à moins de 6), faible à moyen (de 6 à moins de 11), moyen (de 11 à moins de 16), moyen à élevé (de 16 à moins de 20), élevé (20 et plus).
Or, cette méthode ne faisait pas l’unanimité dans l’industrie lors des consultations sur son adoption, en 2016. FAIR Canada notait que «les investisseurs comprennent le risque comme une possibilité de perdre de l’argent et veulent savoir combien ils risquent de perdre».
Dan Hallett, vice-président et directeur chez HighView Financial Group, faisait alors de cette notion de «possibilité de perdre de l’argent» son cheval de bataille. Il proposait une mesure de la «perte maximale et du temps de recouvrement» qui indiquerait la plus importante chute dans l’historique d’un fonds (- 48 %, par exemple), accompagnée de la durée de la chute entre le sommet et le creux (25 mois, par exemple) et du temps de recouvrement entre le creux et le retour au sommet (39 mois, par exemple). Selon Dan Hallett, une composante essentielle d’une telle mesure serait d’inclure obligatoirement au moins un marché baissier, peu importe depuis combien de temps il a eu lieu.
«Dans 2 ans à peine, le pire marché baissier de cette génération aura disparu des historiques de 10 ans», ce qui entraînera une amélioration subite et un brin suspecte des mesures d’écart-type, notait-il en 2016. Le temps risque de lui donner raison.
Émetteurs non conformes
Depuis que les nouvelles dispositions portant sur la méthode de classification du risque de placement sont entrées en vigueur, le 1er septembre 2017, l’Autorité des marchés financiers (AMF) a remarqué des erreurs commises par des gestionnaires de fonds d’investissement ayant leur siège au Québec.
En tout, 9 % des fonds d’un échantillon de produits examinés par l’AMF n’avaient pas utilisé la nouvelle méthode de calcul du niveau de risque prévue par la réglementation ; 13 % des fonds avaient fait des erreurs dans le calcul de l’écart-type ; et 35 % des fonds présentaient des non-conformités aux exigences réglementaires quant à la présentation de l’information.
Ces trois constats ont parfois résulté en la présentation d’un niveau de risque erroné dans le plus récent aperçu du fonds évalué par l’AMF.
«Nous nous attendons à ce que les gestionnaires de fonds d’investissement fassent preuve de la rigueur nécessaire lors de l’application de cette méthode, notamment quant aux aspects permettant une certaine discrétion», lit-on dans l’avis de l’AMF.
Finance et Investissement a demandé à l’AMF si elle envisage de changer la méthodologie afin de prolonger la durée de mesure de l’écart-type ou de carrément changer la classification normalisée en raison de ses failles. «À l’agenda, il n’y a pas de projet réglementaire de modification à cet égard. La méthodologie de classification du risque de placement a été développée postérieurement à la crise de 2008, le contexte global a été considéré lors la conception, la consultation ainsi que lors de la mise en oeuvre. Rappelons que la méthodologie de classification du risque de placement a été élaborée sur la base de plusieurs analyses, recherches et consultations avec les parties prenantes», a indiqué par courriel Sylvain Théberge, directeur des relations médias de l’AMF.
Il n’a pas voulu s’étendre davantage sur les enjeux d’une baisse possible de la classification du niveau de risque des fonds, que les analystes d’IAVM ont étudiés : «En qualité de régulateur, nous ne sommes pas en mesure de répondre à ce genre de questions basées parfois sur des hypothèses ou encore des présomptions.»