Seront-ils capables, lorsque nécessaire, de «suspendre ou mettre fin automatiquement à une action initiée sur la plateforme lorsque le produit ne convient pas aux besoins du client», comme l’exige la réglementation proposée ?

Des membres de l’industrie financière ont émis ces doutes lors de la séance d’information sur le Projet de règlement sur les modes alternatifs de distribution de l’Autorité des marchés financiers (AMF), tenue le 17 octobre dernier.

Rappelons que l’AMF a déposé une semaine plus tôt son projet de règlement. Celui-ci prévoit entre autres que les cabinets qui distribueront des polices d’assurance en ligne n’auront aucune limite quant aux produits pouvant être offerts par Internet (lire «L’AMF ne limitera pas le type de polices offertes» en une). Ces mêmes cabinets pourront conclure une vente sans représentant, mais devront toutefois conseiller les clients comme s’ils étaient un représentant en respectant notamment les obligations de convenance.

«Oui, les transactions 100 % automatisées pourront être faites. N’en déplaise à certains, ce sera possible», a indiqué d’emblée Mélissa Perreault, analyste aux pratiques de distribution à l’AMF.

Cependant, le projet de règlement soumis pour consultation prévoit qu’un cabinet devra «prendre les moyens nécessaires à ce que des représentants, rattachés au cabinet et autorisés à agir dans la discipline requise pour offrir le produit ou le service en question, agissent en temps utile auprès des clients qui en expriment le besoin».

Lors de la séance, un intervenant qui a préféré conserver l’anonymat a émis des doutes quant au travail entourant le préavis de remplacement, ce formulaire que doit remplir actuellement le représentant lorsque la souscription d’une nouvelle police est susceptible d’entraîner l’annulation ou la réduction des bénéfices d’un autre contrat d’assurance de personnes. Cet intervenant avait «bien hâte de voir» comment un client pourra transmettre à un robot une copie de ses polices existantes, et de voir ce robot faire une analyse convenable du produit actuel afin de juger s’il est pertinent ou non de le conserver. Rappelons que la Chambre de la sécurité financière stipule que «le représentant doit privilégier le maintien en vigueur de tout contrat d’assurance de personnes, à moins que le remplacement soit dans l’intérêt du client».

«Il faut nécessairement une intervention de quelqu’un dans le milieu qui connaît les produits [et qui peut bien évaluer les produits en vigueur pour le client]», estimait ce participant à la séance.

«On va voir comment l’industrie va innover pour atteindre cette exigence. Le cabinet devra diriger le client vers un représentant si ce n’est pas possible de le faire. L’objectif de la consultation est [de vous] entendre sur cet enjeu», a indiqué Mylène Sabourin, directrice des pratiques de distribution et des OAR à l’AMF.

Mélissa Perreault a ajouté pour sa part qu’un client pourrait prendre en photo ses polices actuellement en vigueur afin de les transmettre au cabinet. Chose certaine, il incombera au cabinet ou au représentant de se conformer aux règles entourant le préavis de remplacement, et non au client lui-même, a-t-elle précisé.

Dans son projet de règlement, l’AMF s’attend à ce qu’un cabinet puisse «suspendre ou mettre fin automatiquement à une action initiée sur la plateforme lorsque le produit ne convient pas aux besoins du client». Une intervenante s’est alors demandé comment un logiciel pourrait y arriver seul.

«Si un cabinet souhaite effectuer une transaction 100 % automatisée, il devra démontrer que la machine peut arriver à la conclusion, a expliqué Mylène Sabourin. On n’exige pas que ce soit une personne physique qui fasse l’analyse.» On comprend ici que le régulateur ne ferme pas la porte à des technologies qui pourront atteindre ces objectifs, la réglementation se voulant neutre technologiquement.

Les membres du personnel de l’AMF ont également souligné que toutes les lois applicables au Québec continuent de s’appliquer. «Nous ne sommes pas venues répéter des obligations qui existent déjà», a noté Mylène Sabourin.

Partage de responsabilité

Lors de la séance d’information, Mylène Sabourin a expliqué que la responsabilité du représentant et celle du cabinet seraient partagées entre autres en fonction du «niveau d’intervention du représentant» dans la transaction. Il faudrait évaluer la situation au cas par cas. «Oui, l’intervention du représentant peut être simple, mais si elle a une incidence [importante sur la transaction], sa responsabilité pourrait malgré tout être engagée.»

C’est pourquoi l’AMF exige des cabinets qu’ils conservent la traçabilité d’une transaction afin de savoir qui a fait quoi et qui a dit quoi. «Il va de soi que même si un client doit répondre à une question ponctuelle, [le cabinet] est soumis à son code de déontologie et doit agir avec la compétence qu’il a», a précisé Mélissa Perreault.

Un des intervenants a par ailleurs souligné qu’il est ridicule que des assureurs qui vendent actuellement de l’assurance en ligne puissent bénéficier d’un encadrement réglementaire allégé jusqu’à l’entrée en vigueur du règlement, prévue le 13 juin 2019.

L’AMF est au courant de la situation, a indiqué Isabelle Déry, du Service de la distribution sans représentant et des pratiques professionnelles à l’AMF : «Il ne faut pas oublier que l’Autorité les surveille et a comme mission de voir à la protection du consommateur.»

«S’il y avait un flou [dans l’encadrement réglementaire], il n’y en aura plus le 13 juin 2019», a soutenu Mylène Sabourin.

Défis pour les applications mobiles

Le projet de règlement touche la distribution de toutes les formes d’assurances, y compris les contrats de rentes, comme les fonds distincts ou les rentes viagères. Le cadre proposé risque de constituer des défis technologiques, puisqu’il s’appliquera à toutes les technologies, y compris les applications mobiles.

En effet, certains renseignements devront être visibles par le client «en tout temps», même sur un petit écran. Parmi ceux-ci, on note «le moyen de solliciter l’intervention d’un représentant», étant donné que «l’exigence qu’un représentant du cabinet puisse agir en temps utile auprès du client qui en exprime le besoin est un élément clé du cadre de protection des consommateurs».

Les renseignements relatifs à l’identification du cabinet, à la validation de son inscription auprès de l’AMF et à la formulation d’une plainte devront aussi être visibles en tout temps.

L’emploi du terme «visible» dans la réglementation proposée semble volontaire et exclut ainsi la souscription d’assurance par commande vocale. «On n’a pas franchi le pas qui aurait permis toute forme artistique. On considère ainsi mieux protéger le consommateur, a noté Mélissa Perreault. C’est prévu que les renseignements soient visibles et non audibles.»

La séance d’information a par ailleurs permis de constater que le projet de règlement pourrait soulever des enjeux de concurrence entre assureurs. En effet, selon la question d’un intervenant, on comprend que certains assureurs pourraient être réticents à dévoiler la définition de certains avenants exclusifs. Rappelons que le projet de règlement propose que «soit disponible en tout temps un spécimen des polices afférentes aux produits offerts par un cabinet par l’entremise de sa plateforme».