Finance et Investissement (FI) : Pourquoi avoir choisi de devenir actuaire?
Jean-François Chalifoux (JFC) : J’ai déjà été un amoureux des mathématiques, j’en fais de moins en moins. Mes parents avaient des amis dont le fils étudiait en actuariat quand j’étais adolescent. J’étais bon en math, j’ai rencontré un conseiller en orientation et naturellement la conversation s’est dirigée vers une carrière potentielle en actuariat vu mes aptitudes et mes intérêts.
C’était une époque où l’actuariat était pas mal en vogue. Je me suis lancé là-dedans sans trop savoir à quoi m’attendre et sans trop avoir d’ambition de carrière bien établie. Je n’ai pas fait de l’actuariat pendant très longtemps, c’était un bon tremplin pour ma carrière. Si je n’avais pas fait de l’actuariat, j’aurais fait de la comptabilité.
Ma carrière a rapidement bifurqué quand je me suis rendu compte que j’avais un sens des affaires. J’avais du plaisir à faire des tableaux avec mes vingt bases de données, à analyser et, surtout, à interpréter. C’est ce qui m’a distingué puisque je n’étais pas seul à être bon en math. J’ai compris que je ne me distinguerais pas sur cet aspect-là.
FI : Que pensez-vous de la vente d’assurance sur Internet sans représentant?
JFC : À une époque pas si lointaine, on rencontrait les clients en personne, c’est encore possible aujourd’hui. Il y a 20 à 30 ans, c’était l’arrivée du téléphone. Les centres d’appels se sont développés. Depuis, les sites Internet sont apparus il y a quinze ans et, de nos jours, c’est au tour des applications mobiles.
Tout ça doit coexister. Il y a des différences entre chaque génération de clients. Je donne toujours l’exemple de ma mère qui va toujours préférer conclure une transaction financière avec une personne. À l’autre extrême, il y a mes fils qui vont préférer le plus d’autonomie possible. Ma mère passe énormément de temps à lire, à consulter et à comparer les offres. Mes enfants vont dire, lorsqu’ils ne savent plus quoi faire, « Là on est mal pris, on a une question, on veut quelqu’un qui nous aide ». Ça va toujours exister, c’est juste que les modèles de communication se sont multipliés grandement et vont continuer de se multiplier.
On ne peut pas abandonner un des modèles au détriment d’un autre. C’est difficile et ça ajoute des coûts, surtout pour une organisation comme SSQ qui somme toute est de taille moyenne. On n’a pas la taille ou les moyens financiers de nos plus grands concurrents. Il faut donc être créatif et innovateur afin d’y arriver.
FI : Où voyez-vous les occasions de croissance dans les prochaines années?
JFC : Clairement dans la santé en milieu de travail. On voit que les gens ont des vies actives et sont de plus en plus occupés. On constate clairement une évolution importante des besoins et de l’environnement: la détresse psychologique en milieu de travail, on est en contexte de pénurie de main-d’œuvre et il y a de la pression sur les ressources humaines dans tous les secteurs d’activité au Canada. Finalement, les jeunes travaillent de plus en plus jeunes et de plus en plus d’heures en conciliant vie personnelle et études avec le travail.
Une autre avenue de croissance pour SSQ est l’exploitation des informations que nous détenons sur nos clients afin de leur faire des offres pertinentes au bon moment. C’est ce que les jeunes veulent. Nos clients ont des besoins conscients et inconscients et nous cherchons des organisations qui vont nous accompagner à les éduquer là-dessus. Il est important de sensibiliser les travailleurs à la prise en charge de leur santé et de leurs besoins financiers dans le moment présent, mais aussi à moyen et à long terme.
FI : Êtes-vous créatif en affaires?
JFC : J’ai longtemps pensé que je n’étais pas vraiment créatif. Cependant, je me suis aperçu, avec le temps, que je suis un créatif en modèle d’affaires. Ce n’est pas parce que tu n’aimes pas peindre des tableaux que tu ne peux pas être créatif. C’est une psychologue industrielle qui me l’avait fait remarquer lorsqu’elle m’avait demandé de parler d’une de mes faiblesses. J’avais cité le manque de créativité et elle m’avait répondu : « Pourquoi? Ça fait deux heures qu’on se parle et deux heures que tu me parles de créer des modèles d’affaires. Tu es créatif, mais tu l’es en affaires. Tu n’as peut-être pas de sens artistique, mais il y a une différence entre les deux. » En effet, j’aime créer des modèles d’affaires.
FI : Le leadership, est-ce inné ou acquis selon vous?
JFC : Dans une certaine mesure je crois que le leadership est inné, mais dans une autre, il peut aussi se développer ou s’éteindre. Moi, j’ai la chance d’avoir eu un milieu familial où j’avais toujours plein de gens autour de moi. Mes parents m’ont mis dans un sport d’équipe. Vite au hockey, adolescent, j’étais assistant ou capitaine de mes équipes de hockey, donc j’avais sûrement des aptitudes déjà à l’époque.
Par la suite, lorsque j’ai fait mes premières allocutions en anglais devant 800 personnes à 32 ans, c’était très intimidant. Je ne savais pas si j’allais réussir. Puis, avec le temps, tu t’aperçois que tu as peut-être ça en toi. Il y a un bout d’inné, mais après ça il y a plein de gens qui ont du leadership d’inné et qui n’ont pas l’occasion de l’utiliser ou de le développer. Il faut savoir sauter dans la mêlée et sortir de sa zone de confort.
FI : Parlez-nous de vos mentors.
JFC : Chacun des patrons et patronnes que j’ai eus, avec toutes leurs grandes qualités et tous leurs grands défauts, m’ont tous appris quelque chose. Sylvie Paquette, c’est une grande visionnaire stratégique qui pose tout le temps les bonnes questions. Jude Martineau, c’était vraiment le focus, faire les bons choix, se concentrer sur les priorités. Richard Fortier, c’était les bons modèles de la saine gouvernance. Denis Berthiaume, quant à lui, m’a appris l’écoute. Chacun, à sa façon, a forgé le leader que je suis devenu.