Alors que des manufacturiers indépendants et des firmes de courtages indépendantes veulent davantage de mesures afin de gérer les conflits d’intérêts découlant des produits maison, plusieurs institutions financières s’inquiètent des coûts supplémentaires découlant des mesures proposées par les régulateurs provinciaux.
Ainsi, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont proposé que les sociétés inscrites traitent au mieux des intérêts du client entre autres les conflits d’intérêts découlant de l’offre de produits exclusifs.
Selon la proposition, les firmes qui n’offrent que des produits maison devraient entre autres :
- établir des processus rigoureux de connaissance du produit à l’égard des produits exclusifs, notamment la surveillance du rendement subséquent, ainsi qu’une évaluation continue de la convenance des titres aux portefeuilles des clients;
- effectuer un contrôle diligent périodique des produits non exclusifs comparables offerts sur le marché et évaluer si les produits exclusifs sont concurrentiels par rapport à ces autres produits;
- obtenir une évaluation indépendante de l’efficacité des politiques, des procédures et des contrôles de la société pour le traitement des conflits, ou des conseils indépendants sur celle-ci.
Pour les firmes qui offrent à la fois des produits maison et des produits de fournisseurs non affiliés, elles devraient aussi obtenir une telle évaluation indépendante. De plus, ces sociétés devraient entre autres interdire les avantages pécuniaires ou non pécuniaires qui pourraient induire une partialité dans la recommandation de produits exclusifs au détriment des produits non exclusifs et démontrer que les produits exclusifs sont soumis aux mêmes processus de connaissance du produit et font l’objet de la même surveillance continue, notamment du rendement, que les produits non exclusifs.
Ces propositions réglementaires polarisent l’industrie, certains recommandant aux ACVM d’aller encore plus loin alors que d’autres s’inquiètent du fardeau réglementaire qu’elles risquent d’engendrer. Voici les arguments des deux principaux camps.
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Quelques institutions financières craignent que ces potentielles obligations n’alourdissent leur structure de coûts, sans pour autant générer un bénéfice suffisant pour le client.
Bien que Gestion de patrimoine TD soit généralement en accord avec les mesures proposées pour le contrôle des conflits d’intérêts sur les produits maison, cette firme juge que « l’étendue des contrôles est trop large et non nécessaire ». « Les intérêts des investisseurs ne sont pas significativement plus améliorés en obligeant les firmes inscrites à obtenir une évaluation indépendante de l’efficacité des politiques, des procédures et des contrôles pour gérer ce type de conflits », lit-on dans le mémoire de la TD.
Cette évaluation indépendante préoccupe aussi l’Association des banquiers canadiens (ABC) : « L’objectif de cette enquête n’est pas clair si le courtier a décidé de proposer des produits exclusifs aux clients, et ce, de manière transparente. Un tel processus représenterait un coût supplémentaire sans aucun avantage correspondant pour les investisseurs. »
L’ABC s’inquiète aussi des conséquences potentielles si un consultant externe ayant mené l’évaluation indépendant recommandait la suppression ou la substitution d’un produit existant : « Les investisseurs existants dans ces produits pourraient être contraints de racheter ces actifs et potentiellement à un moment qui pourrait avoir des conséquences fiscales négatives. » Selon l’ABC, la divulgation au client du fait qu’un courtier n’offre que des produits maison est suffisante pour atténuer le conflit d’intérêts.
Par ailleurs, RBC Banque Royale demande aux ACVM de préciser ses intentions quant à savoir si la distribution de produits exclusifs uniquement est ou non un conflit d’intérêts, et si oui, comment résoudre ce conflit. « À notre avis, tant que la firme s’assurera qu’il existe une gamme assez large de fonds maison pour répondre aux besoins et objectifs financiers de la grande majorité de ses clients et qu’elle divulgue clairement aux clients qu’elle ne peut que recommander et distribuer des produits exclusifs, cela suffit » pour résoudre de conflits, lit-on dans le mémoire de la RBC.
De plus, la RBC souligne que l’encadrement des conflits d’intérêts touchant les produits maison ne devrait pas s’appliquer aux fonds en gestion commune, désignés en anglais pooled funds. « [Ces fonds] sont des instruments de placement créés pour répondre aux objectifs de certains clients et permettant aux clients d’accéder à certaines stratégies de placement d’un gestionnaire de portefeuille. Les mesures supplémentaires d’atténuation des conflits décrites dans les propositions créeraient un fardeau qui n’est pas à la mesure du conflit potentiel, si conflit il y a. Ainsi, à notre avis (…) la divulgation devrait être suffisante pour résoudre tout conflit potentiel avec l’offre de tels produits. »
L’Association canadienne du commerce des valeurs mobilières (ACCVM) reconnaît que les firmes doivent prendre certaines mesures pour s’assurer qu’elles ne favorisent pas les produits maisons au détriment des fonds offerts par des tiers, dans les cas où ces derniers peuvent être plus appropriés pour leurs clients. « Il est toutefois important de veiller à ce que les contrôles supplémentaires ne représentent pas une charge inutile pour les entreprises, ce qui a pour conséquence que celles-ci n’offrent potentiellement que des produits exclusifs », stipule l’ACCVM dans son mémoire.
iA Groupe financier s’inquiète que les mesures proposées par les ACVM fassent en sorte qu’une firme ne puisse pas offrir aucun produit maison lorsqu’elle offre à la fois des produits exclusifs et non exclusifs. « Si cette interprétation prévaut, cela pourrait entraîner que le marché se dirigera vers un modèle d’offre de produits exclusifs, dans le but d’éviter ce genre de conflit d’intérêts », d’après l’assureur.
iA Groupe financier estime qu’il y a de la place pour des produits maisons et des produits de tiers et souhaite s’assurer que les ACVM reconnaissent que les produits maisons ont leur place, comme on peut le lire dans leur mémoire : « Dans certains cas, les produits maison peuvent avoir plus de valeur, car ils offrent l’occasion de travailler avec le conseiller et son client dans le but de développer un produit qui répond mieux à ses objectifs, ce qui sert ultimement les intérêts supérieurs du client. De plus, avoir accès et une proximité avec une filiale [émettrice de produits financiers] peut aider le conseiller à obtenir une meilleure information à propos des composantes, des frais, des risques et des avantages du produit ou du service offert. »
En outre, selon la Financière Sun Life, les produits maison ne devraient pas être assujettis à des obligations de conformité supérieures à celles des produits non exclusifs.
Tirs groupés contre les produits maison
Malgré ces craintes, quelques acteurs de l’industrie applaudissent les mesures proposées par les ACVM visant à gérer les conflits d’intérêts touchant les produits maison. Certains demandent même aux ACVM d’encadrer davantage la distribution de produits maison.
C’est le cas de Fidelity Investments : « Nous avons assisté à une augmentation spectaculaire de la vente de produits exclusifs. Dans certains cas, certains courtiers qui se considèrent comme des architectures ouvertes ont des plateformes dont 90 % sont des produits maison. Ils devraient être fortement incités à offrir le meilleur produit pour l’investisseur, et non celui qui génère le plus de profits pour leurs parties liées ou pour l’entreprise elle-même. »
Selon Fidelity, l’évaluation indépendante proposée par les ACVM a sa place : « Ce type d’examen est requis en Australie et a très bien réussi à améliorer les résultats pour les investisseurs et en veillant à ce que les intérêts des investisseurs soient au premier plan dans l’esprit du courtier. »
De plus, il est temps que les firmes de courtage cessent de favoriser les produits maison au détriment des produits non exclusifs qui sont supérieurs, par toutes sortes de mesures directes ou indirectes. « Par exemple, les conseillers qui vendent parfois des produits de Fidelity ne sont pas autorisés à assister aux sessions d’information sur les produits de Fidelity et les wholesellers de Fidelity ne sont pas autorisés à informer ces conseillers sur les produits de Fidelity même lorsque leurs clients possèdent des fonds de Fidelity. Lorsque les entreprises prétendent être des architectures ouvertes, elles doivent certainement veiller à ce que leurs conseillers reçoivent les informations nécessaires pour prendre les meilleures décisions possibles pour leurs clients. En outre, très souvent, ces entreprises donnent à leurs propres gestionnaires d’actifs de produits exclusifs un accès complet aux conseillers tout en interdisant l’accès à des gestionnaires de fonds qui travaillent pour des tiers disponibles», révèle Fidelity, dans son mémoire.
De plus, étant donné que Fidelity s’attend à ce que les banques canadiennes adoptent une liste de produit complètement exclusif, cet émetteur de fonds espère que les ACVM précise ce que les courtiers exclusifs devraient faire lorsqu’ils se rendent comptent qu’un produit maison est de qualité inférieure à ce qu’offrent des firmes indépendantes. « Par exemple, ces firmes devraient-elles ne plus avoir le droit de vendre ces produits ou devraient-elles prendre des mesures dans le but de repositionner leur produit, changer le gestionnaire de portefeuille ou embaucher un sous-conseiller indépendant provenant d’un tiers? » lit-on dans le mémoire de Fidelity.
Invesco est aussi d’avis que l’encadrement proposé par rapport aux produits maison ne va pas assez loin et que les firmes offrant de tels produits vont trouver des manières de le contourner facilement. Par exemple, ces firmes pourraient offrir des produits structurés créés par le pupitre de leur division de marché des capitaux, selon Invesco. « Ces produits pourraient avoir une représentation découlant d’une tierce partie, mais dans les faits, ils sont créés seulement pour les clients du courtier et constituent une manière d’accroître les revenus de cette firme », lit-on dans le mémoire d’Invesco.
Par ailleurs, la divulgation du fait qu’une firme offre des produits maison n’est pas suffisante afin de gérer le conflit d’intérêts inhérent aux produits maison, selon Franklin Templeton Investments : « Les conflits d’intérêts soulevés par la vente de produits maison et par les programmes internes incitant la vente de tels produits devraient être évités. Une réglementation équitable requiert une compensation égale pour la vente d’un produit maison ou un produit offert par un tiers. »
Afin d’atténuer les conflits d’intérêts liés aux produits maison, Groupe Cloutier Investissements propose aux ACVM d’inclure une mention dans le titre professionnel d’un représentant afin d’avertir le client que son conseiller n’est autorisé qu’à distribuer des produits d’un émetteur affilié à son courtier. « Cette solution ne serait pas une panacée, mais elle ouvrirait à notre sens une autre voie par laquelle les clients pourraient être informés clairement que le représentant qui les conseille n’a pas accès à un plus large éventail de produits à l’extérieur de ceux de son groupe financier », lit-on dans le mémoire de ce courtier indépendant.
D’un autre côté, le fait de permettre la distribution de produits exclusif engendre un conflit d’intérêts inévitable et il n’y a pas de solution miracle pour l’éviter, selon le Groupe Cloutier : « Il y aura toujours un décalage théorique entre les intérêts du client et les intérêts du courtier. Si les produits offerts par l’émetteur affilié affichent une performance inacceptable, l’intérêt du client ne pourra jamais être favorisé puisque ce modèle d’affaires interdira toujours aux représentants de ces courtiers d’offrir des fonds externes qui pourraient mieux répondre aux besoins de leurs clients. »
De leur côté, les représentants de Mérici Services financiers saluent la volonté des ACVM de forcer les sociétés inscrites à mieux encadrer et gérer les conflits découlant de l’offre de produits exclusifs. « Nous croyons que les clients en seront grandement gagnants et que cela assainira certaines pratiques ayant cours chez certains inscrits », soutient Mérici.
Les propositions d’encadrer le conflit d’intérêts entourant les produits maison réjouissent également l’Investor Advisory Panel (IAP) de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario. « Nous appuyons également la proposition (…) qui demande à chaque entreprise de maintenir une offre de titres et de services cohérente avec la façon dont elle se présente. Pendant trop longtemps, les entreprises n’offrant que des produits exclusifs ou des titres financiers présentant un risque plus élevé ont pu se vanter d’être des courtiers qui fournissent des investissements conventionnels et impartiaux, adaptées à un large public. »
Selon l’IAP, la proposition devrait aider à changer cette situation, même si l’Instruction générale ne donne pas beaucoup de détails sur les attentes spécifiques des ACVM dans ce domaine. Des attentes plus complètes seraient bienvenues, d’après ce groupe.