Alors que l’article 12 de la Charte vise à protéger chacun contre les traitements et peines cruels et inusités, comme la torture, la Cour d’appel vient de trancher qu’une entreprise peut bel et bien soulever cet argument.
La Cour est toutefois partagée sur cette question et l’un des trois juges du banc a enregistré une dissidence.
L’entreprise en question avait été condamnée pour avoir agi comme entrepreneur en construction sans détenir la licence requise. Elle a écopé d’une amende de 30 000 $.
Elle ne veut pas payer la facture au complet et cherche à faire déclarer invalide cette amende minimale prévue dans la Loi sur le bâtiment.
Devant la Cour d’appel se trouve donc une seule question : une personne morale (une entreprise) peut-elle bénéficier ici de la protection contre les « traitements ou peines cruels et inusités » prévue à l’article 12 de la Charte ?
La Cour d’appel répond par l’affirmative.
L’argument principal voulant qu’une personne morale ne puisse bénéficier de la protection de l’article 12 est que cette protection s’inscrit dans le cadre de la préservation de la « dignité humaine ». D’ailleurs, dans son « Guide sur la Charte canadienne des droits et libertés », le gouvernement écrit que l’« on entend par là la torture ou le recours à une force excessive ou abusive par les forces de l’ordre ».
Mais la juge Dominique Bélanger, qui écrit au nom de la majorité, dit ne pas être convaincue que l’article 12 ne vise que la « dignité humaine ». Elle souligne que des entreprises ont réussi dans le passé à se prévaloir des protections de la Charte.
Et puis, écrit-elle, il ne faut pas ignorer « les conséquences que peuvent subir certaines personnes à la suite de sanctions de nature économique ».
« L’amende peut être cruelle pour la personne morale. Une personne morale peut souffrir d’une amende cruelle qui se manifeste par sa dureté, sa sévérité et une sorte d’hostilité », écrit-elle.
« Je ne crois pas que la société canadienne trouverait acceptable ou dans l’ordre naturel des choses, en toutes circonstances, qu’une amende totalement disproportionnée conduise une personne morale ou une organisation à la faillite, mettant ainsi en péril les droits de ses créanciers ou forçant les licenciements », poursuit-elle.
La Cour d’appel ne décide toutefois pas si l’amende dans le cas spécifique de l’entreprise contrevient à l’article 12 : elle réfère le dossier à un juge qui décidera si c’est le cas.