La part des titres à revenu fixe dans les actifs d’investissement responsable (IR) sous gestion augmente d’année en année, souligne l’Association pour l’investissement responsable (AIR) dans son «Rapport de tendances de l’investissement responsable canadien 2018», publié en octobre dernier. Alors qu’ils ne représentaient que 27 % en 2016, ces titres constituaient 34 % des actifs d’IR sous gestion en 2018.
«Il ne faut pas s’interdire de faire de l’engagement dans cette catégorie d’actifs. Au contraire, à titre de détenteur d’obligations, nous avons la possibilité d’influencer l’émetteur potentiel afin qu’il fournisse de l’information sur les questions environnementales, sociales et de gouvernance [ESG]», affirme Pauline Lejay, responsable de l’investissement socialement responsable (ISR) à l’Établissement de retraite additionnelle de la fonction publique (ERAFP).
Dans le rapport annuel 2017 de l’organisme français, l’ancien directeur du fonds de pension Philippe Desfossés écrit que dorénavant «les grands investisseurs comme l’ERAFP ne financeront pas le rachat de leurs obligations arrivant à échéance si elles ne démontrent pas qu’elles s’inscrivent nettement dans une stratégie de transition énergétique et écologique».
Concrètement, il y a peu de différences entre l’IR en obligations et celui en actions, révèle Pauline Lejay. L’ERAFP fait usage d’un dispositif ISR qui définit pour chaque catégorie d’actifs les critères ESG à intégrer dans l’analyse ainsi que les règles de sélection de titres à appliquer à partir de cette analyse. L’ERAFP décline donc de façon légèrement différente sa charte ISR selon les catégories d’actifs, mais le principe reste le même.
«Si on veut distinguer l’investissement en actions de l’investissement en obligations, il y a certains outils distincts qu’on ne trouvera pas dans un portefeuille d’actions ordinaires, comme les obligations vertes. Sinon, une analyse similaire est faite de part et d’autre», confirme Francis Scott, gestionnaire de portefeuille, titres à revenu fixe chez Desjardins Gestion internationale d’actifs.
Différentes approches, même but
L’ERAFP et Desjardins fonctionnent selon l’approche dite best in class. C’est-à-dire que pour chaque secteur, qu’on parle d’actions ou d’obligations, on évalue les émetteurs selon différents facteurs ESG et on leur attribue une note.
Chez Desjardins, en revenu fixe comme en actions, on utilise plusieurs filtres pour choisir les obligations dans lesquelles seront investies des sommes. Tout d’abord, on y suit les contraintes normatives arrimées à celles de l’Organisation des Nations unies (ONU).
Ensuite, l’équipe ESG applique la méthode best in class. À cela peuvent encore s’ajouter des contraintes de principe dépendant des investisseurs. Par exemple, ceux-ci pourraient vouloir aller plus loin dans la politique de placement et ne pas investir dans des entreprises qui font travailler des enfants. Les titres sont alors notés selon un code de couleurs, vert qualifiant les meilleurs d’un point de vue ESG et rouge les pires.
«À partir de là, je vais monter le portefeuille. Je prends en compte le volet financier et choisis celui qui, selon moi, va générer le plus de rendement dans l’avenir, détaille Francis Scott. Admettons que j’hésite entre deux émetteurs d’obligations, je peux me référer à l’analyse exhaustive entre les deux et, à la lumière des rapports, choisir entre ces deux entreprises au profil financier similaire laquelle se démarque le plus du côté de la gouvernance ou de l’environnement.»
L’ERAFP délègue la gestion financière de toutes ses catégories d’actifs à des gestionnaires externes, à l’exception des obligations souveraines. Pour celles-ci, en plus de l’application du filtre induit par la sélection best in class, s’ajoutent trois critères d’exclusion définis dans la Charte ISR de l’ERAFP, soit de ne pas investir dans les emprunts d’États qui n’ont pas aboli la peine de mort, qui pratiquent la torture ou qui ont recours à des enfants soldats. Les bons du Trésor américain sont ainsi exclus de son univers d’investissement.
Chez Addenda Capital, en revanche, on ne fonctionne pas par filtre, mais on intègre plutôt les facteurs extrafinanciers dans toutes les décisions d’investissement. «C’est une approche qui offre une meilleure gestion du risque. Les critères ESG, c’est de l’information supplémentaire pour nous», explique Barbara Lambert, gestionnaire de portefeuille principale, Revenu fixe et Investissement durable chez Addenda Capital.
Dialoguer avec l’émetteur
Si ces approches diffèrent en certains points, les trois organisations interrogées affirment qu’il y a une autre étape particulièrement importante : le dialogue avec l’émetteur. Ainsi, l’année passée, Addenda Capital a fait environ 200 rencontres.
«La mentalité, c’est de travailler avec l’émetteur, explique Barbara Lambert. On lui explique l’approche désirée par les caisses de retraite, les fondations et les compagnies d’assurance et on étaye les besoins et mesures que l’on veut suivre. Ça ouvre une relation.»
Pauline Lejay explique que l’approche ISR de l’ERAFP se veut «multicouches» et que l’engagement y tient une place particulièrement importante. En effet, après avoir sélectionné les entreprises disposant des meilleures pratiques d’un point de vue ESG de chaque secteur, l’ERAFP entre en contact avec les émetteurs pour entamer des démarches d’engagement, particulièrement dans le cas d’entreprises controversées.
À l’issue de ces phases de dialogue, les émetteurs concernés s’engagent à mettre en place une politique d’amélioration de leurs pratiques et à respecter les conditions avancées par le fonds. Dans le cas où cela ne serait pas respecté, l’ERAFP se réserve la possibilité de se désengager de ces entreprises.
Autant la méthode best in class que celle d’Addenda n’excluent aucun secteur, ce qui permet d’avoir des portefeuilles équilibrés et de considérer les secteurs comme le pétrole ou les services publics, qui ont souvent une grosse empreinte carbone.