Le secteur des actifs réels, une catégorie passablement large qui inclut les infrastructures, l’immobilier, les ressources naturelles, plus particulièrement la propriété de terres agricoles, forestières et la gestion de l’eau, produit encore de beaux rendements, mais plusieurs facteurs contribueront à en atténuer la performance au cours des prochaines années, tout au moins dans certains secteurs.
Certains sous-secteurs sont gigantesques et omniprésents dans les portefeuilles d’investisseurs, surtout institutionnels. Par exemple, l’immobilier en Amérique du Nord s’élève à au moins 7 T$ CA, juge John Courtliff, partenaire et directeur exécutif chez ICM Asset Management, à Calgary, firme spécialisée dans le domaine. «On ne compte là que les immeubles de première qualité qui sont détenus surtout par les grands investisseurs institutionnels comme la Caisse de dépôt et placement du Québec, dit le spécialiste. Nos centres-villes canadiens appartiennent à ces institutions !»
Un secteur comme celui des infrastructures est encore relativement modeste, «mais connaît une explosion depuis environ 2006», note Janet Rabovsky, partenaire chez Ellement, à Toronto, un groupe-conseil actif auprès des grandes institutions.
En 2005, la capitalisation boursière totale était de seulement 400 G$. Aujourd’hui, elle s’élève à environ 2,5 T$. Au Canada, si on exclut les actifs institutionnels, le secteur est encore minuscule avec environ 6 G$ répartis dans une quinzaine de fonds communs spécialisés, auxquels il faut ajouter six fonds négociés en Bourse (FNB).
Les actifs agricoles constituent une catégorie particulièrement attrayante, mais plus minuscule encore. Selon un dossier de la publication Real Assets Adviser de novembre 2018, on trouve chez les investisseurs institutionnels américains un actif total de 8,4 G$ US, qui n’accapare que 3 % des propriétés agricoles totales. Le plus grand investisseur au Canada, Bonnefield Financial, possède un portefeuille de seulement 750 M$, dont 650 M$ sont détenus par des investisseurs institutionnels, dit son président et chef de la direction, Tom Eisenhauer.
Principe de rente
Les rendements des actifs réels «proviennent d’un mélange de revenus de loyers et d’appréciation du capital, mais surtout de loyers», indique Janet Rabovsky. Il en est ainsi autant pour l’investisseur d’un fonds immobilier que pour l’investisseur d’un fonds agricole. Le rendement ne résulte pas de l’exploitation, mais de la rente que l’agriculteur paye au fonds qui détient la terre.
Ces rendements ont été historiquement substantiels. Alors que les titres boursiers américains ont donné dans l’ensemble un rendement annuel composé de 8,5 % sur 10 ans, la catégorie immobilière a fourni 6,1 %, l’agricole, 12,1 %. Cependant, au fur et à mesure que les périodes raccourcissent, les actions l’emportent. Sur 5 ans et 3 ans, elles ont produit des rendements de 15,8 % et 11,4 % contre 10,3 % et 9,5 % dans le cas de l’immobilier, et de 11,3 % et 7,9 % dans celui du secteur agricole.
Comme dans tout investissement, les rendements varient selon le risque encouru. Dans les actifs immobiliers ou d’infrastructures, la simple propriété d’un actif dont on ne faisait que recueillir les rentes a donné, chez ICM, un rendement de l’ordre de 10 % à 12 %, dit Tom Eisenhauer. Par contre, «le rendement sur une propriété qu’on développe pour rendre ses logements plus attrayants peut se situer entre 16 % et 20 %», ajoute-t-il.
Il en est de même pour les infrastructures. «Si j’ai un aéroport dans mon portefeuille, je vais chercher peut-être de 8 % à 10 % de rendement, dit Janet Rabovsky. Par contre, si je modernise les installations, le risque accru pourra me donner un rendement se situant n’importe où entre 6 % et 15 %.»
Faible corrélation
Les actifs réels suscitent beaucoup d’intérêt en raison de leur faible corrélation aux titres boursiers. Certains conseillers, au cours des dernières années, n’hésitaient pas à substituer aux actifs obligataires de leurs portefeuilles des actifs d’infrastructures, chose que Janet Rabovsky ne recommande pas du tout. «Nous voyons les actifs réels comme un substitut aux actions, pas aux obligations», dit-elle.
Ces corrélations varient d’un type d’actif à l’autre. «Les fiducies immobilières [REIT] affichent une corrélation de 0,6, reconnaît-elle. Par contre, la corrélation entre le prix des actions et le prix des actifs immobiliers est seulement de 0,2 à 0,3.» (Une corrélation parfaite serait de 1,0.) Dans les actifs agricoles, selon Real Assets Adviser, la corrélation avec les actions n’est que de 0,04, avec les obligations, de 0,36.
Une mesure de risque comme le ratio de Sharpe favorise beaucoup les actifs réels (rappelons que plus ce ratio est élevé, plus grand est le rendement pour le risque encouru). Pour les actions, ce ratio, toujours selon Real Assets Adviser, est de 0,29 ; pour l’immobilier, de 0,67 ; pour l’agricole, de 1,19.
«Les actifs réels constituent une partie stable et attrayante, et offrent une protection contre l’inflation, conclut Janet Rabovsky. Par contre, reconnaît-elle, leur niveau de liquidité peut être restreint, de telle sorte que l’argent d’un investisseur est immobilisé. Mais il est généreusement compensé pour ça.»
Cette dernière observation vaut essentiellement pour les fonds qui s’adressent aux investisseurs qualifiés pour lesquels l’investissement requis est de 150 000 $. De tels outils sont nombreux. Dans le domaine agricole, on ne peut y avoir accès autrement au Canada. Par contre, dans les secteurs de l’immobilier et des infrastructures, les fonds communs et les FNB sont accessibles à tout investisseur moyen. Par exemple, du côté des fonds communs, on trouve le Fidelity Immobilier mondial et le Fonds mondial d’infrastructures Dynamique, du côté des FNB, le BMO Fonds d’infrastructures mondiales.
Jusqu’ici, les actifs réels ont affiché des rendements très respectables, et ils continueront de le faire, mais à un degré moindre. Parce que les acteurs se multiplient, de plus en plus de capitaux se disputent les mêmes actifs, ce qui tend à en hausser les prix et à en réduire les rendements. Dans le secteur immobilier, «là où des actifs à risque moyen pouvaient donner un rendement annuel de 16 %, il faut probablement s’attendre désormais à un taux de 12 %», dit John Courtliff.
Dans le secteur agricole aussi, les capitaux affluent et provoquent une dynamique similaire. Par contre, Tom Eisenhauer pense que le Canada est à l’abri d’un tel développement. Son fonds devrait continuer de produire les mêmes rendements qu’auparavant, de l’ordre de 10 % à 11 % annuellement. «Dans un monde de plus en plus chaud et sec, dit-il, le Canada sera un bénéficiaire net grâce à des saisons plus longues et des récoltes à plus haute valeur ajoutée.»