Alors que l’Association canadienne des compagn ies d’assurances de personnes (ACCAP) réclame un cadre plus souple, des groupes de défense des consommateurs souhaitent des limites plus strictes.
Selon la Coalition des associations de consommateurs du Québec (CACQ), le projet de l’AMF «fait appel à des solutions éculées, comme la distribution massive d’information, et compte sur le zèle du consommateur lecteur bien plus que sur l’encadrement des pratiques des fournisseurs pour assainir le marché. Cette stratégie nous paraît d’autant plus clairement vouée à l’échec que le projet de règlement est truffé de problèmes de nature technique», écrit-elle dans son mémoire remis lors de la consultation sur le Projet de règlement sur les modes alternatifs de distribution de l’AMF.
«Il est utopique de croire que la consommatrice exercera toujours, seule, un jugement aussi éclairé qu’elle ne le ferait avec l’aide d’un représentant, ou d’un dispositif qui dispose des mêmes aptitudes qu’un représentant», poursuit la CACQ.
Plus d’information mal comprise
La CACQ souligne que le consommateur ne lit pas de longs documents, car ils sont souvent incompréhensibles et leur contenu n’est pas négociable. Résultat, il risque de faire le mauvais choix, selon l’organisme : «Il s’arrêtera au produit dont le prix est le moins élevé – mais qui pourrait fort bien s’avérer en définitive le plus coûteux, parce qu’il ne répond pas à ses besoins. On ne voudrait surtout pas que le consommateur en ligne se fie seulement au prix pour choisir, mais on crée un environnement où c’est précisément ce qu’il fera.»
L’organisme propose que soit associé à un produit un «document d’informations clés», exposant en au plus trois pages les informations dont les clients ont besoin. De plus, il suggère que l’avertissement suivant y figure : «Vous êtes sur le point d’acheter un produit qui n’est pas simple et qui peut être difficile à comprendre.»
L’AMF devrait interdire les produits trop complexes pour un environnement en ligne et mieux encadrer les autres, selon la Coalition. Toutefois, le régulateur ne le fait pas et la CACQ compare l’encadrement proposé à une expérience non maîtrisée : «Comme l’apprenti sorcier de Goethe, comme le docteur Jekyll, on amorce un processus sans se soucier des inévitables périls qui en découleront. Les victimes n’en seront pas des personnages littéraires.»
Inquiétante responsabilité partagée
Le concept de responsabilité partagée, inhérent au cadre proposé par l’AMF, inquiète Option consommateurs (OC). En effet, selon l’AMF, lorsqu’un client souscrira une assurance de personne par Internet, il pourra, s’il le désire, faire appel à un conseiller afin d’obtenir du conseil financier. La responsabilité du représentant et celle du cabinet seraient alors partagées entre autres en fonction du degré d’intervention du représentant dans la transaction. Il faudrait évaluer la situation au cas par cas.
Or, dès qu’un conseiller interviendra, ses obligations demeureront les mêmes, comme l’indiquait Marc Beauchemin, avocat senior aux affaires juridiques et réglementaires et secrétaire adjoint de la Chambre de la sécurité financière, en novembre dernier : «Le conseiller ne peut pas dire : « Parce que c’est Internet et que c’est un autre mode de distribution, mes obligations vont être différentes. » Non, les obligations restent les mêmes. S’il est intervenu, c’est sa responsabilité et c’est sa responsabilité au complet.»
OC craint donc que, en cas de réclamation, un éventuel litige sur le partage de la responsabilité puisse susciter un débat, judiciaire ou non, entre le cabinet et son représentant. Cela risquerait d’imposer au client des délais supplémentaires importants dans le traitement de sa réclamation.
«Il ne devrait pas revenir au client de déterminer à qui incombe cette responsabilité pour faire valoir ses droits. Il pourrait également être difficile pour le client de savoir à quelle organisation adresser sa plainte ou sa réclamation», lit-on dans le mémoire d’OC soumis lors de la consultation.
C’est pourquoi OC recommande que le projet de règlement oblige les cabinets à divulguer annuellement à l’AMF une série d’informations supplémentaires. Parmi celles-ci, le nombre de réclamations et le montant versé en indemnités ; le nombre de résolutions ; le nombre de résiliations ab initio ; le nombre de réclamations refusées ; le motif général de ces refus ; parmi les réclamations refusées et les résiliations, le nombre de polices auxquelles on a souscrit uniquement par l’intermédiaire de sa plateforme ; le nombre de plaintes et leurs motifs.
«L’ajout du nombre de réclamations refusées et du motif de refus, qui constituent des renseignements particulièrement importants, permettrait de savoir si les produits d’assurance qui ont été vendus étaient appropriés. Un nombre élevé de réclamations rejetées pourrait indiquer que les analyses des besoins des clients qui ont été effectuées étaient inadéquates et permettrait à l’AMF de détecter plus efficacement les problèmes résultant de la vente d’assurance en ligne», écrit OC.
Selon l’organisme, ces divulgations sont pertinentes, puisque plusieurs années peuvent s’écouler avant que survienne un sinistre. Les impacts réels de ces nouvelles pratiques ne pourront donc être constatés qu’au fil des ans.
Trop d’information visible en tout temps
OC appuie également l’AMF dans son projet d’obliger les cabinets à rendre plusieurs renseignements visibles en tout temps sur la plateforme, dont le nom et les coordonnées du cabinet, le moyen de solliciter l’intervention d’un représentant du cabinet et les coordonnées permettant au client de formuler une plainte.
Or, l’ACCAP réclame plus de souplesse par rapport à ce critère. «Nous nous questionnons, dans le contexte d’un espace numérique utilisé pour l’offre d’assurance, sur la nécessité de rendre visibles en tout temps les coordonnées permettant au client de formuler une plainte. En effet, il semble contre-intuitif pour un consommateur de consulter la ressource d’offre du produit plutôt que de se tourner vers des ressources après achat», lit-on dans le mémoire de l’ACCAP.
«Lorsqu’ils magasinent sur Internet, les consommateurs peuvent facilement avoir accès à des sites provenant d’entreprises ou de cabinets étrangers, voire même de personnes malveillantes. Les renseignements prévus à cet article sont des renseignements de base essentiels», juge Option consommateurs.
À l’instar d’OC, l’ACCAP est d’accord avec l’exigence de rendre visible en tout temps le moyen de solliciter un représentant certifié.
Débat entourant le spécimen
OC demande aussi à l’AMF d’ignorer la demande de certains groupes, dont l’ACCAP, de ne pas obliger les cabinets à rendre disponible en tout temps un spécimen de la police pour chaque produit offert, pour des raisons de concurrence.
«Lorsqu’un consommateur fait affaire avec un représentant, ce dernier a en main un spécimen de la police des produits qu’il vend et peut s’y référer selon les questions que lui pose le consommateur. Pour offrir un niveau équivalent de protection au consommateur qui se procure un produit d’assurance en utilisant Internet, il faut aussi lui permettre de lire la police d’assurance qu’il s’apprête à acheter», écrit OC.
«Le choix est donc simple, poursuit OC : soit le cabinet offre ses produits et services par Internet, avec toutes les obligations et la transparence que cela implique, soit il choisit de ne pas le faire et d’opter pour la vente […] par l’entremise de représentants.»
Or, pour des enjeux de concurrence, l’ACCAP juge problématique le fait de rendre disponible un spécimen de police en tout temps. Actuellement, les polices ne sont normalement mises à la disposition des consommateurs qu’à la fin du processus de souscription, ou encore, elles demeurent sous le contrôle du représentant et non pas disponibles ouvertement à tous.
«La disponibilité de spécimen pourrait encourager les situations de plagiat (situations qui ont déjà eu lieu) qui ne font que diminuer la concurrence et ne sont pas à l’avantage du consommateur», écrit l’ACCAP dans son mémoire.
L’ACCAP craint également que le spécimen de police ne crée de la confusion chez les consommateurs : «Si le client accède au spécimen, après une certaine période de temps, il pourrait alors croire, à tort (malgré l’identification de spécimen), qu’il s’agit du même document que sa police.»
Convenance du produit
Par ailleurs, OC recommande l’ajout d’un article prévoyant qu’en cas de disparité entre l’information transmise sur la plateforme et les conditions de la police, l’interprétation la plus favorable au consommateur doit prévaloir. De plus, OC souhaite que le règlement atténue l’obligation de haute bonne foi qui incombe au client lorsqu’il souscrit une police d’assurance.
«Lorsqu’un consommateur fait appel aux services d’un représentant certifié, ce dernier est en mesure de constater les hésitations que pourrait avoir le consommateur à l’égard de certaines questions. Aussi, lorsqu’une réponse lui semble incomplète, le représentant peut demander au consommateur des précisions», explique OC.
«Or, la situation est tout autre s’il s’agit, pour le consommateur, de répondre à un questionnaire en ligne, poursuit OC. Le consommateur, profane, devrait pouvoir se fier au questionnaire mis à sa disposition pour connaître les circonstances et les renseignements pertinents qu’il a l’obligation de divulguer.»
Pour sa part, l’ACCAP demande une modulation dans l’obligation proposée par l’AMF voulant que le cabinet détecte non seulement les contradictions et les irrégularités, mais également les situations où le produit ne convient pas aux besoins du client.
«Cette obligation devrait être modulée en fonction du produit offert et du choix du client d’acheter en ligne. Nous souhaitons établir un équilibre raisonnable entre la protection du consommateur et l’efficacité du processus pour le consommateur», indique l’ACCAP.
«En matière de distribution en ligne, poursuit-elle, l’obligation du cabinet devrait être de fournir les outils appropriés permettant au client d’évaluer (avec ou sans l’aide d’un représentant, à son choix) si le produit convient à ses besoins.»
Dans le même ordre d’idées, l’ACCAP souhaite aussi que l’AMF clarifie ses attentes à l’égard des exigences en matière d’analyse des besoins, de situations de remplacement de contrats et autres.
Les plateformes devraient rendre des comptes
La CACQ pose également des questions intéressantes à l’AMF par rapport à la déontologie et l’éthique de travail de la plateforme elle-même. «Comment et par quoi seront évalués les algorithmes sous-tendant la plateforme et qui permettront de recueillir la bonne information, de formuler les bons diagnostics, de proposer les bons produits, de suspendre les processus lorsqu’il le faut ? On certifie les représentants (et on exige qu’ils participent à des programmes de formation continue), mais on n’évaluerait pas les plateformes ? L’anomalie paraît consternante.»
Non seulement l’AMF n’impose pas d’exigence de validation, mais elle ne précise même pas que le cabinet doit lui fournir des informations qui lui permettraient de garantir une «compétence» et une intégrité minimales des plateformes, déplore la CACQ : «On compte sur la compétence et la bonne volonté de l’industrie. Ce n’est pas là, nous semble-t-il, une réglementation fondée sur des principes ; c’est de la réglementation cramponnée à la pensée magique.»
Pour ces raisons, la CACQ souhaite qu’on renforce les obligations des cabinets en matière de gestion de leurs processus et de reddition de compte. L’organisme craint que le cadre proposé par l’AMF ne résulte en une «série d’expériences où les consommateurs feront surtout office de cobayes et, parfois, de victimes. […] La réglementation devrait avoir pour effet de réduire les risques juridiques et financiers, plutôt que de les augmenter.»